
Alors la Botanique n’étoit vraiment
qu’empyrique ; on ne connoiffoit les plan- '
tes que par une fimple tradition ; & l’on
r e f : rappeloit celles que l’ufage & la tradition
avoient ainfi fait connoître, que par
une habitude qu’on acquéroit d’envifager '
leur figure particulière, fans entrer dans
aucun détail de ce qui les diftingue effen-
tiellement ; enfin , comme on le bornoit
a la connoilfance des plantes qui étoient
utiles, & dont on décrivoit feulement les
tifitges, les premières méthodes ne furent
que des arrangerons fondés fi.tr la confi-
dération des vertus & dès qualités de ces
mêmes plantes. Auffi, à proprement parler
, ce n’étoit point des méthodes, mais
feulement des divifions convenables à cette
partie de la matière médicale , à laquelle ,
dans ces tems, fe réduifoit toute la con-
noilfance qu’on avoit des végétaux.
De pareilles divifions., loin d’éclairer la
Botanique, la jetèrent dans le chaos le
plus obfcur, parce qu’elles rapprochoient
les chofes les plus difparates, fouvent même
fous des dénominations analogues ; & que
leurs auteurs, engagés dans cette fauffe
route , feparoient en même tems les objets'
les plus reffèmblans ; ce qui multiplioit
fans ceffe les idées fauflès, & n’en reclifioit
aucune. On fent affez que cës mêmes divifions
ne pouvoient être de quelque commodité
, qu’autant que les plantes - elles-
mêmes euflènt été parfaitement connues ;
car il eft clair -qu’elles, ne conduifent nullement
à les faire connoître , qu’elles fup-
pofent to u t, & n’apprennent rien.
Ce qu’il y a de bien fingulier, c’eft que
les anciens mettoient toute leur application
à la recherche des propriétés des plantes,
& négligeoient les moyens de connoître
avec certitude les plantes mêmes dont ils
fe fervoien* ; tandis que les modernes, au
contraire , s'occupent feulement du loin
de diftinguer toutes les plantes qu’ils peuvent
obfèrver, fans qu’aucun d’eux , pour
ainfi dire , daigne s’attacher à indiquer
l’ufage qu’on en peut faire. Ces deux excès,
également condamnables , nuifent l’un &
l’autre au vrai but que l’homme doit toujours
fe propofer dans fes travaux. Nous
aurons occafion , dans le cours de cet
Ouvrage ,' de donner h cette vérité le degré
de développement nécefïàire pour en faire
appercevoir l’évidence ; & dès-à-préfent
nous allons faire voir combien la route
qu’ont fume les anciens dans l’étude qu’ils
ont faite des plantes, a contribué à retarder
les vrais progrès de la Botanique , &
à priver les fiécles qui ont fuccédé à cette,
époque , des avantages réels que. cette
fcicnce intéreffante peut procurer.
De la manière dont les Anciens ont traité,
la Botanique.
I l paroît hors de doute que dès les-pre-
miers âges du monde , l’homme fut porté ,
j’ofe même dire contraint, à rechercher
la connoilfance des plantes avant celle de
toutes les autres produirions de la Nature ;
& qu’en conféquence ce fut nécefiiirement
dans le règne végétal qu’il fit fes premières
conquêtes pour fatisfaire à fes befoins
les plus effentiels. En effet, alors l’homme
étant prefque fans induftrie , &, pour ainfi
dire , fans moyen pour s’approprier ou
foumettre à fa domination aucun des ani-
maux dont il obtient maintenant des avan-
tuges fi marqués, les végétaux par leur
nature durent, avant tout & pendant long-
tems, faire feuls fes principales reffources.
Il dût donc dès-lors chercher à diftinguer
au moins, par un apperçu de leur figure ,
celles des plantes dont il droit .quelque
utilité.
A cette préfomption, on peut encore
ajouter que l’homme ayant néceffairèment
eu befoin de pourvoir à fa fubfiftance avant
de chercher à guérir les maladies auxquelles
il étoit expofé ; il a dû auffi , pour fa
commodité, faire dès-lors des tentatives
pour cultiver & multiplier les plantes qui’
fervoient à fa nourriture, avant de s’inté-
reffer aux vertus médicinales de celles qui
en pofsèdent : d’où il réfulte que l’Agriculture
proprement dite, a manifèftement
précédé la Médecine.
Auffi , outre ces conjeflrtres plaufibles ,,
qui tendent à faire remonter l’époque des
premières connoiflances de l’homme fur
les végétaux, aux premiers âges du monde ,
trouve-t-on des indices dans les tems les
plus reculés qui côpftatent la grande antiquité
de l’étude de la Botanique ; & l’on fait
même à préfent que dès long-tems avant
Hippocrate, il y avoit eu des hommes qui
s’étoient rendus célèbres par les connoif-
fances qu’ils avoient de beaucoup de végétaux.
Chiron, Efculape, Achille, Melam-
p e , Orphée , & beaucoup d’autres font de
ce nombre ; & il y a apparence que long-
tems encore avant eux, comme je viens
de le dire , l’on s’appliquoit à connoître
les plantes.
Selon le témoignage de plufieurs Auteurs
anciens , Pythagore & quelques autres
avoient déjà écrit fur ce lujet; mais il ne
nous refte rien des ouvrages qui ont été faits
alors fiir les plantes ; & Hippocrate , ce
vrai Fondateur de la Médecine , qui de fon
tems, fit l’admiration de toute la Grèce,
& dont les écrits font encore infiniment
précieux , n’a lui-même fait mention que
des plantes qu’on employoit alors dans le
traitement des maladies , en rapportant
feulement leurs noms , & leurs propriétés.,
médicinales.
Crateias, Contemporain d’Hippocrate ,
& qui fans doute n’eft pas le même que
ce Cratevas qui donna à une plante le nom
du Roi Mithridate ; Crateias, dis-je, s’acquit
auffi dans ce tems beaucoup de réputation
par les connoiffances qu’il avoit fur
les plantes. C’eft une juftice que lui rend
à ce fujet Hippocrate lui-mêmé , qui en
avoit la plus haute idée.
Il paroît enfin qu’Ariftote , ce grand
Philofophe, qui s’eft rendu recommandable
par tant d’autres objets , a auffi écrit
fur les plantes : mais les deux livres fur
cette matière qui fe trouvent dans la col-
leftion de fes ouvrages , font tellement
altérés à tous égards, qu’i l y a prefque lieu
de croire qu’ils lui font mal-à-propos attribués.
Au refte, je le répète, l’application
qu’on donnoit alors à l’étude des plantes ,
le réduifoit entièrement à la recherche de
leurs propriétés , & prefque jamais au
moyen d’aflurer la connoilfance de ces
plantes par des marques diftinâives non
équivoques.
Théophrafte, qui fuivit de près Ariftote,
dont meme il fut le Difciple , eft le premier
Auteur de Botanique dont les ouvrages
fôient parvenus jufqu’à nous, & qui
ait fait mention de toutes les plantes connues
de fon tems. Leur nombre , à la vérité
, étoit encore bien peu confidérable ;
car il n’alloit alors qu’à environ cinq cents.
Dans l’un des deux ouvrages que l’on a
de Théophrafte , & qui eft le plus confidérable
, c’eft-à-dire dans fon Hifloire des
Plantes, qu’il partagea en neuf livres, il
confidere i° . leur génération , & remarque
, par exemple , que les arbres conifères
ne fe reproduifent que par les fèmen-
c e s , &c . ; 2.0. leur grandeur & leur con-
fiftance , & diftingue les arbres & les
arbriftèaux des fous-arbriflëaux proprement
dits ; 3°. .enfin leur lieu natal & leurs' qualités
, & les_divife en conféquence en potagères
, fromentacées & fùcculentes.
On trouve dans l’ouvrage de cet ancien
Botanifte beaucoup de faits intéreflàns &
curieux , qui annoncent dans fon Auteur
une grande fàgacité à obferver en général :
malgré cela , cet ouvrage ne contenant
prefqu’aucune defcription fiiffifànte & pré-
c ife , mais feulement des obfervations
éparfes, point affez particulières , & trop
fouvent incomplètes à l’égard des plantes
dont il fait-mention ; il paroît bien difficile
maintenant de favoir à quelles plantes on
doit rapporter la plupart des noms qui font
cités- dans cet antique monument de la
Botanique.
Plufieurs fiècîes s’écoulèrent de fuite
après Théophrafte, fans que la Botanique
fit prefqu’aucun progrès fenfible, & fans
qü’il fe foit rencontré aucun Auteur qui
ait traité généralement des plantes alors
connues. Néanmoins, plufieurs Grecs &
quelques Latins , Médecins pour la plupart,
écrivirent fucceffivement, les uns fur les
vertus de quelques plantes particulières,
& les autres, fur des portions de la totalité
des plantes dont on faifoit ufage dans
leur tems : quelques-uns même publioient
déjà des figures de plantes, & placoient au
bas de chacune d’elles la defcription de fes
propriétés.