2. R O H A Ce n’étoit pas la le moyen de découvrir
les principes de cette fcience. En
raifonnant toujours fur des chofes générales,
fans defcendre à rien de particulier,
il n’étoit pas poflible d’acquérir
de grandes lumières; il falloit confirmer
le raifonnement par le témoignage des
fens, c’eft-à-dire, par l’expérience, puif-
qu’on ne peut dévoiler les caufes que
par la connoiffance des effets.
A peine cette vérité fut-elle apperçne,
qu’on fe hâta à la mettre en pratique.
On réduifit donc tout en expériences ,
& on ne voulut point abfolument rai-
fonner. C ’étoient deux extrémités également
vicieufes ; car dans l’étude de la nature,
les raifonnemens feuls ne donnent
que des notions obfcures 6c imparfaites
de la chofe fur laquelle on raifonne ; 6c
d’un autre côté, ne point faire ufage de
fa raifon pour ne s’en rapporter qu’aux
fens , c’eft renfermer fes connoifîances
dans des bornes bien étroites. En effet,
les expériences ne fauroient fervir qu’à
nous faire connoître les chofes fenfibles,
fans nous éclairer fur la connexion des
elfets qui peuvent appartenir à la même
caufe.
[. La feule manière de faire des progrès
dans la Phyfique, étoit de réunir le raifonnement
avec .l’expérience , 6c d’allier
ces deux moyens de connoiffance : 6c voilà précifément ce que fit le premier
Phyficien moderne. Afin de procéder
avec ordre dans cette entreprife ,
il diftingua d’abord trois fortes d’expériences.
La première, d tril, n’efl qu’un
fimple ufage des fens, comme lorfque
par hafard 6c fans deffein, nous regardons
fimplement les objets, fans fonger
à appliquer ce que nous voyons à aucun
ufage. La fécondé efpèce d’expérience
eft celle que nous faifons lorfque, de
propos délibéré., mais fansfavoir ni prévoir
ce qui pourra arriver, nous faifons
répreuve de quelque cbofe, comme
quand nous prenons avec choix tantôt
un fujet, tantôt un autre, & que nous
faifons fur chacun d’eux toutes les tentatives
que nous pouvons imaginer, retenant
avec foin ce qui éft arrivé à
U L T.
chaque tentative , afin de pouvoir employer
une autre fois les mêmes moyens
pour avoir le même effet. Enfin, les expériences
de la troifième forte, font
celles que le raifonnement prévient, 6c
qui fervent à en vérifier la jufteffe ou à
en faire connoître la fauffeté. Par exemple
, après avoir confideré les effets ordinaires
d’un certain fujet, 6c s’être
formé une idée de fa nature, c’eft-à-dire,
de la caufe de fes effets, fi on vient à
connoître cette caufe par une fuite de
raifonnemens, 6c qu’on conclue que fa
parfaite connoiffance dépend d’un effet
auquel on n’a voit point penfé, on cherche
alors cet effet par des expériences.
Aux expériences, ce premier Phyficien
dont je parle, joignit les Mathématiques
, parce qu’il reconnut que cette
fcience accoutume l’efprit à la confidé-
ration des figures, qu’elle le rend plis
propre à en connoître les différentes propriétés;
& qu’en l’exerçant à plufieurs
démonstrations, elle le /orme peu à peu, 6c le met mieux en état de difcerner le
vrai 6c le faux, que ne peuvent faire
tous les préceptes d’une Logique fans
ufage.
C ’eil ainfi que ce grand homme établit
les principes de la Phyfique, 6c
qu’il eut la gloire de prefcrire la véritable
méthode pour faire des progrès
dans cette fcience. Il fe nommoit Jacques
Roh au l t , & naquit à Amiens en 1620.
Son père, qui étoit un riche Marchand ,
lui fit faire les premières études dans fa
Patrie, & l’envoya enfuite à Paris pour
y étudier en Philofophie. Les progrès
rapides qu’il y fit annoncèrent ce qu’il
devoit être un jour. Il avoit beaucoup
de fagacité, 6c un efprit d’invention ,
qui fe tourna d’abord du coté des Arts 6c des Machines. La Nature l’avoit encore
favorifé de mains adroites 6c ar-
tijies, fi l’on peut parler ainfi, qui le
mettoient en état d’exécuter tout ce que
fon imagination pouvoit lui repréfenter.
Il alloit dans les boutiques de toutes
fortes d’Ouvriers pour avoir le plaifir
de les voir travailler, & confidérpit fur-
tout tes divers outils dont m m fervoieot
R O H A U L T. pour l’exécution de leurs ouvrages. C ’é-
îo i t , dit M. Clercelier, une des chofes
qu’il admiroit le plus, 6c en quoi l’in-
duftrie de l’efprit humain lui paroiffoit
plus merveilleufe. Dans le tranfport de
fon admiration , il lui venoit une multitude
d’idées tant fur la perfection de
ces outils, que fur la manière de faciliter
le travail des Ouvriers , 6c de diminuer
leur peine, 6c dont ces mêmes
Ouvriers favoient bien profiter. Il met-
toit auflï la main à l’oeuvre pour leur
faire mieux comprendre fa penfée, 6c
perfeétionnoit ainfi infenfiblement les
Arts. Cette forte d’occupation ne pre-
noit cependant rien fur les études ; il la
regardoit comme un délaffement utile,
qui pouvoit à tous égards le rendre capable
d’une plus grande contention. Rentré
chez lu i, il luivoit fon cours de Philofophie
, auquel l’étude des Mathématiques
faifoit quelquefois diverfion. Son
Profeffeur parioit louvent de cette fcience,
mais il ne l’enfeignoit pas. Rohault
voulut effayer s’il ne pourroit point
l’apprendre lui-même : il fe procura les
meilleurs élémens , 6c les lut avec une
facilité incroyable. Son efprit aCtif 6c
pénétrant lui préfentoit toutes les fuites
d’une propofition, de forte qu’il pré-
voyoit les fuivantes : on auroit dit qu’il
les inventent; 6c la connoiffance des
principes de Mathématiques fut bien
moins le fruit de fes le&ures, que les
productions de fon propre génie.
Cette difpofition heureufe lui fit con<
noître que la nature le deftinoit à inf-
truire les hommes 6c à les éclairer. II
fe dévoua donc abfolument à l’étude des
fciences, & en fit déformais fon unique
occupation : il chercha la vérité avec
ardeur. À cette fin, il lut les Ecrits des
Philofophes anciens 6c modernes, 6c y
puifa des lumières très-abondantes. Mais
celui qui l’éclaira le plus, ce fut Pil-
luftre Defcartes. Il fut émerveillé de la
doétrine de ce grand homme , 6c devint
un de fes plus zélés feftateurs : ce qui lui
concilia l’amitié de M. Clercelier; Traducteur
des Lettres de Defcartes, 6c digne
admirateur de la beauté de fon génie.
M. Clercelier ne put apprendre fans
émotion la haute eftime qu’en faifoit
Ro h au l t , qui avoit déjà une réputation
parmi les Sa vans. Il fit connoiffance
avec lui, 6c fes fentimens d’eftime dégénérèrent
bientôt en un tendre attachement
; il voulut même en ferrer les noeuds
par des liens indiffolubles, 6c malgré les
oppofitions de fa famille, il lui donna fa
fille en mariage.
Autant pour reconnoître cette marque
d’amitié , que pour fnivre fon inclination
, Rohault forma la réfolution de
répandre la Philofophie de Defcartes.
D’abord il prit des Ecoliers chez lu i, 6c fes leçons furent fi goûtées, qu’il lui
en vint de toutes parts. Il fit peu de temps
après des conférences publiques une fois
la femaine, 6c ce fut avec le plus grand
éclat. Des perfonnes de tout état, de
l’un 6c de l’autre fexe, vinrent en foule, 6c comme à l’envi les uns des autres,
l’entendre 6c l’admirer. On lui propo-
foit des difficultés , on lui faifoit des
queftions, on formoit des objections, 6c fes réponfes étoient autant d’oracles.
C ’étoit la Phyfique fuivant les principes
de Defcartes qu’il enfeignoit. Sa méthode
confiftoit à expliquer l’une après
l'antre toutes les queftions de Phyfique
, en commençant par établir des
principes & à en déduire l’explication
des effets les plus curieux de la nature.
Avant que de commencer, il faifoit un
difeours d’environ une heure, lequel
n’étoit point étudié, dans lequel il difoit
fimplement ce que fon fujet lui fournit
foit fur le champ à l’efprit : aufli permet-
toit-il à chacun de l’interrompre, quand
il arrivoit que ce qu’il avoit dit ou
n’avoit pas été bien compris , ou que
quelqu’un trouvoit quelqu’objeCtion à y
taire. Alors avec une patience admirable
, il écoutoit paifiblement tout ce
qu’on lui vouloit objeCter, fans interrompre
jamais celui qui parioit, quelque
mal qu’il pût le faire ; 6c après avoir
répondu à fes objeâions, il reprenoit
le fil de fon difeours où il l’avoit quitté, 6c continuoit à expliquer la matière qui
en faifoit le fujet.
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