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L A H I R E.*
C E u x qui ne voient les Mathématiques
que de loin, dit un des
plus beaux efprits de ce fiècle ( a ) , c’eft-
à-dire qui n’en ont pas de connoiffance,
peuvent s’imaginer qu’un Géomètre,, un
Méchanicien , un Aftronome , ne font
que le même Mathématicien : c’eft ainfi
a peu près qu’un Italien, un François &
un Allemand palTeroientà la Chine pour
Cornpatriotes. Mais quand on eft plus
inftruit & qu’on y regarde de plus près ,
on fait qu’il faut ordinairement un homme
entier pour embraffer une feule partie des
Mathématiques dans toute fon étendue ,
& qu’il n’y a que des hommes rares ôc
d’une extrême vigueur de génie qui puif-
fent les embrafler toutes à un certain
point. Le génie même, quel qu’il fût, n’y
fuffir oit pas fans un travail aflîdu Ôc opiniâtre.
On doit juger par là combien
grande fut la perte d’Hughens , qui avoit
cultivé avec un égal fuccès toutes les parties
des Mathématiques. Les Savans véritables
la fentirent vivement. Comme ils
n’avoient point encore vu un Mathématicien
fi univerfel, ils ne fe flatoient pas que
la nature fît de long-temps un pareil miracle.
Ce' fut une furprife bien agréable,
lorfqu’on vit les productions du fuccefîèur
de ce Philolophe. Non-feulement il approfondit
& perfectionna prefque toutes
les parties des Mathématiques , mais il
recula encore les bornes de la Phyfique ôc
celles des Arts. L ’Auteur de fon éloge que
je viens de .citer, dit qu’il auroit formé feul
une Académie des Sciences. Il le compare
ingénieufement à cet ACfceur que deman-
doit à Néron un Roi d’Arménie, qui par fes
différens talens pût jouer toutes fortes de
rôles, & former lui feul une troupe entière
de Comédiens.
Ce grand homme qui s’appslloitP/y7//?z?e
* Elogp de At, de la Flirt f pat Al. de FomeuelU...E t
fes Ouvrages.
de LA Hire , naquit à Paris le iS Mars
164.0, d’un Peintre habile de ce nom ,
lequel étoit auiïï Peintre du R o i, ôc Pro-
feflèur en fon Académie de Peinture ôc de
Sculpture. Il apprit le Deffein , la Per-
fpeCtive ôc la Gnomonique, c*efi-à-dire la
fcience des Cadrans, à laquelle il fut conduit
fans doute par l’étude de là Perfpec-
tive. Le but de ces travaux étoit de fe
mettre en état de s’élever aux places de
fon père ; mais quoiqu’il fît aflez de progrès
dans la Peinture, il fentit en étudiant
la Gnpmonique une facilité fi grande de
projetter fur des plans différens les cercles
de la fphère, qu’il fembloit qu’il avoit appris
depuis long-temps i’Aftronomie, tant
l’arrangement des cieux lui étoit familier.
Il s’apperçut bien de cette heureufe dif-
pofition , mais il nelafuivit pas, pour ne
point fe diftraire de la Peinture, à laquellé
il croyoit devoir s’attacher par état. Il ré-
folut même d’aller en Italie pour s’y perfectionner
, en étudiant, le pinceau à la
main , les beaux tableaux que ce pays
pofsède. Ce voyage devint aufli néceflai-
re à .fa fanté. A la mort de fon père , il
commença à être affligé par des infirmités
douloureufes. I l eut des palpitations de
coeur très-violentes. Les Médecins crurent
que l’air de l’Italie lui feroit avantageux
, & lui confeilîèrent d’avancer le
temps de fon départ. Il partit pour Venife
en 1660. Il avoit alors dix-fept ans.
Son premier foin en arrivant fut de
connoître les beaux monumens de l’Antiquité
qu’il y a dans cette Ville. Il tâ-
choit de former fon goût en connoilfant
ces beautés ; mais cette occupation
ne le fixoit point alTez pour remplir tous
fes momens. Quoiqu’il fut apprécier ce
qu’il voyoit, fou imagination ne pouvoit
fe monter à ce ton d’enthoufiafme qui for-
(<») M,.de Fontentlle dans l'elerge de U Hire. H I