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le follicitèrent à s’ établir , & devenu
aîné par la mort de fon frère, à repré-
fenter la famille. Il étoit dans l’âge où
les avantages d’un droit d’aîneffe dévoient
faire de fortes impreftions : mais
le recueillement dont il s’étoit fait une
habitude, & le charme des Mathématiques,
lui firent préférer à une vie pai-
fible 6c ftudieufe, les honneurs dont devoit
néceffairement jouir l’aîné d’une
famille diftinguée.
Pour fe fouftraire aux follicitations ,
il prit même le parti d'embrafler l’état
Eccléfiaftique, 6c fut ordonné Prêtre à
l ’âge de vingt-quatre ans. Ce parti fut
blâmé de tout le monde; mais le temps
fit voir que Mo l i e r e s a voit mieux
jugé des événement que les perlonnes
les plus contommées. Son père ne cefi
foit de déranger les affaires par une m. u-
vaife économie. Il perdit un procès
conii'lérable. Enfin ia gelée des oliviers
en 1709 acheva de le ruiner. Il ne refia
à 1 Abbé de Molieres qu’une penfion
alimentaire qui lui iervit de titre clérical.
C’étoit trop peu de chofe pour vivre
décemment dans le monde. Notre Phi-
lofophe rétolut de le quiiter. 11 entra
dans la Congrégation des Pères de l’Oratoire
, & y enfeigna avec fuccès les Humanités
6c la Philofophie dans les Collèges
d’Angers, de Saumur 6c de Juilly.
Il fe lafla pourtant de cette occupation ,
& ennuyé d’une vie trop uniforme, il
crut devoir prendre enfin l ’effor, ÔC
venir dans la Capitale du Royaume pour
y acquérir de nouvelles connoiflances.
Il s’en promettoit beaucoup, fur-tout
des lumières du Père MaUhranchc, qui
jouiffoit alors de la réputation la plus
brillante. Il avoir lu les Ouvrages de ce
grand Philofophe, 6c c ’eft cette leélure
qui l’excitoit à fe lier avec lui.
L’efprit de liberté & le défir de fuivre
entièrement fon goût pour l’étude à laquelle
il vouloit Te livrer, l’engagèrent
à quitter la Congrégation de l’Or tôire.
Il demeura à Paris libre & indépendant,
avec la réfolution de profiter de ces
avantages dans la folitude qu’il vouloit fe
ERES.
procurer au milieu de cette grande Ville*
Il ne jouît pas long-temps de la compagnie
du Père Malebranche, ce Philofophe
étant mort en 1715.
Cette perte lui laifla un grand vuide.
Pour le remplir, il fit connoiflance avec
plufieurs Membres de l’Académie Royale
des Sciences, qui le proposèrent à cette
Académie, pour remplir une place vacante
dans la claflë de la Méchanique.
Il y fut reçu en 1711. Jufques-là la fo-
ciété du Pere Malebranche l’a voit engagé
dans l’étude de la Métaphyfique.
Il avoit négligé pour cette étude celle
des Mathématiques, qu’il aimoit toujours
depuis fon enfance; mais fa réception
à l’Académie le ramena à fon goût
primitif : il favoit qu’il étoit deftiné à
travailler à la Méchanique, 6c il voulut
fatisfaire à ion engagement.
Une chofe l’avoit toujours étonné,
c’étoit l’aâion des mufcles du corps humain.
Quelle eft la caufè, difoit-il fou-
vent , de la détermination des mouve-
mens des mufcles, de la durée déterminée.
de ces mouvemens , de l’augmentation
OU de la diminution déterminée de cette
durée , enfin de la promptitude ou vîtejjc
furprenante du changement de quelques-
unes de ces déterminations? On avoit
bien tâché de réfoudre ces problèmes,
mais perfonne ne l’a voit fait d’une manière
fârisfaifante. On faifoit dépendre
l’a&ion des mufcles d’une quantité con-
fidérable, foit d’efprits animaux, foit
d’a ir, foit de fang, qui s’introduifant
dans la capacité du mincie par effufion ,
ou par fermentation, ou par effervef-
cence, ou enfin par explofion, produi-
foit la contra&icn du mufcle , 6c fon
relâchement lorfqu’il en fortoit. Mais
comme ces fermentations ou ces exploitons
éroient abfolument gratuites, on
regardoit les problèmes qui dépendoienî
de l’aâion des mufcles comme non ré-
folus. Notre Philofophe voulut donc les
réioudre, 6i voici ce qu’il imagina pour
cet effet.
On fait que le mufcle eft l’organe du
mouvement de nos membres. Il eft corn-
pofé de trois parties, du ventre, 6c des
MO L I
extrémités , qu’on appelle tendons, par
lefquels le mufcle eft attaché aux os des
parties mobiles. Le ventre du mufcle eft
enveloppé d’une membrane, 6c toute fa
fubftance fe diftribue en plufieurs parties
longues 6c menues qui s’étendent
d’un tendon à l’autre, 6c qu’on nomme
fibres motrices. Les fibres motrices fe dif-
tribuent encore, félon leur longueur,
en plufieurs petites fibres appelées charnues.
Ce font ces fibres, qui s’étendent félon
la longueur du mufcle, qui forment par
leur raccourciffement l’acfion du mufcle.
Elles fe divilènt en un grand nombre de
petites fibres de même nature, aufti longitudinales
, 6z qui font liées les unes
aux autres par des filets nerveux tranf-
verfâux dilpofés le long des fibres
de diftance en diftance. Les petites
fibres charnues font pliées en zigzag , ôc
leurs angles fe trouvent aux endroits où
font les filets tranfverfaux. Enfin les petites
artères qui fe répandent dans le
mufcle font droites, quoiqu’elles foient
liées de diftance en diftance par les filets
nerveux.
C’eft de cette conftru&ion du mufcle
que dépend toute fa force. Lorfque les
filets tranfverfaux s’étendent un peu plus
qu’à i’orJinaire, fur le champ la longueur
des zigzags des fibres longitudinales
d:minue, 6c les Commets des angles
& rapprochent. Ces fibres étant
ainfi plus pliées qu’elles n’étoient, obligent
les petites artères auxquelles elles
tiennent de fe plier aufti, 6c par là tout
le mufcle eft diminué de longueur, fans
qu’une matière étrangère s’y introduife.
Il eft vrai que les petits filets nerveux qui
font la première caufe de cette diminution
du mufcle, font gonflés par quelque
agent, & cet agent eft les efprits animaux
qui coulent dans ces filets nerveux ;
mais il faut poiir produire ce gonflement
fi peu de force, qu’un raccourciffement
prefque infenfible de ces filets fuffit pour
diminuer confidérablement la longueur
du niufcîè.
Cette explication de l’a£Iion des mufcles
fut accueillie comme elle méritoit
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de l’être. Elle annonça ce tpie notre Philofophe
devoit être un jour, je veux
dire un grand Phyficien , & elle lui
valut la place de Profefleur de Phiio-
fophie au Collège Royal. Ce fut ici une
raifon encore plus puiflante pour lui de
s’attacher déformais à la Phyfique. Il fe
dîfpofa à cette étude en reprenant celle
des Mathématiques. Il fentit que cette
fcience étoit néceflaire pour l’intelligence
des principes de la Phyfique, &
il crut devoir en enfeigner les élémens à
fes Ecoliers avant que de leur donner
des leçons fur ces principes. A cette fin,
il compofa un Traité de la grandeur en
général, dans lequel il expofa les règles 6c les opérations de l’Arithmétique 6c
de l’Algèbre. Ce Traité parut en 1726
fous le titre de Leçons de Mathématiques
nécejfaires pour Lintelligence des principes
de Phyfique qui s'enfrégnent actuellement
au Collège Royal. Il devoit être fuivi des
élémens de Géométrie 6c de Méchanique
; mais l’envie qu’il avoit de pafler
à la Phyfique le détourna de la compo-
firion de ces élémens. Il crut qu’il iuf-
fifoit d’en donner quelques leçons de
vive voix à fes Ecoliers , 6c des leur recommander
la lefture des Ouvrages des
PP. Taquet 6c Defchales fur ces deux
parties des Mathématiques. Il rouloit
depuis long-temps dans fa tête des idées
nouvelles fur la caufe générale des phénomènes
de la nature. Ces idées fe mul-
tiplioient tous les jours, 6c fe forti-
fioient les unes les autres. En les réunifc
fant, il vit avec autant de joie que de
furprife qu’elles formoient un nouveau
fyftême de Phyfique, par lequel il four-
niffoit aux Phyfïciens des raifons évidentes
des principaux phénomènes de la
nature ; aux Aftronomes, des caufes
phyfiques des mouvemens céleftes ; aux
Chymiftes, des opérations claires & intelligibles
de leurs opérations.. Ce fy f tême
confiftoit à ramener tous les effets
de la nature aux principes des Mécha-
niques.
Defcartes croyoit que tout ce qui
s’opère dans l’univers, n’eft qu’un mé-
chanilnie perpétuel. Et Newton, qui avoit