24 T Y C HOdonna
des avis pour conferver la protection
de l’Empereur, & leur fit Ton dernier
adieu. Cette famille défolée reçut
avec des larmes de fang les marques de
tendreffe de ce grand homme , qui eut
la confolation de voir combien il étoit
chéri & regreté. Il mourut le 24-Octobre
de l’année 16 0 1 , âgé de cinquante-
quatre ans & dix mois.
Il fut enterré avec beaucoup de'pompe
dans la principale Eglife de Prague, où
on lui érigea un magnifique tombeau ,
que Kepler décora de cette épitaphe :
Jamdudum furfumnuncprimumfpedlo deorfumt
Defpiciens Mundum, fufpicienfque Deum.
Le 4 Novembre M. Jean Jejfen prononça
dans l’Eglife fonOraifon funèbre en
Latin, à laquelle afiîftèrent les perfonnes
delà première diftinébion, & tous les Sa-
vans qui étoient à Prague. Ce difcours
fut imprimé dans le même mois fous ce
titre : De vit a & mortis illujîri generofi
viri Domini T ychonis-Brahei , Equitis
Dani, Domini in Knudjîrup Huence Hel-
lefponti, Danici infulce prcefeBi, AJlreno-
morum hoc Jceculo principis, die 24 OBo-
bris anni M. D C . I. Pragæ deftderati 4
Novembris in Templo veteris urbis primario.
Rïtu Equejlri honorijicè tumulati Oratio
Funebris, Joannis Jelfenii à Jeifen.Pragce,
zypis Georgii Nigrini, anno M. DC. 1.
Perfonne n’a eu plus de zèle que lui
pour le progrès de l’Aftronomie. Il avoit
dépenfé en inftrumens des fommesconfi-
dérables. Il cultivoit aufii laChymie avec
plaifir , 6c avoit beaucoup de goût pour
laPoëfie. Il a fait même des vers Latins,
qui ne font pas mauvais. Mais il conferva
unfoible pour l’Aftrologie. Quoiqu’il reconnût
la fauffeté des prédictions, il ne
fe défabufa point. 11 crut d’abord qu’il y
avoit de l’erreur dans les calculs, d’après
lefquels ces prédictions avoient été faites.
I l corrigea cette erreur ; & l’ac-
compliffement ne fuivit pas la prédiction.
Il attaqua alors le principe : il s’imagina
qu’en réformant les règles de l’Aftrolo-
gie, il perfeCtionneroit cette fauffefcience.
Dans çette perfuafion, il devint Prophète.
B R A HÉ.
Il publia dans fon Traité de la Comète
de l’année 15*77, que cet Aftre annon-
çoit qu’il naîtroit vers le Nord dans la
Finlande un Prince qui dévafteroit l’A llemagne
, 6c qui difparoîtroit en 1632.
Cela étoit dit au hazard, 6c ne laifïa pas
que d’arriver, fi l’on en croit les Af-
trologues ; car le Roi Gujlave- Adolphe
naquit vers le Nord dans la Finlande,
défola toute l’Allemagne, 6c mourut en
1632. On prétend encore qu’ayant été
confulté par l’Empereur s’il devoit fe
marier, il confeilla à ce Prince de n’en
rien faire, parce que les enfans qu’il devoit
avoir feroient très-cruels. L ’Empereur
fuivit ce confeil, & ne fe maria
point. Il fe contenta d’une très-belle
concubine , qui lui donna un fils tel que
T Y c H o-B R A H É l’avoit défigné. En
effet, lorfque cet enfant fut homme, il
eut une maîtreffe , qu’il traita le plus iiv*
dignement du monde. Un jour ayant fou-
haité d’elle quelque chofe qu’elle refufa
de faire, il lui déchira le corps à coups
de fouet. L ’Empereur fut fi courroucé
de cette férocité , qu’il lui fit ouvrir les
veines. C ’eft Tollius qui rapporte cette
hiftoire dans fes Epiflolce itineratorice.
M. Chauffepied, dans fon Dictionnaire »
la fufpeCte beaucoup, 6c allègue des preuves
allez fortes de fon fentiment.
Quoi qu’il en fo it, il eft certain que
notre Philofophe reconnut, avant que de
mourir, la fauffeté de l’A Urologie: mais
on allure qu’il fut fuperflitieux pendant
toute fa vie. Lorfqu’il rencontroit une
vieille femme en fortant de chez lui, il
rentroit auflî-tôt, parce qu’il croyoit que
cette rencontre étoit de mauvais augure.
Il en ufoit de même dans fes voyages,
lorfqu’il trouvoit un lièvre en fon che^
min. Dans fa maifon d’Uranibourg, il
avoit un fou, nommé Lep, qui fe tenoit
à fes pieds lorfqu’il étoit à table, 6c à
qui il donnoit lui-même à manger. Per-
fuadé que les paroles des fous préfa-
geoient toujours quelque chofe , il écou-
toit avec attention ce que le lien difoit,
Sc l’expliquoit de manière que le hazard
vérifioit quelquefois fes conjectures.
T o u t e s ç e s f o i b l e f T e s f o n t f a n s d o u t e
des
TY CHO-
'des taches dans la vie de ce grand 'homme.
I l avoit encore un défaut dans la
Société : c’étoit d’être colere & chagrin
pour la moindre chofe; d’être attaché
avec opiniâtreté à fes fentimens, 6c de
ne point vouloir qu’on le contredît. I l
ne ménageoit rien alors , & perfonne
n’étoit exempt de fa mauvaife humeur.
I l aimoit naturellement la raillerie, 6c
raillôit volontiers les autres; mais il ne
pouvoit fouffrir qu’on ufât de repréfailles.
Cela fait voir que les plus grands
cfprits ont ( comme le dit Nicole dans fes
EJfais de morale ) des endroits fombres
& ténébreux, La grande contention de
B R A H È : 2$
T ych o-B rahé dans fes études, pouvoit
bien avoir produit ces inégalités de
fon ame : car le cabinet augmente la fenfi-
bilité autant qu’elle nous détache du grand
monde. Voilà ce quec’efi que l'homme;
il ne peut tout concilier. Notre Philofophe
avoit trop gagné d’un côté , pour
ne pas perdre un peu de l’autre. Aufii
ce qu’il a écrit eft digne de la plus grande
admiration. Les Poè'tes latins l’ont bien
célébré dans des vers qu’ils ont confa-
cré à fa mémoire, 6c ils ont concouru par
là à faire paffer à la poftérité le nom
d’un homme que fes ouvrages rendront
immortel.