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fur le fyftême de l’univers des idées bien
différentes de celles de Defcartes., ne dé-
fapprouvoit le fyftême de ce Philofophe,
que parce qu’il ne le trouvoit pas affez
bien affujetti aux loix des Méchaniques.
Le lien eft lin pur méchanifme ; mais,
félon Molieres, un méchanilme interrompu.
Pour le rendre continu, il
fau t, dit notre Phyficien, conferver
les tourbillons de Defcartcs, 6c en corriger
la théorie ; admettre le plein; enfin
concilier les deux fyftêmes de Defcartes 6c de Newton l’un avec l’autre.
Bien perfuadé que c’étoit là le véritable
moyen de connoître le fyftême
de l’univers , il travailla à fon projet
avec tant d’a&ivité, qu’il fut en état
de le rendre public en 173 3 , 6c de donner
même une partie de Ion exécution.
Ce fut fous le titre de Leçons de P h y ji-
que, contenant les Elèmens de la Ph y ji-
que , déterminées par les feules loix des
Méchaniques , expliquées au Collège Royal
de France. Ces leçons formoient un volume
in - 12 , qui devoit être, fuivi de
trois autres. Dans celui-ci, il débuta par
l’expofition des loix générales du mouvement;
ébaucha la théorie des tourbillons
; 6c après avoir rejetté les élé-
mens de Defcartes, 6c défini l’éther un
efpace compofé de petits tourbillons qui
occupent tout l’univers, il s’attacha à
prouver fon infenfible réfiftance.
Tout ceci annonçoit un nouveau fyftême
de Phyfique formé aux dépens de
celui de Defcartes. Dans le fécond volume
de fes Leçons de Phyfique qu’il
mit au jour en 1736 , il compléta fa
théorie des tourbillons, en expliquant
par eux l’origine des corps céleftes, 6c
les loix de leur mouvement. Et prenant
enfuite les chol'es plus en grand, il examina
en particulier les principaux agens
de la nature ; favoir, l’air, l’eau, l’huile,
le feu 6c le fel. Cet examen le conduifit
à la Chymie, dont il développa les principes
6c les opérations ; & de la Chymie
il paffa naturellement à l’explication des
météores 6c du magnétifme. Ce fut ici
la matière dutroifi.ème volume qui parut
en 1737- Enfin deux ans après il publia
le quatrième & dernier volume T
dans lequel il traita de l’Aftronomie phyfique
, du choc des corps à reffort, de la
lumière, du fon 6c des couleurs. C ’étoit
un fupplément en quelque forte à fes
premiers volumes, un degré de plus de
perfe&ion qu’il vouloit donner à fes nouvelles
idées ; car il avoit parlé de la plupart
de ces chofes dans ces volumes :
mais lorfqu’on publie un fyftême par
parties, il arrive fouvent que le jour de
î’impreftion, le jugement du Public &c
fes propres réflexions font découvrir les
endroits foibles, 6c le moyen de les corriger.
Voilà précilément ce qu’il fait dans
le quatrième volume , oii il donne le
coup de maître, en démontrant de nouveau
fa théorie, &c en traitant des quef-
tions qu’il avoit négligées, 6c dont il
convenoit qu’il donnât la folution. Mais
c’eft fur-tout fon fyftême qui l’occupe, 6c auquel il rapporte tous les autres fu-
jets qu’il traite. Il rappelle tout à la pure
Méchanique ; 6c parce que le méchanifme
, comme caufe immédiate de tous
les phénomènes , eft le ligne cara&érif-
tique du fyftême de Defcartes, notre Philofophe
le fuit conftamment quant à fa
méthode 6c à fes principes; mais il n’hé-
lite point à le quitter lorfqu’il croit qu’il
s’écarte de la nature. D ’abord fes tourbillons
ne font point de la même nature
que ceux de Defcartes. Ce Philofophe
veut qu’ils foient compofés de globules
durs 6c inflexibles, 6c les globules des
tourbillons de Molieres font fluides,
élaftiques ,. capables de dilatation 6c de
contra&ion. Ces globules deviennent encore
entre fes mains de vrais tourbillons
par le mouvement de rotation , auquel,
félon lui, ils font en proie. En fécond
lieu, quoique notre Philofophe admette
le plein, il prétend que la matière qui
le compofe ne réfifte point au mouvement
des corps céleftes : prétention un
peu hafardée ; car, comme le remarque
fort bien M. de Mairan•, la réfiftance 6c
l’impulfion font deux effets inféparables
d’une même propriété de la matière. En
admettant l’impulfion, comme le fait
Molieres, il faut donc admettre une
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réfiftance. Et fi l’on admet une réfiftance
dans le plein, comment les planètes le
traverferont-elles lans que leur mouvement
en foit troublé?
Notre Philofophe n’ignoroit point ces
difficultés dont il ientoit toute la force :
mais il en trouvoit de beaucoup plus
grandes dans le fyftême de Newton, où
l’on tuppofe que les corps céleftes nagent
dans un vuide immenfe, comme livrés
à eux-me mes, 6c retenus par une force
métaphyfique ( l’attradion ) dont il eft
impoflible de fe former une idée.
M o l i e r e s perfifta donc à recon-
noître ou fuppofer un torrent de matière
qui emporte avec foi les planètes
d’occident en orient, 6c qui les détermine
à fe mouvoir dans le même fens
autour du foleil. Il ne fongea plus qu’à
étayer fon fyftême des tourbillons, 6c
fe difpofa à répondre à toutes les objections
qu’on pourroit faire contre ce fyftême.
C’étoit fe donner bien de l’ouvrage.
Car en fe déclarant Cartéfien,
il fe donnoit pour adverfaires tous les
Neutoniens, c’eft-à-dire des Phyficiens
foutenus par les nouvelles découvertes
qu’on avoit faites dans l’Aftronomie , lesquelles
étoient favorables au lÿftême de
l’attraâion, 6c armés d’une forte Géométrie
qui rendoit leurs argumens très-
redoutables. Notre Philofophe ne tarda
pas à éprouver la vigueur de leurs coups.
Le premier quife préfenta au combat, eft M. B.mieres. Dans un Traité qu’il
publia fur la lumière, il tira à boulets
rouges fur les tourbillons. Il prétendit
qu’on ne pouvoit admettre des corps
dont la confervation ne peut s’accommoder
avec les loix de la Méchanique.
Comme les petits tourbillons font des
corps fphériques ou elliptiques, ils ne
fauroient fe toucher immédiatement par
tous les points de leur furface. Lis laiffent
donc des efpaces angulaires , lefquels ne
fauroient être remplis par d’autres tourbillons.
En vain multiplieroit-on les ordres
6c les efpèces de ces petits tourbillons;
en vain en placeroit-on de plus
petits dans les efpaces que les plus grands
laiffent eutr’eux , 6c encore de plus pe-
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tits entre les efpaces que laiffent ces derniers
, 6c cela jufqu’à l’infini, on ne
remplira jamais le vuide que formeront
entr’eux ces tourbillons ; & fi on ne
peut les remplir , ces tourbillons fe détruiront
nécelfairement. En effet, comme
ils ont une grande force centrifuge, 6c
que chacune de leurs parties fait de grands
efforts pour s’éloigner du centre de fon
mouvement, ces parties s’échapperont
par lés vuides dont nous venons de parler
, 6c par là le mouvement circulaire
ceffera, 6c le petit tourbillon fera détruit
: ce qui arrivera dans tous lés points
de l’efpace qu’on fuppofe rempli de tous
ces petits tourbillons.
Mo l i e r e s répondit à cette objection
, que les parties des tourbillons ne
peuvent s’échapper par les efpaces que
ces tourbillons laiffent en'tr’eux, quelque
tendance qu’ils ayent à le faire, 6c
cela par cette raifon purement méchanique
: que les points qui forment les
tourbillons ne peuvent entrer dans les
efpaces qu’ils laiffent entr’eux, à moins
que ne forte de ces efpaces la matière
qui les remplit, laquelle eft impénétrable,
quoiqu’elle n’ait pas acquis la forme
de tourbillon. Or la matière qui remplit
ces efpaces angulaires ne peut en fortir ,
par la raifon que tout eft plein. Donc , 6cc.
D’autres Critiques fe joignirent à M.
Banieres; mais l’adverfaire le plus redoutable
fut M. l’Abbé Sigorgne, Pro-'
feffeur de Philofophie au Collège du
Pleffis, 6c Auteur d’un très-bel Ouvrage
intitulé , Injütutions Neutoniennes. Ce Savant
publia en 1740 un Examen des Leçons
de Phyfique de M. de Molieres , dans
lequel il attaqua les tourbillons de notre
Philofophe, 6c fur -tout ceux de la fécondé
efpèce, & fes globules élaftiques.
M o l i e r e s répondit, 6c M. Sigorgne
répliqua par un Ecrit qui parut en 1741
fous ce titre : Réplique à M. de Molieres ,
ou demonjlration de Vimpoffibilité des petits
tourbillons. Ici cet adverfaire de notre-
Philofophe tranchoir dans le v if; il ne
ménageoit rien ; 6c convaincu que fes
argumens étoient invincibles , il chantoit