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 tant  d’artifice,  celles  d’une  mouche  à  
 miel  pour  conftruire  fa  ruche,  6c  plu-  
 fieurs  autres qui  paroiflent exiger beaucoup  
 d’intelligence,  &   même  une  intelligence  
 à celle de l’homm e,  elles n’en  
 font  pas  moins  méchaniques ;  car avec  
 quelque  jufteffe  qu’elles  puiflent  agir,  
 ont-elles  jamais  rien  fait  qui  approche  
 de  celle  avec  laquelle  la  moindre  fleur  
 pouffe fes tiges,  les boutons 6c fes feuilles  
 ?  Une  mouche  à miel a-t-elle jamais  
 fait  les compartimens  de fa ruche mieux  
 compafles  que ceux  d’une grenade ?  Ce  
 n’eft  pas  tout  :  fi  c’étoit  avec  intelligence  
 ou connoiflance que les bêtes agif-  
 fen t,  il faudroit  conclure  que leurs  con-  
 noiflances  font  iupérieures  à  celles  des  
 hommes, 6c par conféquent  qu’elles font  
 plus  parfaites  que les  hommes :  ce  qui  
 çft abiurde. 
 C on venons  donc  que les bêtes n’agif-  
 fent  que  par  l’inftinâ  de  leur  nature,  
 qu'elles  n’agi flent  point pour une fin,  6c  
 qu’elles  font  portées  à  toutes les chofes  
 qu’elles  font  fans  qu’elles  entendent  6c  
 y   connoiflènt  la moindre choie. 
 Mais fi  cela  e ft,  les bêtes  n’ont point  
 d’ame.  Non  aflurément,  fi  l’on  entend  
 par le  mot  a/ne une fubftance qui penfe,  
 dont  les  propriétés  font  de  concevoir  
 ou  d’imaginer  en  plufieurs  façons,  de  
 douter,  de  juger, de  raifonner, de fen-  
 tir ,  de  vouloir ,  d’aimer,  de  haïr , -en  
 un  mot  ,  de  penfer  de  toutes  les  manières  
 ,  dont  nous  éprouvons  que  nous  
 fommes  capables.  Or fi  les  bêtes  n’ont  
 point  de  connoiflance,  elles  n’ont point  
 d’ame.  Ce  qu’on  appelle  ame  en  elles,  
 eonfifte  dans  la  figure  6c  la  difpofition  
 de  toutes  les  parties ,  6c  particulièrement  
 du  fang  6c  des  efprits ;  fans quoi  
 toute  leur  machine  feroit  fans  afrion,  
 de  même  qu’une montre  n’auroit  point  
 de  mouvement fans refiort. Sans  la pen-  
 fée ,  un  homme  feroit  femblable  à  une  
 bête : àinfi, fi  un homme pou voit fe per-  
 fuader  qu’d  ne penfe  point,  il  pourroit  
 prétendre  n’être  qu’une  pure  machine;  
 mais  fe  perfuader  qu’on  ne penfe point,  
 c’eft effe&iveroent  penlèr. 
 S y fté m e   de  R  o  H A  U L  T  f u r  le  m yJR re  de  
 l 'E u ch a rijlie, 
 Comment, après les paroles de la con-  
 fécration,  le  pain  6c  le vin font-ils réellement  
 changés  en corps &  en  fang  de  
 J.  C.  quoique les  apparences du pain 6c  
 du vin fubfiltent toujours?  C’efl; que les  
 accidensdu pain 6c du vin peuvent exifter  
 par la  puiflfance infinie de D ieu, féparés  
 du  pain  6c  du  vin.  En  effet,  tout  ce  
 qu’on apperçoit,  après les paroles  de la  
 conlécration ,  font des modes,  qui font  
 coniervés  miraculeufement après que la  
 fubflance du  pain  6c  du  vin  a  été  convertie  
 au corps 6c au fang de J. C. Il ne  
 s’agit  donc  que  de faire  voir  comment  
 Dieu peut  faire  fubfifter  les accidens du  
 pain  6c  du  vin ,  fans  le  pain 6c  le vin ,  
 pour  expliquer  le  myftere  de  l’Eucha-  
 riflie. 
 On peut concevoir  de deux maniérés  
 la  puiflance  de  D ieu, l’une  en connoif-  
 fant  pofitivement  que  des  choies  font  
 pofîïbles,  l’autre  en  ne  connoiflant  pas  
 pofitivement  qu’elles  font  impoflibies,  
 quoiqu’eiles  foient  inconcevables.  Cela  
 pofé,  nous  ne  trouvons  pas  impofîible  
 que  Dieu  puiffe faire  fubfifler  les  accidens  
 du pain  &c  du vin fans la fubflance.  
 Il  fuflit  pour  cela  que  l’ame  1e  trouve  
 difpofée  de  même  que  fi  elle  apperce-  
 voit réellement le  pain 6c  le vin ,  ou  la  
 fubftance  par le fers, comme elle pourroit  
 être  difpofée  à fentir la chaleur fans  
 qu’il y   eût  aucun  corps  chaud  préfent,  
 6c  à  appercevoir  des  couleurs  fans  la  
 préfence  d’un  corps  coloré ;  car la chaleur  
 que nous  fentons auprès d’un  feu ,  
 n’eft  point  dans  le  feu ,  mais dans  nos  
 mains,  6c  la  couleur  que  nous  voyons  
 dans  ces objets  n’eft  point dans  les objets  
 ,  mais dans nos yeux. 
 Il  y a donc une féparation a&uelle des  
 accidens,  c’eft à dire , deces imprefîïons  
 de  nos  fens  d’avec  ces  fubftances  auxquelles  
 l’imagination  les  attache.  Il  eft  
 vrai que  nous ne voyons jamais du  pain  
 6c  du  vin  fans  qu’il  n’y  ait  du pain  6c 
 R O   H A V  L T .   x9 
 du  vin préfens ; par conféquent,  que les  
 accidens du  pain  St du vin font naturellement  
 inféparables  des  fubftances  du  
 paiMn a6ics  dsu’i lv ainrr.ivoit que nous euflions des  
 impreffions qui nous portaffent d’elles-me-  
 mes  à  croire que certains  objets- «'fient  
 préfens,  quoiqu’ils  ne  le  fuflent  pas- en  
 effet,  8i  que nous  vidions Si que  nous  
 fentiffions  du  pain  Si  du  vin  (ans  qu il  
 y   eût  du pain  Si du  vin p ré fe n sc e  H   
 toit  alors qu’on  aurait fujet de  dire que  
 ces  accidens  font-fépares  de  leur  ùibt-  
 tance,  non  pas  de  celle  qui. les  reçoit  
 &  qui  les  fent,  mais  b i e n   de: celle  qui  
 les  produit,  &  à  laquelle  l’imagmation  
 les  attache.  O r  c’eft  ce  qm arrive  d.ns  
 l’Eùchariftie,  dont  le myftere »  félon la  
 dom ine  de  l’Eglife,  eonfifte  en  trots  
 chofes ■  i °.  En ce que le corps Si le lang  
 de J  C. font réellement Si véritablement  
 préfens ; H En ce que le pain  St  le  vin  
 ite  font  plus après la confécratiom, étant  
 réellement changés  en  corps  Si  en  iang  
 de J.  C.  3°.  En  ce qu’il  refte  des  apparences  
 du pain Si du  v in , 8i  qu’elles ne  
 peuvent être véritablement produites que  
 par du pain Si du vin réellement prefens. 
 Et  comme  les  apparences  nous  re-  
 préfentent du pain &  du vin, 8i qn elles  
 ne  peuvent  être  produites  que  par  dit  
 pain Si  du  vin  réellement  prefens,  on  
 doit  les  appeller  des  accidens  du  pain  
 §£ dix  vin.  Cependant  la  Foi  nous  enfeigne  
 que  le pain 8t le vin  ne font plus :  
 elle nous enfeigne donc  aufiî que ces accidens  
 ou  ces apparences  du  pain Si du  
 vin fubfiftent fans le pain Si le vin par un  
 effet de la  puiflance  divine. Voilà  donc  
 proprement  des accidens  fans fubftance. 
 Mais  cet  effet  eft  - il  poffible ?  Sans  
 doute ;  car  il eft  certain que Dieu peut  
 faire  par: lui-même fur nosfens la meme  
 impreffisn que le pain & le vin y feroient,  
 s’ils In’avoient  pas  été  changés. O r con-  
 forver  ces:  imprefiïons  fans  les  caules,  
 c’eft-proprement conferver  des accidens  
 fans leur, fubftance., n’y  ayant  perfora»  
 qui:  appelle  la  fiveur  S i   la  couleur  du  
 vin les acadiens du vin. 
 A cette  explication du  grand myftere  
 de FEuchariftie:,  les  Héréticpies  obiec-  
 tent que  les  accidens  (ont  inféparables  
 de  leur fubftance ,  Si  qu  fi nous avons  
 actuellement  la  fenfatton  des  accidens  
 fans- la  préfence  de  la  fubftance ,  c’eft  
 une  pure  illuûon;  8i  Rohault  fait  à  
 cela  cette fage. réponfe :  Pour  éviter  les  
 conféquences que d -S  p rfo nn s  moins  equi-  
 tables  pourraient  tirer  de  notre  doctrine ,  
 nous  nous  croyons  obligés  de  réitérer fo u -   
 vent  celte proteftation ,  &  défaire une pro—  
 feffion publique St findre d’embrajjer la fo i  
 de  l’Eglife  Catholique  dans  tous fes  myf-  
 tércs;  de foufenre du fond du coeur a  toutes  
 fes  dédiions ,  St  d’être mille fois plus  attachés  
 à la moindre vérité de F o i, qu’à toutes,  
 les maximes  de Philojophie* 
 Ci j