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x 8c leurs défenfes ne font pas foutena-
» blés - & leurs fautes font auffi claires
» qu’il eft clair que deux 8c deux font
» quatre, (a) «
Cependant F ermât, après avoir attendu
long-temps les remarques de D e f
cartes fur fes découvertes géométriques,
prit le parti d’écrire au P. Merfenne, pour
le prier de lui en donner des nouvelles. Il
préfuma que la caufe de ce délai étoit que
iDefcartes n’eftimoit pas beaucoup ces découvertes
; & pour engager le P. Merfenne
à lui dire la vérité là-delîus ,il lui marqua
•jque de quelque façon que fon ami en pen-
f a t , il ne lui en fauroit pas mauvais gré. 5'il y a quelque petite aigreur, dit-il, comme
il efi mal-aifé qu il n'y en ait, vu la con«•
irariété qui efi entre nos fentimens, cela ne
doit point vous détourner de me les faire voir ;
*ïèar je vous protefie que cela ne fera aucun effet
tnmon efprit, qui.efiJi éloigné de vanité,
’que M . De (cartes ne fauroit m'efiimer f i peu
que je ne m'eflime encore moins : ce n'efi pas
que la complaifance me puifje obliger de me
dédire d'une vérité que ƒaurai connue ,* mais
je vous fais par-là connoître mon humeur.
Obligeç-moi, s'il vous plaît, de ne différer
plus à m'envoyer fes écrits, auxquels par
avance je vous promets de ne faire point de
réplique.
Au pofiferiptum de cette lettre il écrit:
Quand vous voudrez que ma petite guerre contre
Monfieur Defcartes cejje , je n'en ferai
pas marri ; Gr Ji vous me procure\ l'honneur
de fa connoijfance, je ne vous en ferai pas
peu obligé.
Le P. Merfenne ne crut pas devoir différer
davantage de communiquer à notre
Philofophe les remarques ou la critique
que Defcartes avoit faite de fa méthode
de maximis & minimis. Elle opéra l’effet
qu’il avoit prévu, ce fut de l’offenfer.
F ermât fe plaignit au P. Merfenne de
quelques expreffions peu mefurées dont
elle étoit affaifonnée. Cet ami commun
fit part de ce mécontentement à Defcartes, 8c lui dépeignit fon adverfaire comme un
homme qui méritoit des ménagemens à
tous égards.
Defcartes avoit rame trop belle pour
ne pas convenir de fes torts. Autant ami
des bienféances 8c des politeffes que les
honnêtes gens fe doivent entr’eux , qu’il
l’étoit de la vérité, il répondit au P. Mer*
fenne, qu’il étoit fâché de l’avoir offenfé ;
mais que fon traité De maximis Gr minimis
lui ayant été adreffé en forme de cartel’*
de la part d’une perfonne qui avoit réfuté
fa Dioptrique, avant même qu’elle fût
publiée, comme pour l’étouffer avant fa
naiffance, il lui paroiffoit qu’il nepouvoit
lui répondre plus doucement qu’il l’avoit
fait, fans témoigner quelque lâcheté ou
quelque foibleffe,
Quoique Defcartes Juftifïât en quelque
forte fes expreffions, il étoit aifé de s’ap-
percevoir qu’il eftimoit F ermât , 8c qu’il
y avoit lieu de tenter une réconciliation.
C ’eft auffi ce que faifit fon ami le P. Merfenne
: il fit les propofitions de paix, 8c elles
furent acceptées avec une égale fatisfac-
tion de la part des deux adverfaires.
Notre Philofophe rompit le premier la
glace. Il écrivit une lettre très-obligeante
à Defcartes pour lui demander fon amitié, 8c y joignit des éclaircifïemens de fes inventions
géométriques. Defcartes fît une
réponfe trop gracieufe à cette lettre, pour
ne pas en rapporter les traits principaux,
qui font un honneur égal, 8c à celui qui
l ’écrivoit, & à la perfonne à qui elle étoit
écrite.
» Je n’ai pas eu moins de joie ( dit
» Defcartes ) de recevoir la lettre par
» laquelle vous me faites la faveur de
a» me promettre votre amitié, que fi elle
» venoit de la part d’une maîtreffe dont
3» j’aurois paffionnément déliré les bonnes
» grâces. Et vos autres écrits, qui ont
x précédé, me font fouvenir de la Rra-
x damante de nos Poètes, laquelle ne
x vouloit recevoir perfonne pour fervi-
x teur, qu’il ne fe fût auparavant éprou-
x vé contre elle au combat. Ce n’eft pas
x toutefois que je prétende me comparer
x à ce Roger, qui étoit feul au monde
x capable de lui réfifter ; mais tel que je
x fuis, je vous aifure que j'honoreextr,ê-
(a) Lçtires de Defcartes, tom. V. p. }o6 & $07,'
g jpçrçîÇ»}
FER
» mement votre mérite : 8c voyant votre
x dernière façon dont vous ufez pour
x trouver les tangentes des lignes cour-
x b.es, je n’ai d’autres chofes à y répon-
x dire, finon qu’elle eft très-bonne, 8c
x que fi vous l’euffiez expliquée au com-
x mencement en cette façon, je n’y euffe
x point du tout contredit, (b) *
Extrêmement fenfîble à une réponfe fi
flatteufe, F ermât ne crut pas pouvoir
mieux l’accueillir qu’en lui envoyant de
nouvelles découvertes qu’il venoit de
faire fur la Géométrie. Avant que la Géométrie
de Defcartes parût, il avoit eu l ’idée
d’exprimer la nature des courbes par
des équations algébriques. Il avoit déterminé
auffi les différentes formes des équations.
Il découvrit enfui te la manière de
conftruire les équations folides, 8c forma
de ces découvertes deux ouvrages qui ont
paru, le premier fous le titre d'Ifagoge
Topica ad loca plana & folida, 8c le fécond
fous, le titre d’Appendix ad Ifagogem Topi-
cam. l l communiqua tout cela à Defcartes,
qui lui en témoigna fa fatisfaétion en ces
termes :
» Je fai bien que mon approbation
x n’eft "point néceftaire pour vous faire
» juger quelle opinion vous devez avoir
x de vous - même ; mais fi elle y peut
x contribuer en quelque chofe , ainfi que
x vous me faites l’honneur de m’écrire,
x je penfe être obligé de vous avouer
» ici franchement, que je n’ai jamais con-
x nu perfonne qui m’ait fait paroître qu’il
x fût tant que vous en Géométrie, (cj
Le grand Mathématicien qui nous
occupe , n’avoit cependant pas expofé
toute fa capacité. Defcartes auroit porté
bien plus haut fon admiration, s’il eût vu
fon Commentaire des Quejlions arithmétiques
de Diophante, le premier Auteur fur
l ’Algèbre, dans lequel on trouve plufieurs
inventions très - fubtiles d’analyfe, avec
lefquelles il réfolut des problèmes beaucoup,
plus difficiles que ceux que réfolvoit
Diophante ; s’il eût connu fon Traité De
contafkbus fphericis, où il a démontré dans
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les folides ce que Viete n’avoit démontré
que dans les plans ; 8c un autre Traité où
il rétablit 8c démontre les deux livres
d'Apollonius Pergceus des lieux plans ; &
enfin fi F ermât lui eût communiqué
fa méthode pour trouver la dimenfion
des lignes courbes , par le moyen de laquelle
il trouve la mefure de deux courbes
appellées ciffoïde 8c conchoïde , 8c la
quadrature abfolue de plufieurs hyperboles.
On conçoit quelle réputation tous ces
travaux durent lui faire parmi les Géomètres
: mais on ne devineroit pas qu’un
homme qui avoit fait tant de progrès fur
deux fciences fi abftraites, l’Algèbre &
la Géométrie, qu’elles captivent toutes
les facultés de l’entendement, fît des vers
latins, françois 8c efpagnols , avec la
même élégance que s’il eût vécu du temps
d'Augufie, 8c que s’il eût paffé la plus
grande partie de fa vie à la Cour de France 8c à celle de Madrid.
Ce n’eft point encore ici le phénomène
le plus étonnant que préfente le génie de
notre Philofophe. Sa pénétration 8c fon
aptitude pour l’acquifition de toutes les
connoiffances humaines, étoient telles,
qu’ayant eu occafîon de faire quelques
recherches fur l’antiquité, il éclaircit une
infinité de paftages obfcurs de plufieurs
ouvrages des anciens : entr’autres , fur le
Thion de Smyrne 8c fur une épitre de Sy-
nefius, qui étoit fi difficile, que le fameux
P. Petau, qui a commenté cet Auteur, a
avoué qu’il n’avoit pu l’entendre. Il fit
auffi plufieurs obfervations fur Athénée,
qui furent imprimées peu de temps avant
fa mort.
Pendant qu’il étoit occupé à ce travail,
il reçut d’un nommé M. de la Chambre,
Phyficien affez médiocre, un exemplaire
d’un Traité fur la lumière, que ce Phyficien
venoit de mettre au jour. C ’étoit en
165*7, fept ans après la mort de Defcartes.
Cela lui rappela la queftion qu’il avoit
agitée jadisavec ce grand homme , fur la
réfraétion de la lumière. Il en parla à M.
(i) Lettres de Defcartes, Tome VI . pag. 348c 3 J. (c) Ubiftprà, pag. 37.
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