défendu expreflement l’étude. Ses
progrès furent néanmoins fi grands,
qu’il réfolut à l’âge de dix - huit
ans un problème de Chronologie
allez difficile. Quatre années après
il alla à G enève, & apprit à écrire
à une fille de cette Ville , aveuglé
prefque en venant au moude.il com-
pofoit en même temps des Tables
Gnomoniques, ôc étudioitles Mathématiques
par parties : mais ayant
lu la Philofophie de Defiartes, il
fentit fon génie s’élever à une méthode
générale & Comme à la four-
ce ou aux premiers principes deS
Mathématiques. Il connut par cette
leôture que pour bien connoître cette
fcience, il falloit prendre les
chofes plus en grand. Une Comète
qui parut en 1 68 o , lui donna oc-
cafion d’effayer fes forces. Il forma
fur la nature des Comètes un
fyftême d’autant plus hardi, qu’il
heurroit de front une opinion fort
accréditée. Dans ce fyftême , Bernoulli
vouloit que les Comètes fur-
lent des aftres qui avoient un cours
réglé ôc périodique , ôc le peuple
foutenoit que c’étoient des fignes
extraordinaires delà colère du Ciel.
Il étoit donc menacé de toute fon
animadverfion, pour avoir dit le
contraire ; mais il fe tira très-habilement
d’aflàire en expliquant
fon fyftême. Les Comètes font,
dit-il, des aftres éternels, ôc cela
( iO Voyez le Tome I V de çet» IH/.cire
eft vrai ; elles ont cependant une
queue qui peut-être n’eft pas éternelle
: c’eft un pur accident. Or
rien n’empêche que cette queue
ou cet accident ne foit un figne
extraordinaire de la colère du Ciel.
Cette explication fatisfît le peuple,
ôc fit rire les Aftronomes.
J’ai écrit dans l’Hiftoire du grand
Bernoulli (Jeanfyfia) la part que
Jacques Bernoulli eut à l ’invention ôc
aux fuccès du calcul des infiniment
petits. Ce calcul ôc fon ufage occupèrent
la plus grande' partie de
la vie de ce favant homme , qui
ne parvint qu’au milieu de fa carrière.
(Il mourut à l’âge de 5 o ans ).
C ’eft un travail prefque toujours
commun avec fon frète, ou du
moins de même genre. Il laiffa pourtant
parmi fes manuferits un Ouvrage
fingülier, qui a été imprimé
après fa mort fous le titre d’Art
de conjeâurer'îlfvAT 'cünjèStàndi ).
Cet Art confifte à déterminer le
degré de probabilité de tous lès
événemens.Par exemple, les règles
d’un jeu étant données, ôc deux
joueurs étant de la même force,
il s’agit de déterminer l’avantage
qu’un dés joueurs a fur l’autre, ôc
combien il y a à parier qu’il gagnera.
Les deux joueurs étant inégaux
en force , on veut favoir
quel avantage le plus fort doit accordera
l’autre; ôc réciproquement;
des Philofophes modernes,
l ’un ayant accordé à l’autre un
certain avantage, on demande de
combien il eft plus fort.
Bernoulli applique enfuite fon art
à la morale ôc à la politique, ôc
réduit à un jeu toutes les çhofes
de. la vie ; c’eft-à-dire , qu’il Compare
le nombre des cas où un événement
doit arriver, à celui où il
n’arrivera pas. Cela n’eft pas toujours
aifé à faire , ôc Bernoulli croit
qu’on peut rencontrer des problèmes
aufïi difficiles à réfoudre que
celui de la quadrature du cercle.
Les écrits de ce Savant Ôc les
leçons de fon frère , formèrent un
Mathématicien habile , qui s’acquit
la réputation la plus brillante.
Tout le monde connoît le Marquis
de l’Hôpital, qui eft le Mathématicien
dont je veux parler.
Il a foutenu pendant plufieurs années
l’honneur de la Nation, en
concourant avec Newton, Leibnitz
ôc les Bernoulli, à la folution des
problèmes les plus difficiles de Mathématiques.
Il eft vrai que Jean
Bernoulli lui avoit donné la clef de
ces folutions , en. lui enfeignant le
calcul des infiniment petits. Il n’y
avoit en effet que ceux qui favoient
ce calcul, qui fuflfent en état de
réfoudre ces problèmes, ôc le Marquis
de VHôpital l’entendoit parfaitement.
Il a même écrit fur ce
calcul un Livre qui eft un chef-
d’oeuvre d’élégance ôc de précifion.
Il eft intitulé : Analyfe des infiniment
petits , pour l'intelligence des lignes
tourbes. Le Marquis de l’Hôpital
eft auffi Auteur d’un Traité des
feffions coniques, qui eft peut-être
encore le meilleur Ouvrage qu’on
ait fur ces courbes. On doit croire
que cet illuftre Gédmètre ne fe
feroit pas borné à ces deux ouvrages,
ôc que les Mathématiques lui
devroient davantage , fi la mort
ne l ’eût enlevé à l’âge de 43 ans.
Il avoit la vue fi courte, qu’il
n’y voyoit point à dix pas ; mais
il jouît jufqu’ à fa dernière maladie
de la meilleure fanté. Cette maladie
commença parla fièvre, ôc finit par
une apoplexie. Perfonne n’a eu plus
à coeur que lui les. progrès des’Mathématiques,
Il faifoit un cas infini
de Newton, Ôc ne pouvoir fe
perfuader que ce ne fût qu’un homme
( a ). Cependant, malgré cette
haute eftime, il fait honneur abfo-
lument à Leibnitz de l’invention du
calcul différentiel , que les An-
glois ôc quelques François revendiquent
avec tant de chaleur en faveur
de Newton. Voici ce qu’il dit
à ce fujet dans la Préface de l’A-
nalyfe des infiniment petits.
Après avoir parlé d’un calcul
imaginé par le Docteur Barrow ,
qui avoit appris les Mathématiques
à Newton, ôc avôjf fait connoître
l’infuffifance de ce calcul, il ajoute
: » Au défaut de ce calcul eft
( a) Voyez le Difcours préliminaire du uoiiièmc Volume de cette Hiftoire.