<58 MA I L
du Mont-Sînaï, & les différens Miflîon-
•naires, qui dans cette contrée travaillent
à la converfion des Sctiifmatiques.
Ce fut d’abord un fimple motif de çu-
riofité qui le porta à s’inftruire de l’hif-
toire d’un Pays autrefois fi célèbre. Mais
lorfque livré à lui-même & jouiflant des
douceurs du repos, il recueillit toutes fes
inftruéHons , il trouva qu’elles formoient
une defcription très-exa£le de l’Egypte.
On n’en avoit jufques-là que des notions
imparfaites, & c'étoit rendre un vrai
fervice au Public, que de lui faire concentre
parfaitement ce Pays, fi digne de
fa curiofité. Il réfolut donc de publier fon
travail; mais il ne voulut point le faire
fans confulter un homme de Lettres.
Il vint exprès à Paris pour cela en 1720 ,
& s’adrefia à l’Abbé Granet, qui avoit
beaucoup d’el'prit, mais qui étoit aufli
très-parefleux. Cet Eecléfiaftique s’excufa
de ne pouvoir rédiger cet Ouvrage. A
fon défaut, Maillet le remit entre les
mains du célèbre Abbé le Mafcrier , qui
mit le manufcrit en ordre ; mais il ne fut
imprimé qu’en 1735 , fous ﮧ de
Defcription de L'Egypte.
' Ce Livre eft divifé par Lettres, & eft
écrit d’une manière intéreflante : c’eft
plutôt le ftyle de l’Abbé le Mafcrier que
celui de notre Philofophe. Aufli reçut-il
du Public l’accueil le plus flatteur. Des
éditions multipliées furent le témoignage
authentique de l’eftime qu’il en faifoit.
Cependant il efliiya plufieurs critiques,
qui ne déceloient que l’ignorance & la
m iuvaife foi de ceux qui les avoient
compofées ; car dans aucune on n’avoit
relevé les véritables fautes qu’il y. avoit
dans l’Ouvrage. Maillet qui s’étoit retiré
à Marfeille, l’écrivit à l’Abbé le Mafcrier
, & lui envoya de nouveaux Mémoires
, afin qu’il en donnât une nouvelle
édition plus corre&e & plus exafte ; mais
ce projet n’a point été exécuté.
Tout ceci n’étoit qu’une partie du
travail de notre Philofophe. J’ai dit que
pendant fon féjour en Egypte il avoit ob-
fervé la nature, & c’eft ici le lieu de
rendre compte de fes obfervations. Il
ayoît d’abord remarqué que la mer avoit
LE T.
baigné autrefois les murs de Memphis ;
quoiqu’efl&Npn fut fort éloignée. Il avoit
enfuite découvert aux environs de cette
Ville plufieurs coquillages de mer. C ’étoit
une forte preuve de la bonté de fa remarque
; mais elle acquit une certitude lorf-
qu’il la rapprocha de fes le&ures.
En effet, il trouva dans Hérodote. , que
lors de fon voyage en Egypte, il y avoit
aux murs de Memphis des anneaux, auxquels
on attachoit les vaiffëaux qui ahor-
doient quelques fièclès auparavant aux
murailles de cette Ville. II hit encore dans
les Ouvrages de Pline & de Senequ’e, que
de leur temps pour aller à l’Ifle de Pharos J
qui communique à préfent par tin pont à
la Ville d’Alexandrie, il falloit un jour
& une nuit aux vaiffeatix pour aborder
au continent. Ces faits étant rapprochés
de fes obfervations, il fe perfuada aifément
que les environs de Memphis avoient été
couverts par les flots de la mer, & que les
eaux s’étoient rétirées jufqu’àla fuperficie
a chie lie.
Cette découverte lui parut fi belle,
qu’il n’y eut point de recherches qu’il ne
fît pour lui donner toute la folidité qu’elle
pouvoit recevoir des faits hiftoriques &
des obfervations. Il là regarda comme devant
porter fon nom à la poflérité la plus
reculë.é. Comme il aimoit paflionnémenf
la gloire, fa joie dégénéra bientôt en
enthoufiafine. Son imagination s’échauffa
même au point qu’il en tomba malade.
Une fièvre ardente, accompagnée d’un
violent tranfport, qui lui ôtoit toute con-
noiflance, le réduifit à un état pitoyable.
Il crut toucher à fa dernière heure, & les
Médecins en étoient prefque convaincus.
Il étoit même tout -réfigné à mourir, lorfque
fe repaiflant de.fes idées de gloire
dans un moment de tranquillité, il s’imagina
voir un jeune homme d’une belle
figure, vêtu de blanc, qui lui difoit de
prendre courage , & l’alfurôit qu’il ne
mourrait point de cette maladie , qu’il
vivrait jufqu a un certain âge, & qu’il
étoit defiirié à de grandes chofes.
C’eft une crife qui produifit cette vi-
fion , laquelle répondùit bien aux idées
qui lui avoient échauffé la tête. Elle
m a i l l e t .
acheva de lui perfitader que fon fyftême
de la diminution de la mer étoit une des
plus belles productions de l ’efprit humain.,
& qu’il de voit lui afliirer une gloire immortelle.
Plein de cette idée, il fe donna des
foins infinis pour prouver que la mer
avoit couvert autrefois le globe entier de
la terre ; qu’elle s’étoit retirée inlenfible-
ment ; qu’elle diminuoit tous les jours, &
que les terreins apparens de ce globe
font l’ouvrage des eaux de la mer. » Etudes
» pénibles, dit l’Auteur de fa v ie , le&ures
» de toutes les fortes,. recherches infinies
» & fouvenf coûteufes , qu’il fit par luir-
» même dans les pays oii il pafla, &
» par fes amis & fes connoiflances dans
« ceux oii il ne put aller ; il n’oublia rien
» pour porter le Traité qu’il avoit com-
» pofé à ce fujet, au point d’évidence
» qu’il concevoit. Il le lut à des Savans
» & des gens d’efprit de toute condition
» &c de tout état ; & fur les remarques
» qu’on lui communiquoit ,.il le retou-
» choit, Taugmentoitquelquefois.
Chacun! ui. difoit fon avis, & il tâchoit
d’en profiter. Il dût à M. de Fontenelle
l’addition qu’il fît à fon fyftême de la
diminution de la mer, pour expliquer
l’origine des hommes & des animaux ,
& la propagation des efpèces par les
femences. C ’eft fans doute ici le morceau
le plus hardi de fon ouvrage. Il eft en
effet bien étonnant de voir fortir les
hommes & les animaux du fein des eaux.
Aufli quelque folides que puiflent être
les raifons qu’il donne pour prouver cette
opinion, il ne faut la regarder que comme
un jeu philofophique , qui ne porte point
atteinte à la vérité du récit de Moïfe.
Après ce dernier effort pour dévoiler
les fecrets les plus importans de lanature,
Maillet ne crut pas différer plus longtemps
de publier fon Ouvrage. Il le remit
à l’Abbé le Mafcrier, afin qu’il le mît en
état, de voirie jour. Cet homme de Lettres
avoit trop bien rempli la fon&ion d’Edi-
îeur de la defcription de l’Egypte, pour
ne pas efpérer de lui ce fervice.
Not re Philofophe partit après cela pour
Marfeille , d’ou il ne cefloit de prier
6 9
l’Abbé le Mafcrier de fe hâter dé faire
imprimer fon Ouvrage ; car il n’avoit rien
tant à coeur que de le voir paraître.
D ’ailleurs il étoit d’un âge aflez avancé
pour craindre de ne pas jouir long-temps
du fruit de fon travail, & ce n’étoit pas
fans fondement ; car comme il fongeoit à
envoyer à l’Abbé le Mafcrier de l’argent
pour les frais de l’impreflion, ilfut frappé
du coup de la mort, fansen avoir été prévenu
par aucun indice. Il expira à Marfeille
en 1738, âgé deytyans.
Maillet .n’étoit point homme cio
Lettres; mais il fevoit beaucoup , & fon
imagination étoit très-vive. Les qualités
de fon coeur répondoient parfaitement à
celles de fon efprit. U avoit de la probité ,
de la droiture, de la douceur dans' les
moeurs. C’étoit un homme très-aimable-
dans-la fociete ; mais il. n’étoit généreux
. & libéral qu’en ce quiintéreflbit fa réputation.
La louange le touçhoit extrêmement,
& il facrifioit tout pour elle. Il
.aimoit paflionnément la gloire de l’efprit
& le défirdes’immortaliferparlestalens-,
fut, le mobile de toutes: les, aâions de fac
vie. A l’égard de fa religion, il demeura;
toujours attache aux grands principes dit
■ Chriftianifme, quoique for certains points
particuliers il regardât comme très-frivoles,
les opinions & les. difputes. des
Théologiens.
Apres fa mort, l’Abbé le Mafcrier fe
reprochant de n’avoir pas tout, quitté pour
faire paraître fon Ouvrage de fon vivant,,
traita avec un Libraire pour qu’il l ’im.-
primât fans délai. Il parut fous ce titre .'
telliamed, ou Entretiens, d’un Philofophe’.
Indien avtc un Miffonnairt François , fur la;.
diminution de lamer. Mais ce zèle empreffé-
pour la gloire de l’Auteur , nuifit à fooe
Livre. L ’édition fe trouva mal exécutée v
remplie de fautes groflières. Malgré cela v
le fyftême qui en. fait le fujet, fut fi bien!
accueilli, que cette édition fut. fuivie de
plufieurs autres femblajflës à ia première.
Enfin l’Editeur remaniant cet Ouvrage,
le corrigea, l’augmenta d’après de nouveaux
mémoires de 1;Auteur ,. trouvés;
après fa mort parmi fes manufcrits,& y
jpignit-fa vie avec une préface*dans, las