H A R T S O E K E R. B5 printemps le s boutons ont pouffe des
b o u r g e o n s , & que l’ air s’ eft infinue
pa r ce m o y en dans le fuc q ui y circu le
en ab on d an c e , ce fuc en fe dilatant lo rl-
q u ’ il fe g è le , caffe les tu y a u x dans lef-
qu e ls il eft contenu : d’o ii il a r r ive que
le fuc ne fauroit plus s ’y c o n t in u e r , que
ce fuc s’en é v ap ore lorlqu’ il eft dég elé ,
& par conféqa enr que les bourgeons fe
flétri lient en t r è s -p e u de temps apres
a v o ir été dégelés.
U n A n o n ym e attaqua cette explication.
II prétendit que c’ étoit la chaleur
du foleil qui donnoit fur les b ou rg e on s ,
& non pas le froid qui failoit périr ces
bourgeons. A cela H a r t s o e k e r répondit
: Prétendre que c’ eft le chaud qui
fait périr les boutons des arbres apres
la g e l é e , c’eft comme fi l’on foutenoit
qu’ un animal percé d ’un coup d’é p e e ,
meurt plutôt parce que fon fang cou le
des v e in e s , que parce qu’on lui a paffe
l’ép é e au tra vers du corps . Si la g e lé e ,
a jou te -t -il, n’a v o it pas caffé les fibres des
b o u rg e o n s , le foleil n’ en auroit pas fait
é v ap o re r le f u c , & ils ne fe feroient pas
flétris.
D an s ce temps-là l’Ele& eur Palatin lui
apprit la reprod uttion merveilleu fe des
jambes des é c r e v if fe s , quand on les a
rompues. C e t te dé cou ve rte le furprit
beaucoup. Il vou lu t pourtant en rendre
r a i fo n , & il imagina pour cela q u ’il y
a dans les é c rev iffes une ame plafiique
ou formatrice qui fa vent refaire de nou v
e lle s jambes. Il vo u lu t même que les
autres an im au x , fans en excepte r l’bom-
m e , euffent une ame pareille. Dan s ceux-
c i la fo n â io n de cette ame n’eft p a s , félon
l u i , de pouffer des jambes comme une
plante pouffe des boutons ; car cette reproduction
des jambes eft particulière à
l’ é c r e v if fe ; mais cette fonction confifte à
form e r les petits animaux qui perpétuent
le s efpèces. Ainfi il abandonna abfolu-
men t fon fy ftêm e fur l ’o rig in e de ces
an im a u x , qu’ il traita de bigarre & d'ab-
furde : épithètes dures qu’ il donne lu i-
même à ce fy ftêm e pour faire v a lo ir l’autre
, auquel on pourroit en donner peut-
ê tre de iemblables.
Sa qua lité de Mathématicien de l’Electeur
l’o b lig ea à lui exp liq u e r fes penfées
fur les points les plus importans de la
Ph y fiq u e . Il les faifoit par des difeours
qu’ il adreffoit à l’E le fteu r . C ?étoit le développement
de fes principes de P h y f ique
, &C une efpèce de cours de P h y fiqu
e qu’ il jugea digne de l’impreftion. Il
rafl'embla ce s d ife o u r s , & en forma un
vo lum e i/z-40. qui parut en 1 7 0 7 fous
le titre de Conjectures Phyfiques. 11 pa rloit dans cet O u v ra g e d’un fujet
q u ’ il ne connoiffoit pas b e a u c o u p , c’ e -
toit les mines. Il voulut en v o i r , & alla
pour ce la v o y a g e r dans quelques p a y s
d’Allemagne. U n e curiofité l’arrêta à
C a ffel. L e Landgra ve lui fit v o ir un beau
miroir ardent fait par M. Tfchirnaus , de
trois pieds de diamètre & de douze p ieds
de fo y e r . M. le D u c d’Orléans , Régen t
du R o y a um e , en a v o it un pareil ; &. M .
Homberg, cé léb ré C h ym if te , qui a v o it
fait p lufieurs expériences a v e c ce m iro i r ,
prétendoit a v o ir vitrifié l’or qu’ il a v o it
exp o fé à fon fo y e r . H a r t s o e k e r répéta
cette expérience a v e c le miroir du Landg
ra v e , & ne rtu fîit point. Il ne put pas
même vitrifier le plomb ; & comme il
n ’a vo it rien négligé de ce qui peut faire
réufîir une e x p é r ien c e , il ne douta point
que M . Homberg ne fe fût t rom p é , & qu’ il
n’eut pris pour de l’or une matière fo r t ie
du ch a rb o n , qui foutenoit l ’or dans le
fo y e r . L e P h yfic ien François vou lu t fe
juftifier ; mais comme il s’agifloit d’un
f a i t , notre Philofop he per lifta toujours
dans fon fentiment.
L e féjou r qu’ il fit à Ca ffe l donna le
temps au Landgra ve de le connoître ; &
comme il gagnoit à ê tre c o n n u , ce Prince
v it a v e c regret les préparatifs qu’ il fa ifoit
pou r le quitter. U n jou r i l lui dit
qu’il auroit bien fouhaité le tro u v e r peu
content de la C o u r Palatine. H a r t s
o e k e r n e répondit point. L e Landg
ra v e lui répéta le même d ife ou r s , & il
ne l’entendit p o in t , parce qu’ il ne v o u lo it
pas l ’entendre ; mais le Landgra ve d é fi-
rant fa v o ir abfolument à q u o i s’en t en ir ,
le prit par la main , ÔC lui dit : Je ne fais
f i vous me comprenez ? 11 n’y eut plus
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m o y en a lors de reculer. F o r c é de s’ex p liq
ue r , notre Philofop he l’affura & de fon
rè fp e f t , & de fon o b é iffan c e , & de fon
attachement in v io lab le pour l’Eletteur.
D e C a f f e l , notre Philofop he alla à
Han o v re pou r y v o ir le grand Lùbnitç.
Il en fut reçu le plus gracieufement du
monde ; ca r cet illuftre Savant chériffoit
tou s ceu x qui fe d é vou oien t aux progrès
des conno fiances humaines. Il le pré-
fenta à l’E le ttcu r , qui fut cou ronné R oi
d ’Angleterre fous le nom de Georges l l t
& c e Prince lui fit un ac cu eil très-dif-
tingué.
Rendu ch ez l u i , l’Ete fleu r P a la t in ,
auquel il étoit toujours a t ta ch é , lui demanda
s’il pourroit faire un miroir ardent
aufli grand que celu i de Tfchirnaus ,
dont on lui a vo it beaucoup parlé. Sur le
champ H a r t s o e k e r fit ch erch er la
plus belle matière qu’ on pou rroit pour
a v o ir un v e r re p a r fa i t , Sc fit j.etter trois
miroirs dans la V e r r e r ie de Neu bou rg.
L e plus grand de ces miroirs a v o it n eu f
pieds de fo y e r , & ce fo y e r q ui étoit
parfaitement ro n d , étoit de la grandeur
d ’un louis, d’o r : avantage que n’a v o it
pas le miroir de Tfchirnaus.
Cependant tandis q u ’il v o y a g e o it &
q u ’il faifoit des miroirs ard en s, on lifoit
dans le monde fes Gonje&u res p hy fiqu es,
& c’étoit a v e c une attention qui produ i-
fo it & des é lo g e s , & des critiques anon
yme s . Le s uns & les autres parurent par
la v o ie de l’impreflion. Le s critiques fur-
tout domin èren t, & l’Auteur en attribua
plufieurs à Le ibnitC e s critiques firent
line v iv e impreflion fur fon efprit. Elles-
changèrent même fon humeur ; & cet.
homme qui a v o it é té ju fq u e s - là p o l i ,
d o iix , préven an t, devint tout d’un coup
d u r , fé v è re & cauftique. Il en vou lu t à
tou s le sS a v an s , & leur d éclara la guerre.
C e fut principalement fur les Membres
de l ’Académie R o y a le des Sciences que
portèren t fes coups.
En 1 7 10 il publia un O u v ra g a in titu lé
E clairciffemens fur les conjectures pliyfi-
fiques, dans le q u e l, après a v o ir répondu
au x .critiques qu’on, a v o it faites de fes
co n je& u re s , il attaqua fans ménagement
celles des autres. MM. Homberg^Lemery,
habiles C h ym if te s , MM. Carré, Parent,
Mathématiciens d ift in g u é s , &: enfin les
c é lèb re s Hughens , Bernoulli , Leibnit{
6c New ton furent fur-tout très-maltraités.
Il fe moqua de la vitrification d’Homberg,
de la pen fée de Lemery, qu e le fer con tribue
à la figure des p lan te s , de plu fieurs
raifonnemens de Carré, de la plu part
des idées de Parent, du fy ftêm e de
la pefanteur d’Hughens, d e la raifon p h y fique
que Bernoulli a v o it donnée de la
lumière qui paroît dans un b a romè tre
quand on le fecoue dans l ’o b lc u r i té , de
l’harmonie préétablie de Leibnit^ , de fes
monades , de fa raifon fuffifante , q u ’il
appella les imaginations creufes & chimériques
de AI. Leibnit^, 6c de l’ attra&ion 6c
du vuid e de Newton. M. Leibnitç ni aucun
Membre de l’Académie ne répondirent
à ces duretés* Seulement ils réfoiu-
rent de n’a v o ir déformais aucune relatio
n a v e c lui. O n rompit abfolument
a v e c lui. L e Secrétaire n e lui e n v o y a
plus les Mémoires q ue l ’Académie publie
tous les ans ; 6c on mit à l’écart tous les
é c r it s , les ob fe r varions n ou ve lles qu’ il
e n v o y o i t à l’Académie. M .Varignon déclara
à M. l ’A b b é Gallois y ami d ’H a r t s
o e k e r , q u ’il ne liroit jamais ce q ui
viendroit de lu i ; 6c MM. Litre 6c Meri
dirent au fils de notre P h ilo fo p h e , qu’ils
avo ien t bien autre ch ofe à faire que de
lire fes Mémoires dans leurs affemblées.
Senfible , comme H a r t s o e k e r
l ’é t o it , il »’apprit point cette conduite
à fon égard fans douleur. Il s’en plaignit
à M. de Fohtenelle, Sec rétaire a â u e l de
l’A c a d em ie , 6c M. de Fontenelle lui ré pondit
qu’ il n’ a vo it pas toujours o b fe rv é
une lo i portée dans l’art. 26 du R é g le ment
de 1699 > ° ù ^ dit clue l’A c a d
émie veillera exa&ement à ce qu e dans
les occafions ou quelques Académiciens
feront d ’opinions d ifféren tes , ils n ’emploient
aucun terme de mépris ni d’ ai-.
greu r l’ un contre l’a u t r e , foit dans leurs
d ife o u r s , foit dans leurs écrits. N o tre
Philofop he é c r iv it au S e c ré ta ire , qu’il ne
c r o y o i t pas par fes critiques a v o ir contre
ven u à ce t artic le du R églemen t de