plaifir. Il lui venoit même dans Pefprit
plufieurs idées nouvelles, tant fur l’ordre
que fur le fond de cette fcience ; de fortQ
qu’en les réunifiant, il forma, fans pref-
que s’en appercevoir, un Traité de Perf-
peôive.
Il n’avoit encore que dix-neuf ans;
& quoiqu’il eftimât que fon Ouvrage
étoit digne de voir le jour, 1a grande
jeuneffe lui fit craindre de préiumer trop
de fa capacité. Il le laifîa repoler quelque
temps, & ne le publia que plufieurs
années après.
Ce Traité ne parut qu’en 1 7 1 1 , fous
le titre modefie d'Effai de Lcrfpective,
par G. J. 'Sgrùvefanae. Il etoit naturel
que cet Ouvrage le reflentît de l’âge de
l’Auteur ; mais on ne s’attendoit pas d’y
trouver une lolution élégante des problèmes
les plus difficiles de la perlpec-
tive. Aufii eut-il ie iuffrage de tous les
Mathématiciens. Je dois citer celui du
grand Bernoulli, qui lui en témoigna la
latisfa&ion par 1e prêtent qu’il lui fit en
1714 de fon Efiai d’une nouvelle théorie
de la manoeuvre des vailfeaux. » Je vous
» fupplie, lui écrivit-il en le lui envoyant,
» de l’accepter comme venant d’une per-
» fonne qui a beaucoup d’égard & de
» confidération pour votre mérite 6c fa-
» voir, dont j’ai vu une preuve fuffifante
»par l’excellent Traité de Perlpe&ive
» que vous avez publié. J’y ai trouvé
» plufieurs règles fort ingénieules 6c très-
» commodes pour la pratique, que l’on
» ne trouve pas par-tout ailleurs. Illeroit
» à fouhaiter que vous prifliez la peine
» d’écrire fur les autres parties de l’op-
» tique avec la même netteté 6c avec
» la même adreffe que vous l’avez fait
» fur la perfpeâive.
Pour faire connoître cette production
, il l'uffira de dire que l ’Auteur
y facilite l’ufage des règles de la perf-
peôive ; qu’il réfoud les problèmes généraux
d’où dépendent les principes de
cette fcience ; 6c qu’il donne plufieurs
méthodes nouvelles & plus aifées pour
la pratiquer, que celle dont on fe fervoit
a ors. Ce Livre efi encore enrichi de la
delcription d’une chambre oblcure.
Ce feul Ouvrage donna une fi haute idée
du favoir de ’S G R av e s a n d e , que
plufieurs Gens de Lettres ayant formé
le projet de compofer un Journal Littéraire
, il fut admis dans leur Société.
Il inféra dans ce Journal des extraits bien
faits de plufieurs Livres, 6c quelques
Mémoires 6c Differtations qui contribuèrent
beaucoup à le faire connoître 6c eftimer. Parmi ces Mémoires, on doit
diftinguer, 1 °. Des remarques fur la conf-
truclion des Machines pneumatiques, &
fur les dimenjions qu'il faut leur donner,
Z°. Une Lettre fur le menfonge, dans laquelle
il recherche quel efi le fondement
de l’obligation qui engage les hommes
à dire la vérité , 6c fi cette obligation a
lieu dans toutes les occafions que nous
avons de parler.
Cette Lettre efi très-belle. Comme
elle parut fans nom d’Auteur, on chercha
à le deviner; 6c M. Barbeyrac, qui
y étoit particulièrement intérefle , parce
que plufieurs propofitions avancées dans
cette Lettre ne s’accordoient pas avec
fes idées , fit à cet effet de grandes per-
quifitions. Il ne penfa pourtant point à
’Sgravesande , parce qu’il ne croyoit
pas qu’un jeune homme qui ne s’etoit
exercé que fur des fujets de Mathématiques
, pût être aflez habile en morale
pour compofer un fi bel Ecrit.
C ’efi dans le Tome V du Journal Littéraire
qu’il efi imprimé. Et dans le XIe.
Tome de ce Journal, fécondé partie,
efi une Differtation fur le même fujet *
que notre Philofophe compofa à l’oc*
cafion d’un Difcours fur le menfonge,
publié par M. Bernard à la fuite de Ion
Traité de l’excellence de la Religion. Il
s’agit dans ce Difcours du menfonge officieux
, que l’Auteur combat avec d’affez
fortes raifons. ’S G R A v e s a n d e ne
fut pas cependant convaincu de leur
folidité. Sans fe déclarer pour la légitimité
du menfonge officieux , il voulut
feulement faire voir que les argumens
de M. Bernard ne fuffilent pas pour la
détruire.
Avant que cet Ecrit parût, notre Philofophe
avoit fait imprimer dans le T orne
X du même Journal Littéraire une Dif-
fertation , dans laquelle il établit qu’il efi:
impoffible que l’homme ne fe détermine
jamais que par le parti où il trouve les raifons
les meilleures, ou les motifs les plus
forts : d’où il concluoit qu’il y avoit une
forte de néceffité dans toutes fes actions^).
Mais dans le Tome X l l ,c ’eft-
à-dire après la publication de cette Difi*
fertation, il fe montra dans ce Journal
tel qu’il s’étoit annoncé dans le monde
favant, je veux dire grand Mathématicien
, 6c déformais il ne donna plus que
des Mémoires fur les Mathématiques.
Il débuta par un Effai £une nouvelle
théorie fur le choc des corps, avec un fup-
plément. Il s’agiffoit de favoir fi ta force
des corps efi proportionnelle à la vîtefle,
comme on le croyoit, ou au quarre de
la vîtefle, comme le prétendoit Leibnit^.
’S g r a v e s a n d e crut d’abord que
la prétention de Leibnit£ n’étoit point
fondée. Il chercha même à le réfuter ,
en ajoutant des expériences qu’il avoit
contre fon fentiment, & qu’il croyoit
vittorieufes. La force d’un corps en mouvement
, dit-il, n’étant autre chofe que
fa capacité d’agir, elle doit être mefurée
par l’effet entier qu’elle produit. Ainfi
les forces font égales, fi en fe confumant
elles produifent des effets égaux.
Mais ce raifonnement ne lui parut pas
aflez concluant pour le déterminer. Il voulut
le vérifier par l’expérience. Dans cette
vue il imagina une machine, par le moyen
de laquelle il laiffa tomber à différentes
hauteurs fur de la terre glaife différens
corps égaux en volumes, 6c de maffes
différentes, afin de favoir fi les cavités
que ces corps imprimeroient fur la terre
feroient proportionnelles à la vîtefle ou
au quarré de la vîtefle. Il étoit perfuade
que le premier cas auroit lieu ; mais il
fut bien étonné lorfqu’ii crut voir qu’elles
étoient proportionnelles au quarre de
la vîtefle. C’eft-à-dire que des boules
d*yvoire d’un volume égal & de maffe8
différentes, imprimoient fur l’argile des
cavités égales, quand les hauteurs d’où
elles tomboient étoient en raifon in-
verfe des maffes : leurs forces étoient
donc égales ; 6c elles ne pou voient,l’être ,
fi la force ne fuivoit pas la raifon de la
maffe multipliée par la hauteur d’où le
corps tombe, o u , ce qui efi: la même
chofe, par le quarré de la vîtefle.
Cette découverte lui parut une vérité
fi claire, 6c même fi extraordinaire, que
M. Sacrelaire, fon voifin 6c fon ami,
qui étoit dans une chambre voifine de
la fienne, l’entendit s’écrier: A h ! défi
moi qui me fuis trompé.
Il penfa donc que la force des corps
en mouvement étoit proportionnelle au
quarré de la vîtefle, & il fit de nouvelles
expériences qui le confirmèrent
dans le fentiment qu’il venoit d’embraf-
fer. Il découvrit même par leur moyen
line nouvelle théorie du choc des corps.
Avant lui ,perfonne n’avoit traité cette
matière fuivant la do&rine de Leibnit
Il efi le premier qui l’a réduite en fyf-
tême. Il compofa â cet effet une Differtation
, dans laquelle il prétendit démontrer
les-principes de cette nouvelle doctrine
; mais on lui fit plufieurs objections
qui l’obligèrent à ajouter un fup-
plément à fa Differtation. C ’efi dans le
troifième Tome du Journal Littéraire
que ces Ecrits parurent. Ils contiennent
des réponfes à ces obje&ions ; 6c comme
on avoit fufpe&é fes expériences, il en
proppfe une autre qu’il croit triomphante
: la voici.
Laiffez tomber fur un plan de marbre
couvert de terre glaife,des cylindres de
marbre arrondis à une de leurs extrémités
, à des hauteurs qui foient en raifon
inverfe des maffes, 6c vous trouverez
que les applatiffemens de l’yvoire font
égaux : ce qui prouve l’égalité des forces, 6c confirme l’expérience faite avec des
il) C’ eft ici la do&rine de Collins fur la liberté , qui cft anajyfe'e dans l’Hiftoire de ce Métaphylicien,
Tom. I de cette Hifttire des Philofophes modernes.