C e q u ’il y a d e c e r ta in , c ’eft qu e dans
le premier fièc le de l’E re chrétienne on
fa v o i t tire r par fublimation le mercure
d u cinnabre. C e tte connoiffance conduifit
b ie n tô t à d’autres plus importantes. En
la fo iv a o t , les A rab e s firent de fi belles^
d é co u ve r te s en C h ym ie , qu’on les regarda
comme les inventeurs d e cette
fcience- Ils apprirent à faire l’eau-de-
v ie , T e fp r ir - d e - v in , & toutes les liqueurs
fpiritueufes. Flattés de ces fu c c è s ,
ils crurent pofféder une fcience un iv e r -
felle. D e - là naquirent un orgue il S i une
préfomption q ui déprimèrent beaucoup
leu r mérite. Ils. cou vriren t toutes leurs
opéra tion s d ’un v o ile m y fté r ieu x , p ro mirent
les p lus grandes m e rv e ille s , p ou f-
sèrent le s raifonnemens les plus e xtra -
v agans à perte de v u e , en un mot dev
in ren t des charlatans S i des im p é fteu r s
C e la rendit la C h ym ie une fcience
o b fcu re & fufp e fie . U n peu de v ra i
é to it tellement diffous dans une grande
quantité de f a l ix , dit M . de Fontenetle ,
qu’ il é to it devenu in v if ib le , S i tous d eux
p re fq u e inféparables.
C ’e ft en ce t état que la C h ym ie fut
connu e en Eu rope vers le douzième fiècle.
U n Médecin de P r o v e n c e , n ommé Arnaud
de Villeneuve, fut le premier qui la
cu ltiv a . 11 trou v a l’huile de téréb enthine,
fit de l ’efprit-de-vin , S i s’étant apperçu
qu e cette dernière liqueur étoit fufcep-
t ib le du g o û t & de l’odeur de tous les
v é g é t a u x , il contpofa plufieurs liqueurs
& beaucoup d ’eaux de le n t e u r , & fit
fe r v ir par ce m o y en la C h ym ie à la
Médecine.
A fon e x em p le , Bafile Valentin, R e lig
ieu x de l’O rd re des B én éd i& in s , p ré para
des médicamens ; dé cou vrit plu-
fieurs bons remèdes ; enrichit la M éd ecine
de quelqu es préparations d’antimoin
e , & confeilla le p rem ier d’en pren dre
intérieurement ( a ) . Il établit comme
principes ch ymiqu es le f e l , le m ercure &
le f o u t r e , &: fit connoître le fe l v o la til
huileux.
D an s le même tem p s , Raimond Lulle7
Efpagnol & difciple d’Arnaud de Ville-
neuve , publia un O u v ra g e intitulé , De
quinta ejfentia, dans leque l il prétendit
a v o ir t ro u v é un remède u niverfe l pou r
toutes les ma lad ie s , & d é co u ve r t le fe -
c re t de la pierre philofophale. C ’étoit
une p ré ten t io n , fruit d’une imagination
échauffée par l ’amour ( £ ) & par la v a nité.
O n peut ju ger de la v é r ité d e fe s
d é cou ve rtes par fa manière de raifon-
ner. Il a v o it formé un art pou r difputer
un jou r entier fur quelque partie de la
C h ym ie que c e f û t , fans entendre un
mot de la matière. C ’eft c e qu’on ap pelle
Part de Lulle.
D e u x frères nommés Ifaac , nés en
Hollande , firent de plus grands progrès
dans la C h ym ie . Sans s’arrêter au x écarts
de leurs p rédéceffeurs en l’ étude d e c e tte
fcience , ils fe fixèrent à fes véritab les
principes. Ils conftruifirent d e n ou ve aux
inftrumens & des fourneaux ch ym iq u e s ;
dé cou vrirent l’art d’émailler & de c o lo re
r le v e r re & les pierres p récieufes , en
y appliquant de légères plaques métalliq
u e s ; enfeignèrent tout ce qui concerne
la fufion , la féparation & la préparation
des métaux ; parlèrent très-bien d e la distillation
, de la fermentation, de la p u -
(<») On prétend que Valentin dut au hafard l’ufage
de l’antimohie. Ayant jetté hors de fon laboratoire
de cette matière, dont il fe fer voit pour la fuHon de
quelques métaux , il s’apperçut que quelques cochons
en ayant mangé, furent violemment purgés,
& devinrent enfuite extrêmement gras. Ce qui lui
fit venir la penfée d’eflayer ce remède fur le corps
humain. Il s’afîùra de fon efficacité par plufieurs
expériences qu’il a décrites dans un Ouvrage qu’ il
a compofé fous ce titre : Currus triumphalis Antimonii.
Au relié l’antimoine eft un minéral d’une confiftance
métallique , d’une couleur brillante & plombée ,
dont les malles n’ont point de ferme régulière.
(b ) Voici l’occafion de fon dévouement abfolit
à la Chymie. II étoit devenu paffionnément amoureux
d’ une jolie fille appellée Elconor , qui rcfufa
opiniâtrement de l’écouter. Comme il lui deman-
doit un jour avec les plus vives inftances les rai-
fons de fon refus , Lléonor lui découvrit fon fein >
& lui fit voir un cancer qui le dévoroit. Touché
de ce fpeftacle , Lulle en amant rendre & généreux,
chercha dans la Chymie quelque remède ali
mal de fa maîtrelfe. II courut même le monde
pour acquérir des lumières fur cette fcience , &
fut lapidé en Afrique , où il prêchoit le Chrif-
tianifme.
t ré fa& io n & de leurs effets ; firent un
grand nombre d’exp ér ien ce s fur le fang
humain ; donnèrent une méthode de prod
u ire a v e c le p lom b , le m e r c u r e , le fang
& le fou ffe ; enfin publièrent un petit
T r a ité fur la pie rre p h ilo fo p h a le , q u ’ils
auraient bien fait de ne pas éc rire.
T o u t ce la eft b e a u , & le fe rait encore
d a v a n ta g e , fi on ne l ’eû t en v e lop p é d ’iin
v o ile my fté r ieu x. O n fe piqu o it alors d ’é c
r ire o b fcu rém en t, & les plus belles e x périences
étoient énoncées en forme d’é nigmes.
C ’étoit le g o û t des C h ym ifte s
du tem p s , qui c ro y o ien t fe faire v a lo ir
en parlant fans s ’entendre.
T e l étoit l’état d e la C h ym ie , lorfque
pa ru t dans' le monde u n g én ie im p é tu eu x ,
b o u i lla n t , & capable des plus grandes
ch o fe s , s ’i l eût pu rép r im e r la fou gue
d e fon imagination. Il vou lu t re le v e r la
C h ym ie en la traitant a v e c plus de m é th
od e , & il ne fit que l’enrichir d ’une
infinité de belles d é cou ve rtes , fans la
ren d re plus c la ire & plus intelligible. Ses
t ra v au x & fes fuccès le rendent cepen dant
digne de marcher à la tê te des
C h ym if te s qui ont fleuri depuis la re-
naiffance de la Philofophie.
ILs’appelloit Théophrajle P a r a c e l s e ,
de Hohenheim , & naquit en 1493 à Ein-
filden , petit Bou rg fitué près de Zu rich
en Suiffe. Son p è r e , n ommé Guillaume de
Hohenheim, étoit fils naturel du Grand
Maître T eu ton iqu e . Il s’étoit appliqué à
la C h ym ie , & a v o it e x e rc é la Médecine
dans la Ca rinth ie depuis 1 5 0 4 jufqu’ en
1 5 3 4 , année de fa mort.
P a r a c e l s e eu t comme fon père du
g o û t pour la C h ym ie , & l’étudia fous
l ’A b b é Tritheme. C ’étoit une efpèce de
Ph ïlo fop h e q ui a v o it inventé l ’art d’env
e lo p p e r c e qu ’on v eu t cacher au x au tre s,
& d e de vin er ce que les autres nous v eu lent
ca cher. Il aimoit pafiionnément les
fciences cabaliftiques & les arts divinato
ire s , & il a laiffé un monument de cet
é c a r t de fon efprit dans un O u v ra g e intitu
lé Steganographie. Il y apprend à distinguer
les Génie s par leurs différens o r dres
& leurs dive rs em p lo is , à connoît
re leurs bonnes &C mauvaifes q u a lité s ,
à les ap p elle r par leurs noms Sc fitrn oms ,
& à les em p lo y e r au x chofes o ù ils p eu v
en t ê tre de q ue lqu e utilité.
V o i là que l fu t le prem ier Maître de
P a r a c e l s e , Maître d an g e reu x , p lus
capable d ’éga rer l’efprit d’ un enfant qu e
de l'éc laire r. A u fil q uo ique n otre jeune
P h ilo fop h e fentît le vu id e de toutes ces
ch ofes , il gagna a v e c ce t A b b é une paflion
pou r le m e r v e i lle u x ,q u ’ il con fe rv a tou te
la v ie . Cependant il fe contenta d ’en
apprendre quelques fe c re ts , & le quitta
pou r aller s ’inftruire fous Sigifmond Fug-
ger de Schwart, C h ym if te fameux dans
fon tem p s , mais dont il ne fut pas plus
fatisfait. Il parla à d’autres M a ît re s , qu’ il
ne t ro u v a pas meilleurs. T o u jo u r s inquiet
& toujours plus cu r ieu x d’ap p ren d re , i l
p rit le parti de ch erch er des inftru&ions ,
en allant v o ir tou s les habiles gens qu’il
y a v o it dans le monde.
Il v in t d’abord en F r a n c e , & d e - l à
il alla fucceflîvement èn Efpagne , en
P o r tu g a l, en A n g le te r r e , en PrufiTe, en
P o lo gn e , en Hongrie , confultant tou jours
le sS a van s q u ’il ren c o n tro it , & fur-
tou t les Médecins , les C h iru rg ien s , les
A ich ym ifte s & les M a g ic ien s , c ’e f t - à f
dire les impofteurs q ui fe vantoient de
lire dans l ’avenir. Il acquit ainfi tant de
connoiflances, qu’il fe c rut déjà lu im êm e
un homme extraordinaire.
Plein de cette idée e x t r a v a g a n te , il
vou lu t en imp ofer au x h om m e s , en fe
donnant une fupé riorité qu’ il n’a v o it
point fûrement en core. Il fit le M a g ic ien ,
& tant par fes fecrets que pa r fes pro mettes
, il v in t à' bout de perfuader au
peuple qu’ il l’étoit effectivement. O n
pen fa même qu’il a v o it un D ém o n fa m
ilie r .Tan tô t il fe d onnoit pour un T h é o lo
gien infpiré ; tantôt il fe nom m oit le
R e formateu r de la M é d e c in e , & fe met-
to it hardiment au - d effus de Galien 9
d’Avicenne, de Mefuè, de Rhasès , en
un mot des plus grands hommes dans
l’art d e g u é r i r , q ui a v o ien t v é c u ju f-
qu’alors. Au cu n e maladie ne l’étonnoit :
i l fe v an to it d ’a v o ir des remèdes p ou r
tou te s , & il le perfuadoit au x gens
peu inftruits ? en donnant à fes remèdes
A i j