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par la pluie, la neige, &c. elle y retrouve
un germe de l’efpèce qui lui efl: propre,
& revient ainli dans un nouveau corps
y déterminer les vertus & les propriétés
qu’il doit avoir («).
Tout ceci étoit le fruit d’un grand &
long travail, qui fut fouvent interrompu
par des vilites & par les devoirs de fon
état, auxquels il étoit obligé de fatisfaire.
Le Czar Pierre I. étant venu en Hollande
pour connoître la marine, voulut voir
B o e r h a a v e . Il alla r ez lui, & s’y entretint
pendant fept heures. Le Grand Duc
de Tofcane, qui étoit encore Duc de
Lorraine, lui fit le même honneur. C’étoit
un hommage que ces Princes rendoient au
mérite, 8c qui contribuoit beaucoup à
leur gloire. Des perfonnes de tout état &
de toute condition venoient l’entendre ou
le confulter, & fa maifon étoit comme le
Temple tfEfculape.
Il falloit répondre à cette confiance ,
& par conféquent ne pas abandonner un
art par lequel il rendoit de fi grands fer-
vices. Je veux dire l’art de guérir, ou la
fcience de la Médecine. Aufîi la cultivoit-
il avec foin. En 1719 il publia un Traité de
la matière médicinale, contenant les formules
des remèdes dans l’ordre des aphorif-
mes. Cet Ouvrage, écrit en Latin, eft
intitulé : Libellas de materiâ medicâ & reme-
diorum formulis. Il adrefîa dans le même
temps une Diflertation anatomique à
Ruifch, e& forme de lettres, fur les glandes
du corps humain, danslaquelle il reftitua
un grand nombre de glandes que lui a voit
donné Malpighi, & dont Ruifch le dépouil-
loit. Cette Diflertation eft intitulée : Epif-
tola deglandulis, ad clariffîmum Ruichium.
Celui-ci fit une réponfe aufli folide que
polie pour foutenir fon fentiment, mais
qui n’opéra point cependant la converflon
de notre Philofophe.
En 1721 il fît rOraifbn funèbre de (on
collègue M. Bernard AIbinus, laquelle fut
imprimée fous ce titre : De vita & obitu
clarijjimi Bernardî A lbini, cum Botanicam
& Chimicamprofefjionem publicè exponeret•
La multiplicité de fes travaux & de fes
occupations , & fon grand zèle pour le
progrès des fciences , lui causèrent en
1722 une maladie, qui le mit aux bords
du tombeau. Son efprit agité de quelque
idée nouvelle, il fortit tout chaud de fon
lit , & s’expofa- à un air froid, chargé
d’un brouillard glacé & pénétrant. Ses
pores ouverts par la chaleur fe reflerrè-
rent promptement ; la tranfpiration s’arrêta
; le froid pénétra jufques dans les
nerfs & dans les articles; 8c la goutte fe
joignit à une paralyfie, qui le rendit perclus
des deux jambes. Il fouffrit pendant
cinq mois des douleurs extrêmes 6c avec
une patience admirable. En vain il tâcha
d’adoucir ce cruel tourment par les fe-
cours de la Médecine : il fallut attendre
que l’humeur fût confommée, que la maladie
fe détruisît elle - même 8c fe ruinât
jufques dans fon propre fonds. Après
un an de fouffrance, il jugea que la chofe
étoit bien avancée , 6c crut pouvoir alors
aider la nature avec fuccès. Il but pendant
plulîeurs jours beaucoup de fuc de chicorée
, d’endive, de fumetère, de creflbn 8c
de véronique, 6c cette boiflon le guérit.
Le malade reparut en public. Cë fut un
jour de fête pour la Ville de Leyde. Il y
eut des feux 6c des illuminations. Les
Ecoliers célébrèrent fa convalefcence par
des fêtes particulières qu’ils joignirent aux
réjouiflances publiques.
Boerhaàve avoit repris fes occupations
journalières, lorfqu’il apprit que le
Baron de f^ajfenaer étoit atteint d’une maladie
extraordinaire. On l’inftruifit des
particularités de cette maladie, 6c elle lui
parut fi furprenante , qu’il crut devoir la
faire connoître au public- Il en publia donc
la defeription fous ce titre : Atrocis nec
deferipti prias morbi hifloria, fecundîim mer
dicte artis leges confcripta. Ab Autore Hcr*
manno BoERHAAVE*
( e ) L«s anciens Chymiftes appelloient cette vapeur
?i vifir.nte Veer pee Ut vitale , ]:e fils du Soleil, 1 ’.efprit re'fleur.
Et guclqucs Chymiftes pretendent qu’cllc exifte
dans ie loiifre. Ils pjouycnt l’cxïftencc de eet efprit
par la diftillation de la canelle , d’on provient «ne
huile, qui cxpolc'e à l'air. Je parfume d’une <od«tir
très-forte , fans perdre pref {uc de fon poids.
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C ’eft en 1714 que cette Defeription fut
imprimée. L’anoee fuivante il donna une
édition des (E livres anatomiques S André
Vefak, avec la vie de cet Auteur. (Editio
proctirata operptii Anatomicorum & Çhïïiir-
gicorum , Andrea Vefalii), En 1717 il mit
au jour un Ouvrage intitulé : Botankon
Pariflenfe , ou Dénombrement des Plantes
qui fe trouvent aux environs de Paris* Et
en 1718 il publia l’Hiftpire çl’ime maladie
très-rare, dont la violence affreui'e emporta
le Marquis de Saint*Auban à la fleur
de fon âge. C e qu’il y a de fipgulier dans
jC-cue Defeription, c’efl qu’elle eft la relation
anticipée de la maladie qui mit notre
Philofophe au tombeau.
Affurément çe n’étoit point affez fo
ménager pour jouir d’une faute permanente.
Aufli fes travaux & les veilles
firent renaître la maladie qui l’avoit fi
maltraité en 172,1. Il en revint ; mais une
rechute qu’il eut en 172-9 1 1-. força à
prendre du repos* H fo flemit de fa
Chaire de Botanique & de Chymie.
Cette abdication volontaire lui mérita
des éloges & des récompenfes magnifiques..
En fe retirant , il prononça le 18
Avril 172.9 une harangue intitulée : Dif-
cours Académique. Il y parle de fes travaux
avec une modeftie admirable , &
fait un-abrégé de fa vie ; de forte qu’il
trace la route qu’il a fuivie depuis fon
indigence jufqu’à fon élévation ÔC fa
fortune.
L’Univerfité ne vit point fans douleur
cette retraite. Elle craignit que livré ab-
folument à lui-même, notre Philofophe
ne fe dégoqtât de la vie. Pour l’aider à
foutenir fonexiftence, elleivoulut lui donner
une occupation digne de fon mérite ,
Ô£ conforme à fon état. Elle le nomma
Reûeur en 1730. C’étoit pour la fécondé
fois qu’on lui conféroit cette dignité.
En la quittant, Bo e r h a a v e prononça
une harangue, dans laquelle il établit
que la vraie gloire Æun habile Médecin
efl tCêtrc ftrviteuT de la Nature. On
voit dans ce Difeoürs un homme parvenu
au plus haut degré de connoiflance
en la fcience de la Médecine. Son but eft
de prouver qu’un Savant doit étudier les
loix de la Nature, la fuivre dans fes opérations
, & fe borner à en faire prudemment
l’application.
C’eft environ en ce temps-là que la
pefte fe répandit à Leyde. Notre Philofophe
en fut attaqué ; & à peine reconnut
il fur lui les fymptômes de ce
m a lq u ’il envoya chercher fes Confrères
en Médecine , & leur fit écrire tous
les accidens aäuels & futurs de cette maladie
, afin de remédier à chacun en particulier,
quand fa tête ferait attaquée. On
fuivit de point en point le traitement
qu’il avoit preferit, & il eut tout le fuc-
cès qu’il en attendoit, je veux dire une
parfaite guérifon. On l’invita à rendre
publique fa méthode de guérir cette terrible
maladie. C ’eft ce qu’il fit dans un
Traité de la Pefte qu’il fit imprimer avec
ce titre : Traclatus de Pefie.
Comme le pronoftic eft une partie très-
importante de l’art de guérir , B o £ n-
H A A VE crut contribuer à la perfeéhon
de cet art , en donnant une belle édition
de l’Ouvrage d'Arctée de Cappadoce, fur
les caufes, les lignes & les remèdes des
maladies. Elle eft intitulée : Aretæi editio
de caußs fignifquc vnorboriim eorumque eu-
ratione, 173/.
Enfin en 1731 parut fon chef-d’oeuvre,
fes Élémens de Chymie. C ’eft le fruit
de ces travaux fi confiamment foutenus
pendant un grand nombre d’années, &
dont j’ai rendu compte ci-devant. Cette
production fut reçue avec les plus grands
applaudiflemens. Jufques-là la Chymie
n’avoit point été réduite en art, ou en
fyftême. Tous les Ouvrages des Chymiftes
n’étoient que des recueils d’ob-
fervations. Notre Philofophe forma un
fyftême de ces obfervations, & en fit
une fcience réglée & méthodique. C’efl:
un Cours de Phyfique & de Chymie
en même temps , mais un Cours tout
à la fois favant, profond & lumineux.
L’Auteur y traite de l’air , de l’eau ,
du feu , de la terre , des métaux, des
foflïles , & expofe les plus belles opérations
de la Chymie. Il eft intitulé :
Hermanni Boerh AA PE , Elementg Chy-
mica.