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notre Philofophe, ôc le comblât de tant
de bienfaits. Ils trouvoient cela fort
douloureux, parce qu’ils croyoient que
leur Nobleffe équivalant à la fienne ,
le favoir de ce Gentilhomme étoit une
bagatelle peu digne de confidéràtion.
Les Scholaftiques ou les doétes de Collège
avoient une raifon plus forte de lui
nuire : c’eft qu’ils étoient éclipfés abfolu-
nient par T ycho-Brahé. Il fixoit les
regards de toute l’Europe. Les étrangers
qui venoient en Dannemarck, ne parloient
que de ce Philofophe, & ne regardoient
point les Savans de ce pays. C ’en étoit
bien affez pour les mettre en colère. A
l’égard des Médecins , leurs plaintes
étoient les plus raifonnables. En travaillant
à la Chymie, le grand homme qui
nous occupe, avoit découvert plufieurs
remèdes qu’il donnoit gratis à tout venant,
ôc dont on s’étoitfort bien trouvé.
Les pratiques des Médecins diminuoient
ainfî tous les jours ; ce qui bleffoit également
leur amour - propre ôc leur intérêt.
La ligue contre T yciio-B rahé devint
par ce moyen formidable. Pour comble
de malheur, le Grand-Maître de la
Maifon du R o i, nommé Guillaume de
W'alkendorfi fe mit à la tête de ce complot.
Il portoit depuis long-temps une
haine allez forte contre notre Phiiofo-
phe, & ce n’étoit pas fans raifon. Ce
grand homme avoit eu jadis un chien
qui avoit bielle ce Seigneur. Le mal étoit
bien guéri; mais il s’en reflouvenoit,
parce que T ycho-Brahé avoit pris le
parti de fon chien, qu’il aimoit beaucoup?
qu’il avoit même pris pour fon fymbole,
ôc qu’il avoit fait repréfenter dans une
Médaille, où étoient gravés ces mots ,
Tychoftis Brahei delitium. C ’étoit un foible
auquel JVaikendorf n’eut point d’égards.
11 fe chargea donc de féconder les mau-
vaifes intentions de fes ennemis , & de
ne rien oublier pour îndifpofer le nouveau
Roi contre lui. Il repréfenta à Sa
Majefîç que fes Finances étoient en mauvais
ordre , que fon tréfor étoit épuifé,
Ôc qu’un des plus prompts moyens de le
rétablir, c’étoit de fupprimer toutes les
penfions inutiles. Celles de T ycho-
Brahé furent fur-tout fortement attaquées.
Il y a long*temps, dit M. de IVal-
kendorf au Roi, que cet Aftronomepof-
fède le fief de Norvège, ôc il convient
que ce fief paffe en des mains qui rendent
de plus grands fervices à l’Etat. Il n’étoit
pas digne encore du Canonicat qu’il pof-
fédoit, puifqu’au lieu de prendre foin de
la Chapelle qui lui étoit attachée, il s’a-,
mufoit à obferver les Aftres. Chriflienll^,
qui connoiffoit mieux le prix de l’argent
que celui des Sciences, fe laiffa peu à peu
perfuader par ces raifons artificieufes, ÔC
retrancha à la fin toutes ces grâces que fon
père avoit faites à notre Philofophe.
Après lui avoir porté ce premier coup,
( c’eft en iyp 6 ) il fut aifé de l’accabler.
On le menaça de le chafier de fon obfer-
vatoire. T ycho-Brahé n’attendit pas
l’effet de cette menace. Dépourvu de fes
revenus, il fe trouvoit hors d’état de
fournir aux dépenfes qu’il étoit obligé
de faire dans cette retraite. Il prit donc
le parti d’en fortir, ôc fit tranfporter tous
fes inftrumens à Copenhague. Il continua
là ôc fes travaux agronomiques ôc
fes expériences chymiques, en attendant
qu’il découvrît dans les pays étrangers
un lieu plus commode pour fes opérations
, ôc où il pût être à couvert de l’in-
fulte de fes ennemis. Ceux-ci crurent qu’il
étoit confolé de fa difgrace , ôc virent
avec chagrin que les Savans avoient toujours
pour lui la même confidéràtion. La
chofe étoit d’autant plus humiliante pour
eux, qu’elle fe paffoit fous leurs yeux. Val-
kendorf les vengea bientôt. Aufii mortifié
qu’eux de cette efpèce de triomphe, il
lui fit défenfe de la part, du Roi d’être
Savant, Ôc en conféquence de continuer
fes études ôc fes travaux.
Il n’étoit pas aifé d’obéir à cet ordre ,
ôc notre Philofophe couroit grand rifque
de fe trouver en faute. Pour éviter de
tomber dans ce cas-là , il n’héfita plus à
quitter fa Patrie. Il fe retira à Roftoch>
d’où il alla à.Holfthein, pour y voir le
Comte de Ran^ou, qui lui avoit fait plufieurs
offres de fervices. Ce Comte prit
beaucoup de part à fes malheurs , ôc
il convint avec lui que ce qu’il âVQiç
T Y C H O
de mieux à faire, c’étoit de s’introduire
à la Coui* de l’Empereur Rodolphe I / ,
qui aimoit les Machines ôc la Chymie.
Il promit même d’en parler à l’Eie&eur
de Cologne, ôc de l’engager à faire réuf-
fir cette affaire. De fon côté, T ycho-
B rahé , pour capter la bienveillance de
Sa Majeflé Impériale, lui dédia un ouvrage
d’Affronomie, contenant la defcrip-
tion de fes inllrumens. Cet ouvrage parut
en iyp 8 fous le titre d’/QJlronom'uz inf-
tauratce mecanica.
L ’Empereur parut moins fenfible à cet
hommage qu’il l ’étoit effe&ivement. Il
écouta même affez tranquillement les
éloges-qu’on faifoit de notre Philofophe.
On ne favoit que penfer de cette indifférence
; mais c’étoit un de ces traits de
politique qu’on appelle de l’efprit dans
Jes Cours. Ce Prince vouloit ou faire valoir
fa protection , ou fe déterminer par
lui-même, fans y être porté par aucune
follicitation. Cependant on croÿoit l’affaire
manquée, lorfque T ycho-B rahé
fut invité de fe rendre auprès de l’Empereur
qui étoit en Bohême. Il partit fur
le champ, ôc fut reçu de ce Prince avec
les témoignages les plus forts d’effime
Ôc de bienveillance. Sa Majefié lui donna
une maifon magnifique à Prague , une
penfionde trois mille écus, Ôc lui promit
à la première occafion un fief pour lui
ôc fa poftérité. Et comme cette maifon
n’étoit pas propre aux obfervations afi-
tronomiques, elle lui propofa de choifir
fur trois châteaux hors de la ville, celui
qui lui conviendroit le plus. Notre Philofophe
prit le Château de Benatica} ôc
s’y établit avec fa famille. L ’Empereur
lui donna pour adjoints à fes travaux
Fortecius, Longomontanus, & le fameux
Kepler (a). Avec ces fecours, notre Philofophe
fe difpofa à finir fon grand ou-
(æ) Voyez çi-après Hiiftoire de cet Aftronome.
(b) Je nè fai fur quel fondement-on a écrit que ce
fut dans le caroflTe de l'Empereur que T ycito-Brahé
xetint fon urine, n'ofant dire à Sa Ma/eilé le befoin
dont il étoit prefle. Car l’illuftre Gajfendi » auteur de
la vie de ce grand homme , ne parle pas feulement
de ce conte. Voici comme il rapporte la éaufe de fa
maladie.
Fuit ergo Qflobris dits X III, cura ab illujfn Rofsmbetchiç
- B R A H Ê . 2 3
vrage d’A ftron om iequ ’il avoit commencé
de faire imprimer à Uranibourg;
mais différentes incommodités qu’il eut
à ce Château, le lui firent abandonner.
Il retourna à Prague, où l’Empereur lui
donna la maifon de Curtius, habile A f tronome
ôc fon ancien ami, ôc dans laquelle
il avoit lui-même demeuré ôc
obfervé.
Rien ne manqùoit à fa félicité. Il jouif-
foit de toutes les fatisfa&ions d’efpric
que peuvent procurer les découvertes ôc
l’eftime des hommes : mais il ne pofle-
doit point ce bien précieux, fans lequel
tous les autres font inutiles : je veux dire
la fanté. I l étoit affligé d’une incontinence
d’urine , qui l’affujettiffoitaux plus
grandes attentions. En homme fage, il
s’accommodoit à ce befoin. Quand il dî-
noit en compagnie, pour ne pas quitter
Ja table au milieu du repas, il avoit foin
d’y fatisfaire avant que de s’y mettre. I l
s’oublia malheureufement un jour. Le 13
Octobre 16 0 1 , étant allé manger chez
un Seigneur nommé Rofemberg, il prit
fa place à table, fans penfer à fon incommodité.
Il but même davantage qu’à
fon ordinaire : ce fut une caufe de plus
pour augmenter fon mal. Il étoit aifé d’y
apporter remède, en quittant un moment
la compagnie : mais entraîné par la convention
& par la joie du feftin, il fe
fit violence. Le mal redoubla, ôc ne lui
permit pas de refter jufqu’à la fin. Il
fe retira chez lu i, ôc effâya inutilement
plufieurs fois de fe foulager, La rétention
d’urine fut totale (b). Bientôt après
il fouffrit des douleurs aigues, qui l’em-
pêcherent de dormir. La fièvre fe déclara.
Il eut le tranfport au cerveau, & il
comprit dans fes momens de tranquillité
, qu’il touchoit à la fin de fa carrière.
Il fît venir fa femme ôc fes enfans, leur
•tcduxir. Priufqukm co.fderent f non e m i f t ^ f y b T ^ t
promote babebat , urinam quo ejfftum cfl , ut cum pstilb
largius inter ctnxnàum biberetttr , tendi-vrfcam fe n ftrii ,
ecuarc arquant» per qmacm je» ucruaxc tame* BW» oro-
rarus eonvwioram leges e men fa abiir „ ac dtfiBKtX jjssiù,
Tycwoni&-Bjuui£X Vite, p3£. Zo$>