38 h a r t s o e k e r . l’Académie; qu’il n’avoit employé aucun
terme de mépris ni d’aigreur ; & que
s’il avoit cenfuré les Ouvrages de quelques
Académiciens, c’étoit par eftime
pour ces Ouvrages ou pour leur Auteur.
Cette lettre produifit tout l’effet qu’il de-
voit en attendre : elle le réconcilia avec
l’Académie.
Cependant Bernoulli avoit fur le coeur
la critique qu’HARTSOEKER avoit publiée
de fon explication de la lumière du baromètre.
En 1719 , ayant fait foutenir
une thèfe par un de fes Ecoliers, il làifit
cette occafion pour répondre à cette critique,
ôc^pour venger les Savans que
notre Philofophe avoit attaqués. Comme
celui-ci s’étoit moqué des idées ou fyf-
têmes les plus accueillis, Bernoulli fe
moqua auffi du favoir de notre Philofophe.
Il lui reprocha fon ignorance de
la nouvelle Géométrie, maltraita affez
fon Effai de Dioptrique, & réduifit à
fort peu de chofe fa capacité. Il faut
avouer que Bernoulli avoit fur lui un
grand avantage. A la connoiffance de la
Phyfique, il enjoignit une très-profonde
des Mathématiques. C’étoit fans contredit
un des plus beaux génies qui vécût
alors, & il étoit autorifé à prendre le
ton le plus haut.
Hartsoeker répondit qu’il ne falloit
pas être un profond Géomètre pour réfuter
le fyftême de la pefanteur à'Hug-
hens, l’attra&ion & le vuide de Newton,
l’explication de la lumière du baromètre
par BernouUi, &c. Mais quoique fa ré-
ponfe fut affez v ive , elle ne parut point
fatisfaifante.
Pendant le cours de ces démêlés, notre
Philofophe perdit l’Ele&eur Palatin. Sa
veuve, qui étoit une Princeffedela Mai-
fon de Médicis , continua à avoir pour lui
les mêmes bontés qui lui avoient gagné
le coeur, Hartsoeker refta avec elle
jufqu’à fon voyage d’Italie qu’elle fît un
an après la mort de fon mari ; & cette
Princeffe ne le quitta qu’après lui avoir
laiffé par fes libéralités des marques non
équivoques de fon eftime &C de fon attachement.
Notre Philofophe ne fut pas plutôt
libre, que le Landgrave de Heffe renou-
vella les follicitations pour l’engager à
venir s’établir dans fa Cour : mais quel-
qu’agrément qu’il eût eu avec l’Ele&eur
Palatin , il voulut vivre déformais pour
lui-même, & jouir de cette liberté ab-
folue dont le Sage connoît feul le prix.
11 s’excula fur la foibleffe de fa fanté, déjà
affoiblie par une longue maladie qu’il
avoit eue, & même fur fon âge qui lui de-
mandoit un peu de tranquillité&du repos.
En quittant le Palatinat, il alla s’établir
à Utrecht avec toute fa famille. Il y
fît imprimer en 1712 un Recueil de différentes
Pièces de Phyfique. C ’étoient des
cenfures des Ouvrages des différens Auteurs
célèbres. Il femble que plus il avan-
çoit en âge , plus fa mauvaife humeur le
gagnoit. La première pièce de ce Recueil
eft une réfutation de la Philofophie Neu«
tonienne. Notre Philofophe, fans ufer de
ces petits ménagemens peu philofophi-
ques , comme le remarque fort bien
l’Auteur de fon éloge, entre en lice avec
courage, & renouvelle fes clameurs contre
le vuide & l’attra&ion.
Il attaque enfuite les trois Differta-
tions de M. de Mairan , qui ont remporté
le Prix de l’Académie de Bordeaux. Dans
la première de ces Differtations , M. dt
Mairan explique les variations du baromètre
, dans la fécondé la formation de
la glace, & la lumière des phofphores
& des no&iluques dans la dernière. Ici
les bonnes intentions du Cenfeur fe ma-
nifeftent avec toute leur pureté. J’ef-
père, dit-il dans fes remarques fur la première
Differtation , que M. de Mairan ne
trouvera pas mauvais que j'aie critiqué fa
Differtation. Il pourra ufer de repréfailles &
critiquer à fon tour mes Ouvrages de Phyfi
que , s’il le juge à propos. Bien loin de lui
en favoir mauvais gré, je Üy invite ; je le
tiendrai à honneur, & il me fera un très-f en*
Jible plaifir.
On peut conclure de-là que cen’eft point
par excès de zèle pour fes intérêts que
fes amis ont écrit que l’amour du vrai
qui l’attachoit à l’étude, ne lui permettait
pas d’adopter toujours les fentimens de
quelques Philofophes dont il rçfpeôçit
HA R T S
d’ailleurs le mérite & le favoir. N’étant
pas plus amoureux de fes opinions qu’il
ne le devoitêtre , il comptoit de trouver
dans les autres des difpofitions aufïi rai-
fonnables ; & comme il ne demandoit
pas mieux que de recevoir les avis de
ceux qui croyoient qu il s’egaroit, il fe
perfuada facilement qu’il pouvoit ufer
du même droit dont il laiffoit jouir tous
les Savans (c). En effet il écrivoit à M.
l’Abbé Bignon : Je ne cherche que la vérité
& je ne fuis point du tout du nombre
de ceux qui s’imaginent qu il y va de leur
gloire & de leur honneur de foutenir ce qu ils
ont avancé, vrai ou faux. Je condamne bien
Jouvent, fans façon , mes premières conjectures
pour y en fubfiituer d autres, dont
quelques-unes auroient fans doute le même
fort dans la fuite du temps.
M. de Mairan répondit cependant en
1712 à M. Hartsoeker dans le Journal
des Savans, & fatisfit également &
les Philofophes & Hartsoeker même.
Ce grand Phyficien travailloit alors à
un Cours de Phyfique, qui n’eft qu’une
fuite de fes Conjectures Phyfiques, & à un
Extrait critique des Lettres de Leuvenoek
fur la Phyfique, qu’il n’eftimoit pas beaucoup.
Il convenoit bien qu’il y avoit de
très-bonnes obfervations dans ces Lettres,
mais il prétendoit que le plus grand
nombre étoit inutile & chimérique. Son
deffein étoit d’extraire ces bonnes obfervations
de ces inutilités, & de les pré-
fenter au Public avec un flyle plus fuppor-
table que celui de Leuvenoek, qu il trou-
voit bas & rampant. C ’étoit affurement
rendre par là un véritable fervice au Public
; mais ce n’étoit pas peut-être le feul
motif de notre Philofophe. Il régnoit entre
0 ÈK ER. 39
» faites-vous, lui dit-îl, pour difféquer
» une puce, une mite, pour tirer les
» tefticules de leur corps, pour ouvrir
» ces tefticules, pour en ôter la femence,
» enfin pour voir que cette femence eft
» remplie de petits animaux en forme de
» petites anguilles fort longues & fort
» minces? De quels verres vous fervez-
» vous pour faire cette anatomie ? Si le
»verre eft petit, vous n’avez pas affez
» de lumière, parce que vous la cachez
» vous-même. S’il eft grand , il ne groffit
»pas affez. Mais de quel couteau vous
» fervez-vous? Celui qui a le tranchant
» le plus aigu & le plus fin, ecraferoit le
» vaiffeau plutôt que de l’ouvrir. De plus,
» le couteau eft entre le verre & l’objet,
» & alors l’objet eft caché, & vous ne
» pouvez travailler qu’en aveugle. A jou-
» tez à cela que vous ne pouvez venir à
» bout de cette anatomie fans faire quel-
» qu’effort fur les parties que vous dif-
» féquez, & qu’auffi-tôt que cela arrive,
» ces parties font hors du foyer de votre
» verre. Enfin dès que vous coupez quel-
» que partie, les humeurs qui en fortent
» rendent tout confus (</). # r
lui une méfintelligence qui le foutint
jufqu’à la mort. C’étoit une vieille querelle
que le temps n’avoit pas encore
amortie. Voici ce qui y donna lieu.
Dans une vifite q u ’H A R T S O E K E R lui fit
en 1679, P demanda comment il fai-
foit fes petites anatomies. » Comment
Ces raifons font bien fortes, & il etoit
difficile d’y répondre. H a r t s o e k e r lui
montra plufieurs verres travailles à la
main, & d’une petiteffe extrême, & le
pria de lui en montrer de fa façon ; mais
Leuvenoek lui répondit qu’il avoit d autres
verres différemment faits que les
fiens, qu’il ne faifoit voir qu’à fa femme
& à fa fille, & il le quitta.
Notre Philofophe oublia cette mauvaife
humeur. Un Bourg - meftre qu il
connoiffoit, ayant voulu connoître Leuvenoeky
il ne fit point difficulté de l’accompagner
: c’étoit dix ans après fa dernière
vifite. Malgré cet intervalle de
temps, il crut cependant garder l'incognito
en entrant chez Leuvenoek, fauf à renouveler
connoiffance, fi l’occafion en etoit
favorable. Il pria donc le Bourg-meflre
de ne le point nommer; mais celui-ci
(e ) Voyez la Préface de fon Court de EJiyfiqnt.
( 4 ) Extrait critique ici Lettres de M. LcUYCnock, page 7.