des noms barbares qu’il inventait.
C’étoit ici une pure char latanerie, qui
faifoit un tort infini aux connoiffances
réelles qu’il avoit acquifes ; car il avoit
travaillé avec fuecès fur les métaux, &i
connoiffoit affez bien les fecrets de la
Chymie métallique. Il avoit encore le
talent de bien opérer de là main dans
laguérifon des plaies ,& il réufîifîbit fur-
tout dans lestraitemensdes ulcères même
les plus défefpérés. Il méritait donc l ’ef-
time du public, & il auroit bien pu s’en
tenir à fon fa voir & à fon adreffe, fans
faire le Magicien ou le Sorcier : mais il
vivoit dans un temps où la vérité ne
paffoit point fans le merveilleux, & il
avoit befoin d’échauffer les efprits en fa
faveur pour rétablir fes affaires.
Dans fes voyages il dépenfoit beaucoup.
Les biens qu’il avoit reçus de
fon père étoient fort médiocres. Etant
fur les frontières de Ruffie, où il étoit
allé en vifitant les mines d’Allemagne ,
il fut fait prifonnier par les Tartares,
qui le conduifirent au Cham. Ce Prince
l’emmena avec lui à Conftantinoplê ,
où il apprit ( à ce qu’il dit ) le feeret de
la pierre philofophale. Ilfuivit les armées
en qualité de Médecin, & affifta à des
fiéges & à des batailles.
De retour dans fa patrie, il fongea à
mettre en ordre fes idées fur la Chymie
& la Médecine. Il adopta la do&rine des
trois élémens de Bafile Valentin , qu’il
appella les trois principes; Ces principes
font le fel, lefoufre & le mercure.
Aidé des lumières d'Hyppocrate, dont il
faifoit grand cas, & de quelques Médecins
de l’antiquité qu’il eflimoit, il fit
un fyftême nouveau de Médecine, qu’il
crut le feui qu’on dut fuivre. Il méprifoit
hautement tous les Dofteurs de l’Ecole,
fingulièrement les Arabes , & ne
croyoit point qu’il y eût un homme plus
habile que lui. Il ne fe contenta pas de
le croire, il le dit.
Les Magiftrats de Bâle l’ayant engagé
par un honoraire confidérable à profeffer
la Médecine dans leur Ville , il s’appella
le Dofteur des Do&eurs. Gravement
affis dans fa chaire ? à la première leçon
qu’il donna, il fit brûler les Ouvrages de
Galien & d’Avicenne ; & s’adreffant en-
fuite aux Médecins & aux Sa vans : Sacheç,
leur dit-il', que mon bonnet ejl plus favant
que vous, que ma barbe a plus d'expérience
que vos Académies. Grecs , Latins, François
, Italiens , je ferai votre Roi. Il promit
après cela à fes auditeurs de leur donner
l ’immortalité par fes médicamens chy*
miques.
Ses fuccès ne répondirent point à fes
promeffes ; mais il fit des chofes mer*
veilleufes. Il opéra des guérifons furpre-
nantes, & attaqua fur-tout avec avantage
les maladies vénériennes , qui commen-
çoient alors à faire un grand ravage , Sz
contre lefquelles échouoient les remèdes
de la Pharmacie ordinaire.
Tout cela lui acquit une grande célébrité.
On accouroit en foule à fes leçons
qu’il donnoit (en 1527) tous les jours
pendant deux heures, tantôt en Latin ,
tantôt en Allemand. Il expliquoit fes
propres Ouvrages , & particulièrement
ceux qui ont parufous ces titres : De Corn-
pojitionibus, de Gradibus & de Tartaro ;
Livres futiles, pleins de bagatelles, &
vuides de chofes. La forme manquoit en*
core au fond de fes leçons. Il s’expliquoit
d’une manière fi obfcure & fi inintelligible
y que perfonne n’entendoit ce qu’il
difoit. On fe dégoûta de fes inftruéfions,
& infenfibiement il fe trouva feul dans fa
claffe; de forte qu’il fut obligé d’abandonner
fa chaire^
Il y a lieu de croire que fes ennemis
autant que fa mauvaife manière d’enfei^-
gner, contribuèrent à cette défertion. Il
n’étoit point aimé des Médecins qu’il
méprifoit, & ceux-ci ne chantoient pas
fes louanges. P a r a c e l s e fe faifoit ap*
peller Theophraftus, qui étoit fon premier
nom, parce que ce mot qui fignifie un
homme dont le langage eft divin, lui
plaifoit plus que celui de Paracelfe: mais
les Médecins l’appelloient Cacophraflus j.
c’eft-à-direun homme dont le langage elt
méchant.
On cherchoit à le dégoûter du féjour de
Bâle, & lui fongeoit à en fortir, lorfque
Jean Frobenius, fameux Imprimeur de
cette Ville, le corifulta fur une douleur
qu’il avoit au talon du pied droit. P a r a -
c è l s e le guérit, & fit paffer le mal du
talon aux doigts du pied ; de forte que Frobenius
ne put jamais les fléchir, quoiqu’il
n’y fentît aucune douleur, & qu’il fe portât
bien. Il fut attaqué peu de temps après
d’une apoplexie, que notre Philofophe ne
put guérir, & à laquelle le malade fuc-
comba.
Avant cet accident,.la cure de Frobenius
faifoit beaucoup de bruit ; & comme cet
Imprimeur étoit fingulièrement eftimé
par Erafme , notre Philofophe fe crut
autorifé d’écrire à Erafme pour lui offrir
de le guérir de la gravelle, dont il étoit
incommodé depuis long-temps. Erafme
accepta l’offre; mais bien loin que les
remèdes de P a r a c e l s e adouciffent fes
douleurs , fon mal empira. Il fut plus
heureux dans le traitement qu’il fit de la
maladie d’un Chanoine nommé Linclinfels..
Ce Chanoine avoit un mal d’eftomac
affez opiniâtre. Il s’adreffa à notre Philofophe
, & lui promit une récompenfe de
cent florins s’il le guériffoit. P a r a c e l s e
lui donna trois pilules de laudanum qui
produifirent cet effet. Cette cure étonna
le Chanoine, parce qu’il croyoit qu’il
falloit de plus grands remèdes pour le
délivrer de fon mal. Il ne crut pas que
trois pilules de laudanum valuffent cent
florins, & refufa.de les donner. P a r a c
e l s e l’attaqua en Jufticepour avoir cette
fomme , dont il étoit convenu avec le
Chanoine. Mais les Juges ne faifant attention
qu’à la petite quantité du remède ,
& à la peine qu’a voit-eue le Médecin , ne
lui adjugèrent qu’une gratification fort
modique. Notre Philofophe indigné de ce
que les Juges, au mépris, d’une convention
, avoient taxé fon induftrie , s’emporta
contre eux , & ce n’étoit pas fans
raifon. Son laudanum n’étoit point du.
fimple laudanum, mais un laudanum préparé
, un compofé de laudanum , de jus
d’oranges, aigres jl de celui de.canelle >,de
mufc, d’ambre gris , de fafrart, de fel de
corail, de fel de perles, digérés enfemble
à diverfes reprifes au foléil, & incorporés
par une manipulation affez délicate.
Or cela faifoit un remède excellent pour
appaifer toutes les douleurs tant intérieures
qù’extérieures, & dont on deyoit
payer la découverte. P a r a c e l s e l’ap-
pelloit un fpécifique anodin , & il y avoit
recours dans toutes les maladies urgentes
& difficiles. Quel remède ,- difoit-il, le
Médecin doit-il plus ardemment fouhaiter
que celui qui peut appaifer toutes les
douleurs, & éteindre toutes les ardeurs
Tel etoit l’effet de fon laudanum. Aufîî
s’écrioit-il : Celui qui en jouira ne poffédera
pas moins de fcience qii Apollon, que Ma-
caon & Podalyre, qui font les deux fils.
dEfculape ( c ).
Cependant P a r a c e l s e ne crut pas >
après cette injuftice , devoir refter'plu*
long-tempsàBâle. lienfortitaccompagné
de Jean Oporin,ay\\ lui fervoit de Secrétaire,
& qui avoit accepté cet emploi à.
condition que fon Maître lui apprendroif
toute la Médecine dans l’efpace de fix mois.-
Ils.allèrent enfemble en Alface,.& de*là
ils paffèrent en Allemagne.. La renommée
l’a voit fait connoître dans ce pays ; de.
forte que l’Empereur, qui étoit dangereu-
fement malade, ayant fu fon arrivée, le
fît appeller. Notre Philofophe après avoir
examiné la maladie du Prince, tira uns
pilule delà poignée de fon-épée, & la lui
fît prendre. L’Empereur fut foulagé dans,
l’inftant,. & fa fanté fe rétablit fi promptement
, qu’il alla le lendemain à la cliafle,
C ’éfoit fon laudanum qui formoit dette
pilule, & apparemment c’étoit un remède
convenable à la maladie de Sa Ma-
jefté Impériale. Mais comme fi ce remède1
dût.guérir de tous maux , le Chancelier
de l’Empereur, qui étoit tourmenté de la
goutte, en prit,. &.ne guérit point.1
iâ£ePe ndant on fît attention en Allemagne^
ala guérifon de l’Empereur. Cela procura*,
une grande réputation à Paracelse 3;quil
( c ) On trouve la- conrpofition dé ce remède d an s le Ctm . de C%»«c- de. L e f è v r e - * T.oot. I',. p g . rj.fcdé.'
iffc cinquièmes édition.