XXIV D I S C O U R S
lui-ci. Mais la produ&ion qui lui a
fait le plus d'honneur, c’eft fa
Chronologie dont je viens de parler
, qui parut en i y S 3 fous le titre
De emendatione Temporum. L ’érudition
qui eft répandue par tout dans
cet ouvrage , dit le P. P et au , la
variété incroyable de chofes peu
connuès dont il traite, la nouveauté
du fujet & fon ton décifif,
lui procurèrent une très-grande réputation.
Cependant} malgré cette
eftime fi haute que ce Religieux
en faifoit, il ofa l’attaquer dans un
Livre qu’il publia fous le titre De
dolfrina Temporum. Il y a de l’amertume
dans fa critique. Le P. Pelau a
été même fâché à la fin de fes jours
de n’avoir pas ufé à l’égard de Scali-
ger de plus de ménagement. Il déclara
au lit de la mort, que s’il eût
connu fes divines Epitres, il ne l’au-
roit jamais attaqué : ce font fes termes.
Les Epitres dont veut parler le
P. Petau, font celles qui n’ont été
imprimées qu’après la mort de Scali-
ger, par les foins de Daniel Heinfius.
Elles font intitulées ; Epificia omnes.
Un autre Savant eut encore plus
de fujet de fe plaindre d’avoir attaqué
la Correttion des Temps. Il fe
nommoit David Par te us , êt étoit
Profeffeur de Théologie à Heidelberg.
Il trouva quelque chofe à
dite dans les fupputations chronologiques
; mais Scaliger, qui ne fouf
froit pas patiemment qu’on le contredît,
le traita avec tant de mépris,
que ce Profeffeur attribuant cette
fierté à l’entêtement qu’on avoit
alors pour l’étude de la Chronologie,
dit, quajfurément le Diable étoit
auteur de cette forte de fcience.
Ce grand homme mourut le 21
Janvier 1609 àLeyde, où il avoit
été appellé pour fuccéder à Jujle
Lîpfe, en qualité de Profeffeur honoraire
en l’Univerfité de cette
Ville. Il avoit près de foixante-neuf
ans. Il fut enterré avec pompe, &
on érigea un maufolée fur fa tombe.
Il n’avoit point été marié. Il n’ai,-
moit que l’étude, & s’y livroitavec
tant d’application, qu’il paffoit des
journées entières dans fon cabinet
fans manger. Il étoit fort fobre &
très-défintéreffé. Quoiqu’il jouît de
peu de revenus, il refufa toujours
conftammentlespréfens qu’on voulut
lui faire, & vécut dans cette
heureufe médiocrité qui fufifit à
un Savant [a).
C ’eft peut-être ici le lieu de parler
de l’utilité des Mathématiques,
d’une fcience qui forme la matière
ou le fujet de ce volume. Le P.
Prejlet lui donne le premier rang entre
les fciences humaines. Il la préfère
prefque à la Morale, qui eft la
fcience propre de l’homme. Il eft
certain que les Mathématiques font
plus évidentes que la Morale, ôt
qu’elles font très-utiles pour décou-:
vrir les vérités les plus cachées :
-------------------------- ■ ■ ....... "— a»
U) Voye\ lç Diûionnairç de JVt CheeffefU( article Scaliger ( Jofeph-Jujle),
mais
P R E L I M I N A I R E . XXV
mais elles n’apprennent point certaines
vérités de pratique qui font né-
e,effaires pour la conduite de la vie,
oudans le commerce du monde.La
fcience de l’homme apprend beaucoup
plus à vivre qu’à penfer ; & les
Mathématiques apprennent plus à
penfer qu’à vivre. Mais fommes-
nous plutôtfaits pour vivre ou pour
nous lier étroitement avec les hommes,
que pour penfer ou pour nous
unir à la vérité ? demande le P.
Preß et ,• & on peut répondre à cela
que nous fommes faits pour l’un &
pour l’autre.
Les Mathématiques peuvent en-
1 core fervir à former les moeurs. Un
' des plus grands principes de corrup-
’ tion de tous les hommes, dit un Savant
eftimé ( le P. Lami) e& cette
forte inclination qu’ils ont pour les
chofes fenfibles, qui fait que rien
' ne leur plaît que ce qui flatte leurs
■ fens ; de forte qu’ils ne recherchent
que ce qui fait fur eux des fenlà-
' tions agréables. Ainfi, comme les
' Mathématiques féparent des corps
qu’elles confidèrent, toutes les qualités
fénfibles, quand on peut engager
l’efprit à leur étude , on le
détache des fens, & on lui fait con-
noître & aimer d’autres plaifirs que
ceux qui fe goûtent par leur moyen.
Outre cela, les fens, l’imagination
& les paflions font les four-
' ces'générales des erreurs de notre
efprit, ôcpar conféquent du défor-
dre de notre vie. Or les Mathématiques
apprennent à difliper les- illufions
des fens, à corriger le déréglement
de l’imagination, & à mot-
dérer les pallions. Elles mettent de
l’ordre dans les idées, de Texaéïi-
tude dans le raifonnement , de la
clarté dans l’efprit, pour diftinguer
le vrai du faux , la certitude de la
probabilité.
Elles fervent admirablement à •
exercer l’efprit, à l’accoutumer a
concevoir les chofes difficiles., & à.
y donner une entière attention ; ale
conduire à un long raifonnement,
& à le fortifier , pour qu’il ne fe rébute
pas de la multiplicité des chofes
qu’il a à confidérer, afin d’apper-
ce voir la vérité ou la fauffeté d’une
propofition.Elles donnent, dit l’Auteur
de l’Art de penfer, une certaine
étendue à l’entendement , & le
mettent en état de s’appliquer davantage,
& de fe tenir plus ferme
dans ce qu’il connoît.
Enfin,, ce qui doit rendre cette
fcience infiniment précieufe à tous
les bons efprits, c’eft que la vérité
y paroît toute nue. La lumière &
l’évidence en formeht le caraûère.
Eh ! quelle fatisfaêlion plus grande
peut goûter l’efprit de l’homme,
que celle qu’il éprouve lorfqu’il
connoît la vérité ? Gar il.nefautpas.
croire que les hommes foient fi corrompus
par le menfonge ou par la
politique , pour qu’il ne leur relie
pas une forte inclination pour la
vérité. Les menteurs même qui
trompent fans ceffe les autres, la
çhériffent pour eux, cette vérité