en même temps le poids de tout le corps.
Telle eft la force générale des mufcles
d’un homme. Il peut arriver cependant
qu’il y ait des hommes Conftitués de telle
forte, que les efprits coulent en fi grande
abondance ÔC avec tant de rapidité dans
leurs mufcles, qu’ils foient capables de
faire des efforts triples & quadruples des
efforts ordinaires. L’Auteur de cette belle
théorie de la force des mufcles a vu à
Venife un jeune homme , qui avec tous
les avantages poflibles ne pouvoit porter
que quarante ou cinquante l i v r e s &
qui étant élevé fur une petite table, en-
levoit & foutenoit en l’air un âne , par le
moyen d’une fangle qui pafToif par deffous
le ventre de l’animal, & qui portoit fur
les épaules du jeune homme ; & cette
grande force dépendoit de l’activité oude
la force des mufcles.
C e la, tout extraordinaire qu’il e ft, ne
l’eft pas tant que cette vérité découverte
par notre Auteur. C ’eft que la force d’un
homme pourpouffer horizontalement avec
les bras, ou pour tirer une cordé horizontale
en marchant, le corps étant incliné
en devant, foit que la corde (bit attachée
aux épaules ou au milieu du corps, n’eft
que de vingt-fept livres. Un homme étant
penché pourroit bien foutenir un poids
plus grand ; mais non-feulement il ne lui
feroit pas poflible dé marcher dans cette
fituation, mais encore de Ce foutenir.
En travaillant à la perfection dé la Mé-
chanique , LA Hire fongeoit fou-vent à
l’Aftronomie. I l aimoit cette fcience Ôc
l’étudioit avec plaifir. Auffi d’abord qu’il
eut fini fon Mémoire fur la force de l’homme
, il n’eut rien de plus à coeur que de
revoir le ciel. C ’étoit un délafièment pour
lui que de changer de travail, & c’étoit
le feul qu’il fe permît. Son zèle pour les
progrès de l’Aftronomie lui fuggéra un
moyen de faciliter la pratique de cette
fcience: ce fut deux Planifphères de feize
pouces de diamètre , c’e ft-d ir e la projection
en deux parties des cercles de la
Sphère fur un de- fes cercles, avec laquelle
on pût réfoudreméchaniquement
plusieurs problèmes d’Aftronomie. Cette
projeCUon pafïoit par les pôles de l’éelip-
I R E.
tique, & les pofîtions principales étoïent
déterminées d’après fes propres obferva-
tions. Il les fit graver en 1702 fur les
deffins qu’il en avoit fait.
Dans ce temps-là on conftruifit pour le
Roi deux grands Globes, un célefte ôc un
terreftre. Ces Globes dévoient être placés
aux deux derniers Pavillons de Marly.
C ’étoit une ehofe délicate, vu leur grandeur.
Sa Majefté chargea de ce foin notre
Philofophe ; ôc comme l’ouvrage dura
long-temps, Elle alloit le voir quelquefois
, ôc s’entretenoit volontiers avec luL
II étoit queftion d’Aftronomie. Le Roi
écoutoit avec plaifir les réponfes que lui
faifoit l a Hire fur les différens objets de
cette fcience, ôc ce Philofophe étoit toujours
content de la manière obligeante
avec laquelle le Prince l’interrogeoit.
Cependant LA Hire avançoit dans fa-
carrière. On s’en appercevoit dans le
Monde par fon relâchement à produire.
Les devoirs de fes charges occupoient
prefque tout fon temps. Il étoit ProfefTeur
de l’Académie d’ArchiteCture ôc au College
Royal. Il fe trouvoit exactement aux
féances de l’ Académie des Sciences , ôc
étoit fort aflîdu à l’Obfervatoire. Dans la-
vigueur de l’âge il fatisfaifoit à ces devoirs*
fans rien prendre fur fon application à:
l’étude. Mais lorfqu’il eut 75; ans, fes-
forces s’afïbiblirent. Quoiqu’il eût toujours
fes idées nettes, il ne pouvoit plus
faire des débauches d’efprit. Des infirmités
fe joignirent à cet affaiffement nécef-
faire , & le condüifirent dans deux mois-
au tombeau. Il mourut fans-agonie & en-
un moment le 21 Avril 1 7 18 , âgé de 78
ans paftes.
Les qualités de fon coeur répondoient
à celles de fon efprit. Il étoit poli, cir-
confpeCt ôc prudent, équitable ôc définté-
reffé. Il aimoit la retraite & le recueillement.
Il étudioit tout le jour, ôc pafibit
une partie de la nuit à obferver. Dans feS'
ouvrages, comme dans fes études, il pré-
féroit la fynthèfe à l’analyfe moderne. I l
la trouvoit plus lumineufe que l’analyfe.,
qui a pourtant cet avantage d’être plus-
expéditive ôc moins- embarrafïée. I l ne
crojoit pas que le fecret de la nature fût
aifé à deviner ; & lorfque dans fes écrits fur la Phyfîque il propofoit un fy ftême, il le donnoit pour ce qu’il étoit, fans d’autre
prétention que d’avoir bien raifonné d’après
unehypothèfe.
Il avoit été marié deux fois, & avoit eu des enfans, qui ont eu pour fa mémoire toute la conlidération que le fang & une
eftime éclairée peuvent inlpirer pour un
bon père & pour un grand homme.