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du même mois. Il prononça en y montant
un Diicours tur l’utilité des Mathématiques
dans la Phyfique , intitulé: De
Mathefeos in omnibus fcuntiis , prcecipus
in Phyjicis ufu, nu non de jîjlronomice
ptrfeclione ex Phyjica hdurienda. Dans ce
D ifcours, après avoir démontré combien
l’étude des Mathématiques ell propre
pour donner à l’efprit cette jufteffe
&C cette fagacité fi néceffaire pour faire
des progrès dans les autres Iciences,
fur-tout dans l’Allronomie, il fit voir
que cette dernière fcience dépendoit de
la Phyfique, parce que la Phyfique lui
donne les principes d’où dérive la caufe
de tous les mouvemens des corps cé-
leftes. Il s’ étendit principalement Fur ce
dernier article, pour préparer fes auditeurs
à des leçons de Phyfique, quoique
cette fcience ne fût pas comprife dans
celles qu’il étoit obligé de profeffer. Mais
fon intention 'étant d’enfeigner la Philo-
fophie de Newton, il ne pouvoit le faire
fans traiter de la Phyfique.
Il fut le premier hors de l’Angleterre
qui donna des leçons publiques de cette
Philofophie, & il le fit avec un applau-
diffement univerfel. Il ouvrit Ion cours
avec un appareil confidérable de machines
, dont la plupart étoient de fon
invention. Elles le mirent en état d’éclaircir
par des expériences les différentes
parties de la Phyfique. On n’avoit encore
rien vu de femblable, & cette lorte de
fpeâacle fit le plus grand plaifir aux Sa-
vans,
Dans fes leçons d’Aftronomie, il fubfi-
titua l’attraftion de Newton aux tourbillons
de Defcanes : ce qui fut une nouveauté
d’autant plus piquante, qu’on ne
connoiflbit à l’Univerfité de Leyde que
la Philofophie de Defcanes.
Avant que d’entrer en matière, il
recommanda l’étude des Élémens d’Eu-
clide. Il mettoit ces élémens fort au-deflus
des Traités de Géométrie moderne. En
général la méthode des Anciens étoit fort
de fon goût, & il ne négligeoit rien pour
la faire adopter par fes auditeurs. Il voulut
aufîi qu’on apprît l’Algèbre, parce
qu’il regardôit cette fcience comme un
S AND E.
moyen de découvrir des vérités utiles à
la Société. Tous les problèmes qu’il don*
noit à réfoudre à les Ecoliers tendoient
à ce but; & il méprifoit ces calculateurs
de profeflion, qui paffent leur vie à la
recherche des vérités de pure fpécula-
tion, & dont la détouverre n’elt d’aucune
utilité, loit pour les autres fciences,
ou pour les befoins de la vie.
Pendant qu’il s’acquittoit ainfi des fonctions
de fa place, le Landgrave de Helfe,
qui fie faifoit un plaifir d’attirer à fa Cour
les Savans les plus diftingués, le pria de
venir paffer quelque temps chez lu i,
afin de le confulter fur différentes machines
qu’il vouloit faire exécuter. A u-
tant ému par l’invitation du Landgrave
que par le défir de voir ces machines,
’S G R a v e s a n d E profita des vacances
pour fe rendre à Caffel. La nouveauté
la plus digne de fon attention, fut une
machine imaginée & conltruite par un
Saxon nommé Ojjîreus , qui croyoit
avoir trouvé le mouvement perpétuel.
Il étoit un de ces hommes remarquables
par des talens finguhers &par un grand
travers d’efprit. Il avoit un goût particulier
pour les machines : il avoit travaillé
pendant plus de vingt ans à en
imaginer, & il en avoit fait plus de trois
cens pour découvrir le mouvement perpétuel.
Celle que le Landgrave fit voir
à notre Philofophe étoit la dernière,
parce qu'Ojjîreus croyoit avoir réfolu
le problème.
Cette machine n’étoit autre chofe qu’un
tambour d’environ quatorze pouces d’é-
paiffeur fur douze pieds de diamètre. Il
étoit formé de quelques planches affem-
blées avec d’autres pièces de bois cou-*
vertes d’une toile cirée. Ce tambour
tournoit fur un axe d’environ fix pouces
de diamètre qui le traverfoit. C’étoit en
cette méchanique que confiftoit le mouvement
perpétuèl. En effet, quand on
avoit mis le tambour en mouvement une
fois, il y perfiftoit jufqu’à ce qu’on l’arrêtât.
Il faifoit vingt - cinq à vingt - fix
tours dans une minute. C ’efl le mouvement
qu’ il conferva dans une chambre
cachetée ôc fermée de façon qu’il étoit
'S G R A VE
ïmpolfible qu’il y eût aucune fraude.
Pour découvrir la caufe d’un effet fi
extraordinaire , notre Philofophe examina
l’extérieur de cette machine, &
principalement l’axe , & il ne trouva
rien au dehors qui contribuât à fon mouvement.
Il la tourna très-lentement, &
elle relia en repos aulfi-tôt qu’il eut retiré
la main. Il lui fit faire un tour ou
deux de cette manière, & lui donna en-
fuite un mouvement un peu plus vite,
en lui faifiant faire un tour ou deux :
mais alors il étoit obligé de la retenir
continuellement; car l’ayant lâchée, elle
prit en moins de deux tours fii plus grande
célérité. Or quelle pouvoit être la caufe
de ce mouvement} C’ell ce que ni
’Sgravesande ni les plus grands Mathématiciens
ne purent découvrir.
Perfuadés que le mouvement perpétuel
ell impolfible, ils crurent qu’il y
avoit quelque agent qui mettoit la machine
en mouvement. On prétendit même
qu’elle étoit mue par une Servante
ô?Ojjîreus, qui étoit dans une chambre
voifine, & que c’étoit par une communication
invifible. Mais cela ell fort
hafardé.
Car il s’agit d’abord de favoir pourquoi
cette machine prit un mouvement
fi grand, quand ’Sgravesande lui fit
faire un tour ou deux. Il ell étonnant
qu’on n’eût pas découvert la caufe de
ce mouvement, puifqu’on avoit la machine
en main. Il ell vrai que l’intérieur
étoit caché, & l’Auteur prétendoit qu’on
ne pouvoit découvrir le fecret qu’en démontant
la machine. On alfure même
qu’il dit ce fecret au Landgrave, qui lui
donna & une récompenfe digne de fa
générofité, & un certificat qui attelloit
vCOffireus lui avoit expliqué tout l’arti-
ce de fa machine, & qu’il jugeoit qu’elle
formoit un mouvement perpétuel. On
trouve le certificat du Landgrave dans le
Livre d’Ojfîreus, contenant la defeription
de fa machine (d).
SAN DE. 97
Notre Philofophe ne favoit que penfer
de tout cela ; car il n’étoit pas éloigné
de croire que la découverte du mouvement
perpétuel ne fût polfible. Il fe flatta
même un jour d’en avoir démontré la
polîibilité ; mais il reconnut dans la fuite
que fa démonllration n’étoit pas fi exaéle
qu’il l ’avoit jugée. Il fe retrancha fur une
polfibilité purement phyfique ; c’ell-à-
dire, qu’il ellima le mouvement perpétuel
polfible , en admettant dans la
nature des principes aôifs capables de
rétablir le mouvement qui fe perd en tant
de rencontres.
Quant à la machine d'Ojjîreus, elle
l’étonnoit toujours beaucoup. » Une
» roue, dit-il, dont le mouvement ell
» intérieur, qui le met en mouvement
» par le moindre effort, qu’on peut faire
» tourner du côté qu’on juge à propos ,
» fans que ce qui la tait.tourner d’un côté
» loit arrêté par ce qui la fait tourner de
» l’autre ; une roue qui, après avoir fait
» quelques millions de tours avec une
» rapidité furprenante, continue fon mou*
» vement de même, & n’ell arrêtée qu’à
» force de bras ; une telle machine mé-
» rite, à ce qui me paroît, quelque
»éloge, quand même elle ne fatisferoit
» pas à tout ce que l’Auteur en promet.
» Si c’ell le mouvement perpétuel, l’Au-
» teur mérite bien la récompenfe qu’il
» demande. Si ce ne l’ell pas, le Public
» peut découvrir une belle invention,
» fans que ceux qui auroient promis la
» récompenfe, fulfent engagés à rien.
Cette machine fit grand bruit dans le
monde favant. On en parla au grand
Bernoulli, & on l’inllruifit de la perplexité
où* étoit ’Sgravesande à cet
égard. Bernoulli fut étonné que ce Philofophe
balançât fur le parti qu’il y avoit
à prendre. Il lui écrivit que le mouvement
perpétuel ell impolfible. Il fondoit
fon alfertion fur cette loi de la llatique :
Le commun centre de gravité de toutes
les parties d’une machine qui ell en mou-
(d) L e titre de ce Livre eft fi fin gulier, que je crois
devoir le rapporter ic i. Le voici : Triumphant perpetuum
while Ojfireanum, omnibus fummis orbit univerji Principe
but, Magiflratibut & Statibus débita eum fubmiffîone venait
propofitum una cum variis cjufdem effetlibus per authentica
tejlimonia confrmatum, ab ejufdem tnventort Offireo.
N