M O L I E R E S.*
QU elq U E accueil qu’on fît à la méthode
de Poliniere d’établir l’étude
de la Phyfique fur les obfervations 6c
les expériences , on ne travailloit pas
avec moins d’ardeur à la Phyfique fyf-
tématique. On vouloit connoître l’ordre 6c l’enchaînement qui doit nécelfaire-
ment régner dans la produit ion des effets
naturels. A cette fin, chaque Phyficien
.cherchoit à expliquer les phénomènes
de la nature , fuivant les principes dont
il étoit prévenu ; 6c comme la conftruc-
tion de l’univers, qui eft un ouvrage
tout formé, ne peut être foumife à notre
choix, en adoptant des principes op-
pofés, on devoit être affuré qu’on fe
trompoit. Le meilleur, 6c peut-être le
feul moyen de démêler la vérité dans
cette diverfité d’opinions, c’étoit de former
une fuite de propofitions fi exactement
déduites les unes des autres, qu’elles
compofalfent une chaîne de vérités,
de laquelle il fût dorénavant comme im-
pofliblede fortir; c’elt-à dire, de faire des
élémens de Phyfique, comme Euclide
avoit fait des élémens de Géométrie ;
de démontrer les propofitions de la Phyfique
, de même que celles de la Géométrie,
en les déduifant les unes des
autres, félon la méthode des Géomètres ; 6c de fix:r par là pour toujours le nombre
& la qualité des principes de la Phyfique.
Il eft vrai que ce projet paroilfoit im-
poftible; car ces principes ne font point
fi faciles à diftinguer que ceux de la Géométrie.
Mais quoique les Phyficiens fe
foient divifés en plufieurs rencontres,
& ayent fouvent pris des routes oppo-
fées, il y a néanmoins certains points
dans lefquels ils fe réunifient. Or c’eft en
approfondilfant ces points communs, 6c
en en déduifant des conféquences, qu’on
peut connoître les véritables principes
de la Phyfique , en former une chaîne , 6c allier même les principaux dogmes
de la Philofophie de Defcartes 6c de celle
de Newton, quelqu’oppofés qu’ils foient,
parce que leurs routes, quoique contraires
en apparence, tendent au même
but.
C ’eft ainfi du moins que penfoit le
Phyficien dont je vais écrire l’Hiftoire, 6c telle fut la tâche qu’il crut devoir s’im-
pofer pour contribuer à la perfeétion de
la Phyfique. Il s’appeloit Jofeph Privât
d e Mo l i e r e s ,& naquit à Tarafccn
en Provence en 16 7 7 , de Charles Privât
de Molieres , & de Martine de Robins de
Marbantane, deux familles illuftres par
la naiflance. Il vint au monde avec une
fanté fi délicate, que fes parens ne fon-
gèrent qu’à fa confervation. Ils lui laissèrent
la liberté de faire ce qu’il voudrait
, fans lui parler feulement d’étude.
On regrettoit déjà le temps de fon enfance
qui devoit fe paffer dans des amu-
femens ; mais quoique valétudinaire , le
jeune Mo l i e r e s avoit l’efprit fàin 6c
formé. Il fit par goût ou par un penchant
naturel ce que l’éducation la mieux
ordonnée auroit pu lui prefcrire. Il apprit
de lui-même le Latin, les Humanités
, la Philofophie, 6c même un peu
de Mathématiques ; 6c il fembla que
l’étude, bien loin d’affoiblir fa fanté ,
lui avoit donné des forces. Ce qu’il y a
de certain , c’eft que les Mathématiques
a voient par leur évidence tellement élevé
fon ame, qu’elles empêchèrent que les
vues de fortune 6c d’ambition ne fiflent
impreffion fur elle. Il éprouva bien cet
effet, lorfque fes parens ayant perdu leur
fils aîné, qui fut tué à la guerre en 169 5,
IÜ
Eloge de M. l'Abbé D£ M o l ie r e s , pat M. de Muirm. Et Tes Ouvrage*.