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des équations du troifiéme & quatrième
degré : mais ils ne purent en venir à
bout, qu’en augmentant les embarras &
l’obfcurité de ces règles. Ils nommoient
la quantité inconnue la eofa, ( la chofe)
&exprimoient par les mots fenfo Ôc cubo,
la fécondé & troifiéme puiflance. Ces
mots mêlés avec des caractères d’Arith-
métique, préfentoient un calcul fi effrayant,
qu’il paffoit, aux yeux même
des Savans, pour un véritable grimoire.
V i e t e n’en jugea pas ainfî. Frappé
delà beauté de l’Algèbre, il réfolut d’en
arracher les épines, ôc de*la rendre ac-
cefïîble à tous les bons efprits. La première
caufe qu’il trouva de fon obfcu-
rité, c’eft que les quantités connues &
les quantités inconnues étant exprimées
par des nombres, fe confondoient tellement
enfemble, qu’il étoit difficile de les
diftinguer les unes des autres. Pour remédier
à cela, il exprima les quantités
par les lettres de l’Alphabet; les quantités
connues par les premières lettres, &
les inconnues par les dernières. Il dégagea
ainfî ces quantités, & forma des
équations nettes, où l’on vit clairement
toutes les opérations qu’il falloit faire,
afin de réfoudre le problème qu’elles
exprimoient.
L ’Algèbre changea prefque de face par
cette méthode. On lui donna le nom de
fpécieufe, & on regarda notre Philofophe,
linon comme le créateur d’une nouvelle
A lgèb re, du moins comme le reftaura-
teur de l’ancienne. Ce n’étoit pourtant-
ici que le prélude , en quelque forte,
•des découvertes qu’il méditoit fur cet art.
Lorfqu’il eut ainfî préfenté les équations
, il chercha différentes manières de
les transformer, afin de leur donner une
forme plus commode pour les opérations
nécelfaires à leur dépouillement. Il trouva
d’abord qu’on pouvoit faire fur les racines
d’une équation les mêmes règles que fur
les nombres , c’eft - à - dire , l’addition ,
la fouftraétion , la multiplication & la
divifion. Ce fut là une véritable découverte
; car il fit difparoître , par ce
moyen, le fécond terme d’une équation,
& vint à bout de réfoudre les équations
T E.
quarrées , ôc de préparer les cubiques.
Enhardi par ce fuccès, ce grand Algé-
brifte embrafla dans fon travail la réfol
ution des équations de tous les degrés,
& perfectionna les règles de Cardan 8c
de Bombelli. Il prefcrivit fur-tout une
belle règle pour les équations du fécond
degré ; & s’élevant de là aux équations
de tous les degrés, il trouva une méthode
générale pour la réfolution de ces équations.
aOn ne pouvoit point prendre les
chofes plus en grand. Cependant, quelque
hardi que fût le projet de cette méthode,
V i e t e ayant remarqué que les équations
ne font que des puiffances incom-
plettes, propofa d’extraire la racine des
équations, pour avoir la valeur de l ’inconnue,
& forma des règles pour mettre
cette idée à exécution. Toutes ces
inventions parurent dans un livre qu’il
publia^ fous ce titre : De Emendatione
Equationum.
Après avoir donné- à l’Algèbre une
forme nouvelle , notre Philofophe voulut
l’appliquer à la Géométrie , & cette
idée lui fit découvrir les conftru&ions
géométriques, c’eft-à-dire, l’art de trouver
des quantités ou des racines inconnues
d’une équation par le moyen des
lignes. Il vint à bout de construire., par
cette méthode , les équations du troi-
fîéme degré les plus difficiles. Ce fut là
une véritable découverte qui conduifît
à plufieurs autres de même genre. V iete
en les réunifiant, en compofa un ouvrage
favant intitulé : Recenjîo canonica ejjec-
tionum geometricarum.
En paffant ainfî à la Géométrie , il eut
occafion d’approfondir les vérités qu’on
avoitpubliées fur cette fcience, & il étoit
prefque impoffible qu’il le fit fans les multiplier.
C ’eft en effet ce qui arriva. L ’ét-ude
des feétions des angles le conduifît à remarquer
que les cordes des arcs multiples
ou foumultiples croiffoient ou décroif-
foient félon une certaine lot. C ’eft une
progreffion où les termes font alternativement
pofitifs & négatifs. Il exprima aufïi
le rapport des cordes elles-mêmes par une
progreffion. Enfin il découvrit une manière
de divifer un arc en parties égales.
v 1 E
Dans ces recherches géométriques ,
il ne perdoit point l’Algèbre de vue.
Il femble même qu’il n’étudioit la Géométrie
que dans le deflein de perfectionner
cette fcience , pour les progrès de laquelle
il avoit une afFeétion foute particulière.
Aufïi il n’eut pas plutôt établi
fa doCtrine des feCtions angulaires , (publiée
en iy 7 9 fous le titre àtC^NON
Mathematicus ) qu’il eflTaya de l’appliquer
à la réfolution des équations, ôc ce fut
avec un fuccès qui le combla de joie. I l
vint à bout de réfoudre les équations de
tous les degrés qui font de même forme
que celles qui fervent à la multifeCtion de
l ’arc, ou qui peuvent s’y réduire. Il put
alors fe glorifier d’être en état de donner
des leçons à tous les Algébriftes de
fon temps , & il eut la fatisfaCtion d’en
faire l’heureufe épreuve.
Un Géomètre habile des Pays-Bas,
appelé Adrien Romain, propofa à tous
les Mathématiciens de la Terre , un problème
qu’il leur défia de réfoudre : c’étoit
une équation du quarante-cinquième
degré. La propofition parut à la première
vue d’une abfurdité extrême. On ne jugea
pas que la chofe fût poffible , 8c
aucun Géomètre ne voulut pas même
l’examiner. V i E T e fut le feul qui l’accueillit
favorablement. Il l’eftima très-
foluble, & en trois jours il en envoya
la folution à Adrien Romain. Il fit même
plus que ce Géomètre n’avoit demandé.
Ayant trouvé que la réfolution de cette
équation dépendoit de la divifion d’un
arc donné en quarante-cinq parties égales
, il en affigna les vingt-deux valeurs
pofîtives, qui étoient les cordes de cette
quarante-cinquième partie de l’arc pro-
pofé,augmentées 'd’une fraCtion.
Romain vit avec admiration tout ce
procédé. Il fut fi furpris de la fcience de
notre Philofophe, qu’il voulut le voir ÔC
le connoître. Il partit auffi-tôt de Louvain
en Franconie, où il demeuroit, ôc
vint en France pour le combler de louanges
, & lui demander fon amitié. V i e t e
^accueillit en Géomètre. Après les po-
Jitefles ordinaires , & les expreflîons du
fentiment du cceur fur une démarche aulfi
T E. ’ i r
obligeante, il lui propofa ce problème-
Décrire un cercle qui en touche trois autres
donnés. Le Géomètre des Pays-Bas le réfolut
, en déterminant le centre du cercle
par l’interfeélion des deux hyperboles.
C ’étoit une folution méchanique, quoiqu’elle
parût tranfcendante. Celle de notre
Philofophe étoit géométrique, & il l’a-,
voit puifée dans la Géométrie ordinaire.
L ’idée de ce problème appartenoit ïAp-
pollonius. C’étoit un Mathématicien très-
favant, qui vivoit 200 ans avant Jefus-
Chri/î. Il l’avoit propofé dans un de fes
Ouvrages intituléDeFraftionibus, comme
un problème des plus difficiles en ce genre.
Cet Ouvrage plut beaucoup à V i e t e .
La matière qui y étoit traitée, lui parut
même fi impqrtante , qu’il s’étudia à
l’approfondir. Il augmenta confidérable-
ment le livre à? Appollonius, & en donna
une édition fous le titre à*Appollonius
Gallus , qu’on regarda comme un nouvel
Ouvrage, tant il fe l’étoit rendu propre
par les changemens, corrections & aug-,
mentations qu’il y avoit faits.
Toutes ces productions lui valurent
la qualité du plus grand Algébrifte du
monde. C’étoit la réputation la plus glo-
rieufe dont un Savant pût jouir : car
l’Algèbre pafioit alors aux yeux des Peuples
pour une vraie magie, 8c par confé-
quent ceux qui l’entendoient, pour des
magiciens , ou du moins pour de puif-
fans génies. Aufïi dans l’embarras où
fe trouvoit la Cour de France , dans le
temps de la Ligu e , de lire les Lettres
des Efpagnols qu’on avoit interceptées ,
pour connoître leurs defteins, on ne crut
pas que quelque autre que V i e t e pût
y comprendre quelque chofe. Les Interprètes
chargés par le Roi de déchiffrer
les différentes écritures, y avoient renoncé.
C ’étoit en effet une chofe très-
difficile. On favoit bien que les Efpagnols
écrivoient dans les temps de guerre
en chiffres & en caraftères inconnus: on
connoiffoit même leurs lettres; mais celles
qu’on avoit interceptées n’étoient point
dans la forme ordinaire. Le chiffre qu’on
y avoit employé , étoit compofé de
plus de cinq cens caraéïères différons.