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phénomènes ou leurs apparences. Le fyftême
de Ptolemée ne lui paroift'oit pas
feulement défectueux à cet égard : il
le trouvoit encore dépourvu d’ordre &
de proportion. Les anciens Philofophes
Grecs n’auroient-ils pas eu une meilleure
idée du fyftême du Monde ? G’eft une
queftion qu’il fe fit 6c qu’il chercha à
réfoudre par la leéture de leurs opinions.
I l lut d’abord dans les Quejlions Académiques
de Cicéron , que Nicétas de Sy-
racufe avoit enfeigné que la Terre tourne
autour de fon axe ; ce qui faifoit le
même effet à un habitant de ce globe,
que fi les Cieux tournoient autour de
lui. Il vit enfuite dans Plutarque, que Phi-
lolaé, Pythagoricien, avoit foutenu que la
Terre fe meut annuellement autour du
Soleil. En admettant ces deux mouve-
mens , il reconnut avec joie que l’obfcu-
rité, le défordre & la confufion , dont
il fe plaignoit au fujet des mouvemens
des corps céleftes , difparoiffoient, &
que tout rentroit dans l’ordre & dans
la difpofition la plus fimple 6c la plus
régulière. Ces découvertes lui firent tant
de plaifir,qu’il efpéra de fe procurer par de
nouvelles recherches des lumières plus
abondantes. 11 confulta donc tous les Auteurs
qui avoient parlé des Philofophes
de l'antiquité , 6c ce ne fut point en vain.
Martianus Capella lui apprit qu'Ariftar-
que de Samos croyoit que Vénus &
Mercure font leurs révolutions autour
du Soleil. Il ajufta ceci avec le mouvement
annuel & journalier de la I erre,
& il fut émerveillé de voir l’accord de
cet arrangement avec les mouvemens
apparents des A lires. I l reftoit Mars,
Jupiter 6c Saturne. Aucune autorité le
portoit à croire que ces trois Planètes
avoient le Soleil pour centre de leurs révolutions.
Il le préfumoit bien, mais ce
R n i c.
digieufe, c’eft-à-dîre, une difiance d’un
point de leur orbite à la Terre, infiniment
n’étoit point allez pour l’admettre.
En réfléchiffant fur ce que ces Planètes
paroiffent beaucoup plus grandes dans
leurs oppofitions que dans tout autre
afpeCt, il reconnut que dans lefyfiême de
Ptolemée il falloit, pour accorder cette
apparence avec le mouvement autour du
§oleil, leur fuppofer une excentricité pro^
plus grande que celle qui lui étoit
diamétralement oppofée. Ce fut là une
forte raifon pour rejetter cette hypothèfe.
11 effaya de les faire tourner autour du
Soleil, 6c il vit auflitôt que cette diversité
confidérable de grandeur apparente
étoit un phénomène fimple 6c naturel. Il
femble qu’il n’y avoit plus qu’à conclure
que la Terre 6c toutes les Planètes tournent
autour du Soleil : mais toujours fage 6c prudent, C o p e r n i c ne voulut
point tirer cette conféquence fans avoir
fait encore une tentative : ce fut de mettre
le Soleil en mouvement autour de
la Terre , entraînant en quelque forte
les autres Planètes qui circulent autour
de lui, 6c d’examiner les apparences de
leurs mouvemens dans cette hypothèfe.
Or tout fut alors dans la confufion. Il
fit tourner la Terre autour du Soleil, 6c
tout rentra dans l’ordre 6c la fymmétrie
la plus parfaite. Il jugea avec raifon qu’il
avoit trouvé la clef du fyftême du Monde,
en fuppofant le Soleil immobile, & en
faifant tourner autour de lui Mercure,
Vénus , la Terre, Mars, Jupiter 6c Saturne.
D’abord il expliqua aifément les phénomènes
qui concernent la Terre. Par la
rotation de ce globe fur fon axe , il
rendit raifon des jours 6c des nuits ; 6c
par fon tranfport fur l’écliptique d’un tropique
à l’autre, il trouva celle de leur
retour périodique. C ’étoit une conféquence
néceffaire que l’axe de la Terre
parût répondre conftamment aux mêmes
points du Ciel dans le cours d’un petit
nombre de révolutions, 6c que ces points
paruffent immobiles. Il crut encore avoir
découvert la caufe de la progreffion apparente
des étoiles. Hypparque , Aftro-
nome Grec , avoit obfervé que la première
étoile de la corne du Bélier avoit
un mouvement rétrograde , ou ce qui
revient au même, que les points d’in-
terfe&ion de l’équateur & de l’écliptique
rétrogradent chaque année d’orient.en
occident d’environ cinquante fécondés*
C ’eft ce qu’on appelle la précejjion dçs
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Equinoxes. De là les Aftronomes avoient
conclu que les étoiles changent réellement
de place. La chofe parut extraordinaire
à C o p e r n i c . Il conjectura que
cela pouvoit provenir de ce que l’axe de
la Terre ne conferve pas à la rigueur fon
parallelifme, & n’eftpas toujours dirigé
à la même étoile, quoiqu’il foit dans le
même lieu.
De la Terre notre Philofophe paffa
aux Planètes. Ces Aftres font en proie
à des mouvemens irréguliers qu’il falloit
expliquer dans fon fyflême. Ils ont
tantôt un mouvement lent , tantôt un
mouvement rapide, 6c dans de certains
temps ce mouvement paroît rétrograde.
C opernic jugea que ces irrégularités
n’étoient qu’apparentes , 6c que cette
apparence étoit caufée par le rapport
de leurs mouvemens avec celui de la
Terre. Lorfque le globe fe meut plus vîte
qu’eux dans la même direction , ils paroiffent
rétrogrades. On les juge directs,
quand la Terre a le même mouvement
dans une direction oppofée. Enfin, lorfque
la Planète fe meut aufli vîte que la
tTerre, elle eft à nos yeux ftationnaire.
Ce n’étoit point affez. On ne fatisfaifoit
pas encore ainfi à toutes les irrégularités
du mouvement des Planètes. Ptolemée en
avoit déjà expliqué une partie, en fuppofant
qu’elles fe meuvent dans un excentrique
, c’eft-à-dire , que le Soleil n’occupe
pas le centre de leur orbite. Il ren-
doit par là raifon de leur proximité du
Soleil, & de leur éloignement fucceflîfs.
Les autres irrégularités confident dans
des changëmens des points de leur oppô-
' fition. L ’intervalle de ces points augmente 6c diminue alternativement. Ptolemée s’imagina
qu’il expliqueroit ces mouvemens,
en fuppofant que les Planètes étoient portées
R N i C. y
Mais notre Philofophe qui admettoit au
contraire l’immobilité de cet Aflre , crut
que ces imaginations de Ptolemée ne fuf-
fifoient pas par le défaut de fort hypothèfe.
fur de petits cercles , qu’il appella
épicycles , lefquels fe mouvoient autour
du Soleil. Comme cèt Aftronomecroyçit
que cet Aftre faifoit fa révolution autour
de la Terre, il s’en falloit bien que tout
cela s’ajuftâtdans toutes les circonftances.
11 voulut en faire ufage dans la
fienne, 6c il ne fut guères plus heureux.
Quoiqu’il fît tourner l’épicy cle fui vant une
certaine lo i, les embarras pour être plus
fimples,n’en exifterent pas moins. Il multiplia
les épicycles, 6c il ne fit que compliquer
la chofe, fans rien produire de
fatisfaifant. Le défaut venoit de la fup-
pofition que l’orbite des Planètes eft circulaire.
C ’étoit une erreur. Kepler le fit
bien voir en démontrant que ces Aftres
fe meuvent dans des ellipfes. *
Cependant C opernic réfolut de n’admettre
aucune hypothèfe, qu’il ne l’eût
vérifiée par fes propres obfervations. 11
difpofa donc un obfervatoire dans lequel
il traça une méridienne. I l le pourvut
d’inftrumens néceffaires à fes opérations,
dcilobferva le Soleil dans tous les degrés
de l’écliptique; fuivit le cours de la Lune 6c celui des Planètes , 6c détermina la
longitude d’un grand nombre d’étoiles.
I l continua ce travail pendant trente-fix
ans. Ce n’étoit pourtant pas le feul qui
l’occupât. En obforvant, il compofoit un
grand Traité d’Aftronomie, auquel fon
fyftême devoit fervir de bafe. Son intention
n’étoit pas de le rendre public :
il vouloit feulement fe fatisfaire, 6c con-
noître la valeur de ce fyftême. Mais
ayant communiqué fes idées à quelques
amis éclairés, le Cardinal Schömberg, à
qui ils en parlèrent, l’engagea à le mettre
eh état de voir le jour. Les principes
de cet Ouvrage devinrent même fi publics
par la curiofité des Savans , qui
fe lecommuniquoient les uns aux autres,
qu’il fut follicité de toutes parts à ne
pas différer plus long-temps de leur mettre
entre les mains ce tréfor de connoif-
fances aftronomiques.Un fameux Profef-
feur de Wittemberg , nommé Rhéticus ,
vint même lui offrir fes fecours pour accélérer
la publication de fon Livre. C ’eft à
£ Yoyez ci-après THiftoire de Kepler,»