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con, & à gauche celle de Sainte Geneviève
qu’elle rafoit, tandis qu’elle for-
moit à l’embouchure de ce golfe la petite
montagne de Montmartre.
Il eft donc confiant que la mer a couvert
tout le globe de la terre, 6c qu’elle
a formé toutes les montagnes dont il efl
hériffé. C’efl dans elle qu’a pris naiffance
tout ce qui refpire aujourd’hui fur ce
globe. Il n’y a aucun animal marchant,
rampant ou volant, dont la met ne renferme
des efpèces femblables ; 6c s’il s’en
trouve de différens fur la terre, c’eft que
ceux-ci ont éprouvé une métamorphofe
en paffant d’un élément dans un autre,
de l’eau dans l’air. Et voici comment ce
changement a pu fe faire.
Tout le monde fait qu’il y a dans la mer
des poiffons ailés 6c volans. Quelques-
uns de ces poiffons ayant été chaffés par
une tempête hors du rivage", tombèrent
dans des rofeaux 6c des herbages, d’où
il ne leur fut pas pofîible de retourner
à la mer. » Alors, dit l’Auteur de çe
» fyftême, leurs nageoires n’étant plus
» baignées des eaux de la mer, fe fençfi-
» rent 6c fe déjettèrent par la féchereffe»
»Tandis qu’ils trouvèrent dans les ro-
» féaux 6c les herbages, dans iefquels ils
» étoienttombés,quelques alimens pour
» fe foutenir, les tuyaux de leurs nar
» geoires féparés les uns des autres, fe
» prolongèrent & fe revêtirent de barbes ;
» ou, pour parler plus jufle, les membra-
» nesqui auparavant les avoit tenus collés
» les uns contre les autres, fe métamor-
» phosèrent. La barbe formée de ces pel-
»licules déjettées s’allongea elle-même;
» la peau de ces animaux fe revêtit infen-
» fiblement d’un duvet de la même cou-
» leur dont elle étoit peinte ce duvet
» grandit. Les petits ailerons qu’ils avoient
» fous le ventre, & qui, comme leurs na-
» geoires, leur avoient aidé à fe promer
» ner dans la mer, devinrent des pieds, &
» leur fervirent à marcher fur la terre. Il
» fefit encore d’autres petits changemens
» dans leur figure. Le bec & le cpu des
» uns s’allongèrent ; ceux des autres fe
» raccourcirent : il en fut de même du
>> refte du corps. Cependant la première
L E T .
» figure fubfifte dans le total, & fera tou-
» jours aifée à reconnoître.
A effct, le changement d’un poiffon
aile volant dans l’eau, quelquefois même
dans 1 air , en un oifeau volant toujours
dans 1 air, 6c confervant la figure, la couleur
6c 1 inclination du poiffon , eft une
chofe fort naturelle. Et quand même tout
cela n auroit pas eu heu, il fuffiroit que
la femence de ces poiffons euî-été dépofée
dans un marais,pour produire cette première
tranfmigration de ^’efpèce du féjour
de la mer en celui de lé terre. Que cent
millions ayentpéri pour n’avoir pas pu en
contrarier l’habitude, il fuffit que deux
ayent échappé à cette épreuve pour
avoir 'donné lieu à l’efpèce.
A l’égard des animaux rampant ou marchant
fur la terre, leur paffage du féjour
de l’eau à celui de l’air eft encore plus aifé
à concevoir. Il n’eft pas difficile de croire,
par exemple, mie des ferpens 6c des rep*
tiles puiffent également vivre dans l’un
& dans l’autre élément. L’expérience
nous autorife bien à cela.
Quant aux animaux à quatre pieds, on
n’en trouve pas feulement dans la mer
qui ont les mêmes -inclinations ; on a
encore cent exemples d’efpèces d’animaux
qui vivent également dans l’eau & dans
l’air, Les finges de mer ont la même
figure que les finges de terre. Le lion, le
cheval, le boeuf, le cochon, le loup > le
chameau , l’éléphant, le chat, le chien ,
la chèvre, le mouton , &c. ont tous de
même leurs femblables dans la mer. Dans
le fiècle précédent, on montroit à Co*>
penhague des ours marins qu’on avoit
envoyés au Roi de Dannemarck. En un
mot, en examinant la figure des poiffons
qui lont connus, on voit qu’ils ont à
peu près toute la forme des animaux
terreftres.
Il en eft de l’origine des hommes comme
de celle des animaux. Il y a en effet
des hommes marins qui peuvent bien
avoir produit les hommes terreftres, fi
l’on peut parler ainfi. La tranfmigration
n’a pas dû être même confidérable ; car
les hommes marins qu’on a découvert
jufqu’iei, reffemblent beaucoup aux hom<*
p P
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mes qui habitent la terre. Par exemple,
on a vu en 1671 au mois de Mai à la Martinique
, un homme marin, qui avoit la
tête de la groffeur & de la forme de celle
d’un homme ordinaire , avec des cheveux
unis, noirs mêlés de gris , qui lui pen-
doient fur les épaules. Sa barbe de fept à
huit pouces de long, étoit de la même
couleur que fes cheveux. Son eftomac
étoit couvert de poils. Son vifage étoit
large 6c plein, fon nez gros 6c camus,
fes yeux comme les nôtres, & fes oreilles
larges. Il avoit les bras 6c les mains femblables
aux nôtres. Son corps qui s’élevoit
au-deffus de l’eau jufqu’à la ceinture, étoit
délié comme celui d’un jeune homme de
quinze à feize ans, 6c fe terminoit en poiffon.
Il avoit la peau blanche, 6c la longueur
de tout le corps paroiffoit être de
cinq pieds. Le fait eft attefté par un procès
verbal dreffé par M. de la Paire, Capitaine
Commandant des quartiers du Diamant
à la Martinique, 6c reçu par M.
Je Beville y Notaire (a ) .
En 1682, on prit à Seftri dans l’Etat de
Gènes, un homme marin, qui étoitaufli
homme par le bas que par le haut. Du
refte il reffembloit à celui de la Martinique,
excepté qu’au lieu de cheveux 6c de
barbe, il avoit une efpèce de calote mouf-
feufe de la hauteur d’un pouce, 6c au
menton un peu de moufle fort courte.
Lorfqu’on le plaçoit fur une chaife , il s’y
tenoit affis pendant quelque temps ; ce qui
prouve que fon corps étoit flexible , &
qu’il avoit des jointures , au lieu que les
poiffons n’en ont point. Il vécut ainfi
quelques jours fans vouloir rien prendre
, pleurant & jettant des cris lamentables.
En 1720, fur le banc de Terre-Neuve,
on vit un homme marin qui avoit la peau
brune , fans écailles , la tête, l’eftomac,
Jes pieds 6ç. les mains femblables à toutes
les parties d’un homme. Il y avoit cette
feule différence que les doigts étoient
joints par une pellicule, telle qu’on en
voit aux pattes d*oie & aux canards.
Voilà les premiers hommes du monde.
En paffant de l’eau dans l’air, la machine
humaine s’eft perfe&ionnée : & nous
voyons encore aujourd’hui fur la terre
que l’efprit des hommes dépend prefque
des climats. On peut donc dire qu’ il y a
autant d’efpèces d’hommes qu’il y a d’efpèces
d’animaux. De même qu*on voit
plufieurs fortes de finges, de boeufs, de
chiens, &c. il y a plufieurs efpèces d’hommes.
Les hommes nés & nourris dans les
plaines, ou dans certains lieux aquatiques
, fouffrent 6c meurent bientôt, lorf-
qu’ils font obligés de refpirer l ’air des
montagnes ; 6c ceux qui font nés fur les
montagnes, fe fentent comme étouffés en
refpirant l’air grofîier des lieux bas 6c
marécageux. Ce font des hommes tout-à-
fait différens, par 6 rapport au phyfique 9 c fans doute par rapport au moral.
Un homme prefque animal a donc pu
devenir un homme d’efprit, en paffant par
degré d’un élément tel que l’eau, dans un
élément aufli fubtil que l’air. Ce paffage
paroît fans doute difficile ; mais il faut
croire que la nature a choifi les temps 6c
les lieux propres à la tranfmigration des
races marines à la refpiration de l’air.
C’eft vraifemblablement dans les pays
froids, ou. vers les pôles, que cette tranfmigration
a eu lieu. Voilà pourquoi une
multitude innombrable d’hommes, dont
les parties méridionales de l’Afie & de
l’Europe ont été inondées, font fortis de
ces contrées feptentrionales.
T elle eft donc l’origine de la terre, des
animaux 6c des hommes. Tout ce qui a
mouvement 6c v ie , eft forti du fein des
eaux. Mais comment la mer a-t-elle pu
produire des êtres animés ? C ’eft que l’ef-
pace compris depuis les aftres les plus
élevés jufqu’à la terre, eft rempli de
femences de tout ce qui peut avoir vie.
Ces femences font fi déliées, même pour
les animaux dont l ’accroiffement eft le
plus grand, 6c qui parvient à la grandeur
( < 0 L e p o r t r a i t d e c e t h o m m e m a r i a e f t g r a v e ' d a n s l e Rtcmil da Mtmiiru & Cirt/crcmes, p a r M . Deniiÿ
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