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F £ R M A T.
M Onfieur de Fontenelle a remarqué
qu’un Poème agréable , qu’un
beau Difcours d’Eloquence font des nouveautés
plus propres à faire du bruit que
les découvertes les plus étonnantes en
Mathématiques. Tout ce qui flatte l’imagination
affeCte plus que ce qui plaît à la
t aifon, parce qu’on aime mieux l’amufe-
ment que i’inftruCtion. Aufli ceux qui ont
cultivé les Sciences exaCtes, qui ont découvert
des vérités utiles, pour la conduite
de la v ie , & pour procurer une félicité
folide ôc permanente , font moins
connus que les perfonnes qui ont écrit fur
des fujets pathétiques, gais où frivoles.
iTel eft l’efprit de la multitude. Il faut
chanter où crier, fi vous voulez être écou*
té. Le raifonnement feul elt trop tranquille
, & les hommes en général, tout
fpirituels qu’ils font, fe mènent par les
yeux 8c par les oreilles.
On ne doit donc point s’étonner fi le
Philofophe qui va nous occuper, n’a pas
eu une réputation proportionnée à fon
génie & aux grandes découvertes qu’il a
faites dans les Mathématiques. Les Hifto-
îiens ne fe font point intéreifés à fa gloire,
parce qu’il leur en auroit trop coûté de
connoître fon mérite. Kepler même, qui
a découvert les loix du mouvement des
corps céleftes, auroit peut-être été ignoré,
s’il n’eût point dit que la Terre a une ame,
que tous les corps céleftes font animés,
ôc que le Monde eft un grand animal. Ce
qu’il y a de certain, c’eft que ceux qui
ont écrit fur ce fameux Aftronome, ne fe
font attachés qu’à cette opinion ridicule.
Bayle ne parle que de cela. Chauffepié en«
tre bien dans quelques détails de fa vie ;
mais ni Bayle ni Chauffepié ne font mention
de la découverte des deux loix aftro-
nomiques , auxquelles Kepler doit toute
fa célébrité.
F e r m â t a été plus fage que Kepler. I l
n’a point donné dans des-écarts, & on l’a
oublié. Trop avare de fon temps, Ôc trop
sûr de le bien employer, il s’eft borné à
perfectionner la Géométrie ôc l’Algèbre,
ôc ç’a été avec un tel fuccès, qu’il a jette
les fondemens d’une nouvelle Géométrie
avec laquelle on a réfolu depuis les plus
grandes difficultés.
Cette fageffe a cependant nui à fa réputation.
On a laifte ce Savant dans fon ca-,
binet, fans tenir compte de la manière
dont il vivoit. Ses travaux compofent
prefque fon hiftoire. Et à l’ égard de fes
moeurs, on ne les trouve point dans fes
ouvrages ; mais il eft aifé de deviner
quelle pouvoit être la vie privée d’un
homme abforbé dans l’étude la plus abstraite
, ôc qui n’a laifte échapper un feul
moment fans bien mériter des humains
par des productions aufli utiles que pénibles
»
Il naquit en 15*5)0. On ne fait ni le
mois ni le jour. On ignore aufli ôc fa famille,
ôc comment il fut élevé. Tout ce
qu’on nous a appris,c’eft qu’il fît de bonnes
études, qu’il favoit parfaitement le Grec ,
qu’il cultivoit toutes les Sciences , &
qu’ayant été reçu Confeiller au Parlement
de Touloufe , il s’acquit la réputation
d’un Juge aufli intègre qu’éclairé. Il eft
furprenant qu’avec tant de connoiflances y
ôc un devoir f i important à remplir , il ait
fait de fi grands progrès dans les Mathématiques.
Mais tel eft le caractère des génies
créateurs : ils faififlent le principe de
toutes les connoiffances, ôc voient d’un
coup d’oeil quel eft leur objet, leur état
aCtuel, & ce qui manque à leur perfection.
C ’eft cette facilité de bien concevoir
les chofes, & d’en produire de nouvelles,
qui rendit F e r m â t Fhonnei r de fon fiè-
cle , ôc le reftaurateur de la Géométrie.
? Journal des Sa-vans, année 1 6 % 5 , mois de Janvier. Lettres de Defcartes, Scs Lettres & fes Ouvrages»