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vembre 164^9 de Julien Lemery, Protef-
tant, & Procureur au Parlement de Normandie.
Il fit fes études dans le lieu d e .
fa naiffance, & lorfqu’il fut en âge de
choifir un état, il demanda à fon père
de lui faire apprendre la Pharmacie ,
pour laquelle il croyoit avoir du goût.
M. Lemery le plaça chez un Apothicaire
de fes parens, & c’eft là que notre Ecolier
apprit les élémens de la Chymie,
mais il n’y apprit que les élémens.
Ces premières connoiffances enflammèrent
le défir qu’il avoit de favoir la
Chymie. Il jugea bien qu’il n’y de voit
pas attendre de grands fecours dans une
Ville de Province. Il demanda à fon père
la permiflion de venir dans la Capitale;
& comme il avoit entendu parler avan-
tageufement de Glacer, Démonftrateur
de Chymie au Jardin du Roi, il fe mit
en penfion chez lui en arrivant à Paris,
pour être plus à portée de profiter de
fes lumières & de fes connoiffances. C ’é-
toit en 1666.
Glacer lui fit un accueil affez gracieux;
mais il étoit peu fociable , & ne fe li-
vroit pas aifément. Ce caraQère ne plut
point à notre Philofophe, qui étoit franc
& ouvert à tout le monde. Il croyoit que
fon Maître devoit l’être de même avec
lui, & cette retenue ou ce recueillement
le dégoûtèrent de fa fociété & de fes
leçons. Il le quitta au bout de deux mois,
& réfolut d’aller s’infiruire chez tous les
habiles Chymiftes qu’il pouvoit y avoir
en France.
Il alla d’abord à Montpellier. Il y trouva
un Apothicaire aufli obligeant qu’éclairé
, nommé Verchant , qui fe prêta
de bonne grâce à lui procurer toutes les
facilités qu’il pourroit défirer pour apprendre
la Chymie. Il le reçut chez lui
en qualité de penfionnaire , & lui laiffa
la liberté de fe fervir de fes fourneaux
& de fes inftrumens. Ce fut une grande
faveur pour Lemery. Il fit fur le champ
ufage des uns & des autres , & fes progrès
furent fi rapides, que M. Verchant
crut pouvoir fe repofer fur lui pour
donner des leçons de Chymie à fes
Ecoliers. Il falloit répondre à cette çon-j
fiance honorable. Notre jeune Philofophe,
qui en fentoit le prix, redoubla
d’ardeur & d’application, & s’inftruifit
lui-même en inftruifant les autres.
Son intelligence , fon adreffe & fou
a&ivité lui firent une réputation à Montpellier.
Tous les habiles gens & tous les
curieux de cette Ville voulurent le voir
& l’entendre. On le fêtoit de toutes parts.
Mais quelque attrayantes que fuffent ces
careffes , elles ne l’attachèrent point. II
défiroit étendre les connoiffances qu’il
devoit à M. Verchant, & celles qu’il avoit
acquifes lui-même. Audi après trois ans
de féjour à Montpellier, il prit congé de
fon Maître, le remercia, l’affura de fa
gratitude, & en fortit pour aller chercher
ailleurs d’autres inftru&ions.
Il voyagea encore pendant trois ans *
pour voir tous les habiles gens de France
mais ce voyage lui valut peu de chofe.
On ne cultivoit point alors la Chymie
dans ce Royaume ; & fi cette fcience
étoit négligée dans la Capitale , que de-
voit-on attendre des Provinces } C’eft:
une réflexion que fit L e m e r y ,& qui
le détermina à retourner à Paris.
Il apprit à fon arrivée que l’Apothi-
caire du Grand Prince de Condé, non>
mé Martin, avoit un beau laboratoire.
Il fe lia. bientôt avec lu i, & fit dans ce
laboratoire un cours de Chymie avec
tant de fuccès, que le Prince qui aimoft
les fciences , & qui favorifoit tous ceux
qui les cultivoient, en fut informé. Il
voulut le voir travailler. Il le faifoit fou-
vent venir à Chantilli, 011 fe rendoient
aufli tous les beaux Efprits & les Sa-
vans de la Capitale. Notre Philofophe
foutint dans ces affemblées la bonne opinion
qu’on avoit de lui : & perfuadé qu’il
étoit en état de voler de fes propres
aîles, il établit un laboratoire de Chymie
dans la rue Galande, & y ouvrit
un cours public de cette fcience.
M. de Fomenelle dit que ce laboratoire
étoit moins une chambre qu’une
cave , un antre magique éclairé par la
feule lueur des fourneaux. Cela formoit
un fpe&acle philofophique que tout Paris
voulut voir, La réputation de notre Phi-
L E M
lofophe y attira ce qu’il y avoit de plus
diftingué en fcience , les Rohault, les
Regis, les Tournefort, Ô£c. Les Agréables
& les Dames même voulurent entendre
fes leçons; de forte qu’on voyoit dans ce
laboratoire les hommes les plus refpe&a-
bles confondus & mêlés avec les perfon-
nes les plus frivoles, toutes animées du
défir de s’inftruire.
Lemery prenoit des penfionnaires.
Tant qu’il en put loger , il les reçut ; mais
lorfque fa maifon fut remplie, ceux qui
ne purent point coucher chez lu i, demandèrent
d’y être reçus à demi - penfion
, &c occupèrent prefque toutes les
chambres garnies du quartier.
Ce n’étoit pourtant pas là le plus grand
revenu que lui procuroient fes cours de
Chymie. Les drogues qu’il compofoit
dans fon laboratoire, & fes préparations,
avoient un débit prodigieux ; & on af-
fure que la vente du lèl magiftère de
bifmuth fuflifoit pour l’entretien de fa
maifon. Il eft vrai qu’il poffédoit feul le
fecret de ce magiftère, 6c que fon ufage
le rendoit fort précieux au beau fexe.
En effet c’eft une chaux du bifmuth (a)
qui entre dans la'compofition du blanc
dont les Dames fe fervent, & qu’elles
préfèrent aux autres fards, à caufe de
îon éclat & d’une petite teinte d’incarnat
prefque infenfible, qui le rend affez analogue
à la peau la plus blanche & la
plus belle.
C ’étoit un véritable tréfor pour les
femmes &c pour notre Philofophe ; poulies
femmes, parce qu’il les embelliffoit ;
pour L e m e r y , parce qu’il fe vendoit
bien. On couroit pourtant rifque de fe
gâter & de fe dégrader la peau en en
faifant un long ufage ; mais cet inconvénient
ne balançoit point l’avantage que
les Dames trouvoient à paroître belles
a&uellement ; fentiment pour elles fi délicieux,
qu’elles y facrifient leur fanté
même.
Cependant le Public , dont il fixoiî
C<t ) Le bifmuth eft un demi-métal qui' eft blatiç
à l ’ ait.- O n l'a p p e lle a n $ tim
E R F . 4*
l’attention \ exïgeoit de lui un autre fer-
vice. Il voulut s’affurer du fruit de fes
travaux, & ne ceffoit de le folliciter,
faire imprimer & fes leçons de Chymie à
& fa méthode pour apprendre cette
fcience. Prefque tous les Traités qu’on
en a v o it, étoient écrits avec tant d’obf-
curité, qu’on ne pouvoit les comprendre
, même en les étudiant. Un Livre
clair & méthodique fur la Chymie, étoit
abfolument néceffaire pour en accélérer
les progrès. Car fi on doit l’étudier dans
les laboratoires en voyant opérer les
Chymiftes, ou ce qui eft encore mieux ,
en opérant foi-même ; il faut convenir
aufli qu’il eft îndifpenfable d’avoir un
guide dans fon travail ; une lumière qui
éclaire dans les opérations, & qui les
dirige ; une defeription de tous les infr
trumens dont on a befoin; enfin un fyG
terne des procédés chymiques, & un recueil
des découvertes qui ont été faites
dans la Chymie. Tel fut aufli l’Ouvrage
que Lemery compofa.
Il commença par établir qu’il exiftoit
un efprit univerfel, lequel étant répandu
dans l’Univers, produit les diverfes cho-
fes félon les différentes matrices dans lef»
quelles il fe trouve embarraflé. Il admit
enfuite, comme Lefevre, cinq fortes de
fubftances qui compofent les mixtes, &C
auxquelles il donna le nom de principes ^
mais il les diftingua en actives & pafîives ,
parce que trois de ces fubftances, favoir
l’efprit, l’huile & le fe l, font dans un
grand mouvement, & que l’eau & la
terre’, qui font les deux principes paflîfs ,
ne fervent qu?à arrêter la vivacité des
autres par leur repos ou leur inertie.
En décompofant les mixtes, il reconnut
qu’on ne trouve ces principes que
dans les animaux & les végétaux, & qu’ils
font rarement réunis dans les minéraux.
On n’en peut tirer que deux de For & de
l’iargent.
Notre Philofophe fuivit le commencement
de cette théorie ; examina, chaque
aiTea brillant * mais il rougit un peu 16tfqu’ït s. été