y o F E R
de la Chambre dans une lettre qu’il lui
écrivit. Il foutenoit dans cette lettre fon
fentiment, oppofé (comme on a vu) à celui
de Defcartes. Il firiifibit par inviter
quelqu’un des amis de l’iiluftre défunt,
ou de le juftifier, ou de convenir qu’il
s’étoit trompé , & citoit M. CUrcelier,
comme le Difciple de Defcartes le plus
capable de foutenir fes intérêts.
M. CUrcelier provoqué par cette efpèce
de cartel ou de défi, héfita long - temps
s’il devoit renouveller l’ancienne querelle.
Comme il croyoit que Defcartes avoit rai-
fon, & qu’il fe méfioit de fes forces, il
craignoit de mal défendre la caufe de fon
Maître. Il fe détermina pourtant à la fin à
prendre ce parti , 8c écrivit en confé-
quence une longue lettre à F ermât , dans
laquelle il mit dans un nouveau jour l’explication
de Defcartes fur la réfraétion.
L ’expérience vint appuyer les raifons
de M. CUrcelier. Celle que fit fur la réfraction
un homme de mérite, nommé M.
Petit, confirma l’explication cartéfienne.
Notre Philofophe apprit ce fuccès, qui
ne lui fit point changer de fentiment : il
réfolut feulement dé prendre la chofe
plus en grand, 8c donner une nouvelle
explication de la réfraélion de la lumière.
Pour démontrer l’égalité des angles de
refleétion 8c d'incidence dans le choc de
la lumière, les anciens avoient fuppofé
que la lumière prend le chemin le plus
court. Cela eft vrai îorfqu’elle fe meut
dans un même milieu. F ermât crut que
ce principe pouvoit fervirà expliquer la
caufe delà réfra&ion. Il le changea cependant,
en difant que la lumière va toujours
d’un point à un autre dans le moindre
temps, ce qui donne le chemin le plus
court, quand elle fe meut dans le même
milieu. Dans deux milieux de différente
denfité la lumière devoit fuivre une autre
loi, & pour découvrir cette loi, il fit ce
raifonnement : La lumière doit aller d’un
point à un autre, ou par le chemin direét,
ou par le chemin le plus court, ou par le
chemin de la plus courte durée : mais la
route que fuit la lumière en pafiant d’un
milieu rare dans un milieu denfe, comme
de l’air dans l ’eau, n’eft ni la route dire&e2
MA T.
ni la plus courte : elle eft donc celle de la
moindre durée.
Cela pofé, il eft certain qu’afin que la
lumière qui fe meut obliquement, aille
en moins de temps qu’il eft poflîble, d’un
point donné dans un milieu quelconque,
à un autre point donné dans un autre mi-,
lieu, elle doit être rompue de telle forte,
que les finus de l’angle d’incidence, 8c celui
de l’angle de rupture ou de réfraétion,
foient comme les différentes facilites .de ces
milieux à fe laiffer pénétrer par la lumière.
Et puifque la lumière s’approche de la
perpendiculaire en pafiant de l’air dans
l ’eau, & que le finus de l’angle de réfraction
eft: plus petit que le finus de l’angle
d’incidence*, il faut conclure que la lumière
pénètre l’eau plus difficilement que
l’air, 8c en général que les réfiftances
qu’oppofent différens milieux au mouvement
de la lumière, font proportionnelles
aux denfités de ces milieux.
Cette conféquence 8c le calcul auquel
elle donna lieu , le ramenoient un peu au
fentiment de Defcartes , qui , quoiqu’il
admît que la lumière pafte plus facilement
dans un milieu denfe , que dans un
milieu rare, avoit trouvé que le finus de
l’angle d’incidence & celui de réfraction
étoient dans un rapport confiant ; vérité
que F E R M A T déduifoit auffi de fon
principe.
Il femble qu’il auroit dû reétifier après
cela fon jugement fur l’explication cartéfienne
; mais il ne fe convertit point. Seulement
il fit part à M. de la Chambre de
cette conformité de conféquence, & celui-
ci la communiqua à M. Clercelier. Ce D if-
cïple de Defcartes faifit cette occafion pour
efiayer encore une fois d’engager notréPhi-
lofophe à adopter la doCtrine de Defcartes
fur la réfraCtion. Il lui écrivit a cet effet une
lettre extrêmement polie, dans laquelle il
attaqua fon principe ; favoir, que la nature
agit toujours par les voies les plus courtes
& les plus fimples. Ce n’eft, lui marqua-
t i l , qu’un principe moral qui ne peut être
la caufe d’aucun effet de la Nature. Il ne
l’eft point, car ce n’eft pas ce principe qui
la fait agir : c’eftlaforce fecrette& la vertu
qui eft dans chaque chofe, laquelle n’eft
F ERMA T . fr
jamais déterminée à un tel ou tel effet: par
ce principe, mais par la force qui eft dans
toutes lescaufes, lefquelles concourent
enfemble à une même aCbion, 8c par la
difpofition qui fe trouve actuellement dans
tous les corps fur lefquels cette force
i l l H 1 F ermât ne crut pas que cette objection
à fon principe méritât d’être relevée.
Il lui fuffit d’avoir trouvé la route
d’un mobile qui pafte par deux milieux
différens, 8c qui cherche à achever fon mouvement
le plutôt qu'il pourra. Content de
cette découverte, il répondit à M. Clercelier
: Il me femble que fa i dit fouvent à
Monfieur de la Chambre & à vous, que je
ne prétends, ni n'ai jamais prétendu être de
la confidence fecrette de la Nature. Elle a des
voies obfcures & cachées que je n ai jamais
entrepris de pénétrer. Je lui avois feulement
offert un petit fecours de Géométrie au fujet
de la réfraftion ; maispufque vous m'ajfure
Monfieur, quelle peut faire fes affaires fans
cela, & quelle fe contente de la marche que
Monfieur Defcartes lui a prefcrite, je vous
abandonne de bon coeur ma prétendue conquête
de Phyfique, il me fuffit que vous me laif-
fieï en P°JJeJfion Ü mon problème de Géométrie
tout pur.
Cette lettre eft datée du mois de Mai
1 662. Notre Philofophe abandonna alors
l’étude de la Phyfique pour reprendre celle
de la Géométrie ôc de l’Algèbre, qu’il
affeClionnoitfingulièrement. i l s’en occupa
julqu’à la fin de fa v ie , laquelle arriva
à la fin de l’année 166 4 , âgé de 74 ans.
On ne nous a point inftruit ni de la
manière dont il mourut, ni de fes obsèques.
Quoiqu’il eût un fils qui fe chargea
de mettre au jour les écrits qu’on trouva
après fa mort, ce fils négligea de donner
au Public la vie d’un homme fi eftimé, 8c que tous les Savans défiroient de con-
noître. On apprit feulement dans le monde
fa mort par le Journal des Savans du moisde
Janvier i 66y ; mais on n’apprit que cela.
Les Auteurs du Journal s’excufent de n’en
pas dire davantage. Ils font mention de
quelques-uns de fes écrits, & jettent quelques
fleurs fur fa tombe, qui méritent
d’être recueillies. C’eft par cet hommage
qu’ils ont rendu à fa mémoire, que je
terminerai l’hiftoire de ce grand homme.
30 On a appris ici avec beaucoup de
» douleur la mort de M. F e r m â t ,
30 Confeiller au Parlement de Touloufe.
30 C ’étoit un des plus beaux génies de ce
30 fiècle, 8c un génie fi univerfel & d’une
» étendue fi vafte, que fi tous les Savans
y> n’avoient rendu témoignage de fon
30 mérite extraordinaire, on auroit de la
30 peine à croire toutes les chofes qu’on
3o en doit dire, pour ne rien retrancher
a de fes louanges.
x II avoit toujours entretenu une cor-
os refpondance très - particulière avec
3» Meilleurs Defcartes, Toricelli, Pafcal,
30 Frenicle, Roberval, Huyghens, 8c avec
» la plupart des grands Géomètres
» d’Angleterre & d’Italie. Mais il avoit
30 lié une amitié fi étroite avec M .'de
» Carcavi, pendant quils étoient con-
» frères au Parlement de Touloufe, que
x comme il a été le confident de fes étu-
» des, il eft encore aujourd’hui le dé-
x pofitaire de tous fes beaux Ecrits, oe
Ces Ecrits parurent à Touloufe en
16 7 9 , en deux volumes in-folio, fous le
titre d'Opéra Mathematica. Le premier
volume contient le traité d’Algèbre de
Diophante, avec un Commentaire &plu-
fieurs inventions analytiques ; 8c on a
dans le fécond fes découvertes mathématiques
, 8c fon commerce épiftolaire avec
les plus célèbres Géomètres de fon
temps. C ’eft dans ce fécond volume qu’on
trouve les germes de toutes les méthodes
de la Géométrie des infinis, qu’on doit à
Leibnit^ 8c \Newton.Le Leéteur en jugera,
s’il compare avec foin l’expofition que
j’ai faite des méthodes de F ermât avec
celles des deux grands génies que je viens
de nommer, qui font analyfées dans le
quatrième volume de cet Ouvrage ; 8c il
conviendra que ce Géomètre n’eft pas
feulement le reftaurateur de la Géométrie
ancienne, mais encore le précurfeur de la
moderne.
G H