me les partions, & Tans lefquelles le plus
bel Art n’affe&e que foiblement. Ilfen-
toit malgré lui que les fciences lui conve-
noient mieux. Il crut d’abord qu’il ne rif-
quoit rien d’ y donner une application médiocre
;mais il préfumoit trop de fes forces.
Il commença par la Géométrie; &
parmi les Livres qu’il lut fur cette fcience,
il s’attacha au Traité des Seétions coniques
d’Appollonius. C ’efi un Livre très-
abftrait, & qu’on ne doit point lire pour fe
délaffer. Auflî occupa-t-il bientôt toutes
les forces de fonefprit. Il laiflà ainfi, fans
s’en appercevoir, & le Dellîn 8c la Peinture*;
& il les eût peut-être abandonnés
tout-à-fait , s’il ne s’étoit rappellé que
Venife ne devoit pas borner le cours de
fon voyage. 11 parcourut‘ donc les plus
belles Villes de l’Italie : 8c fa fanté fe rétablit
au milieu de fes courfes. Il y avoit déjà
quatre ans qu’il y étoit. Quoique jeune,
-fans parens, fans amis, ifolé dans un Pays
étranger, il s’y plaifoit lî fort, que fi fa
mère qui l’aimoit beaucoup, 8c qui le de-
mandoit fans cefie, rv’eût redoublé fes instances
, il y auroit fait un plus long féjour.
Mais il fe fentit attendri par les follicita-
tions de cette tendre mère , 8c le rendit à
fes défirs.
Il oublia entièrement la Peinture à Paris.
Il avoit fait trop de progrès dans la
Géométrie, pour qu’il pût abandonner
cette fcience. Maître abfolu de fes volontés
, il nTiéfita plus de s’y livrer fans réfer-
ve. Il fit connoiflance avec M. Defargues,
habile Mathématicien , lequel travail loit
dans ce temps-là à un Traité de la coupe
des pierres avec un fameux Graveur nommé
B«jfe> En le liant ainfi avec un Mathématicien,
la H ire cherchoit à acquérir
de nouvelles connoiffances en Mathématiques
: mais il arriva que Defargues, au
lieu d’ être utile à notre Philofophe , fut
obligé de recourir aux fiennes. Ce Mathématicien
8c fon Adjoint M. BoJJ'e , ré-
lolurentaflez bien les problèmes qui formoient
la première partie de fon Traité
de la coupe des pierres ; mais quand ils
voulurent travailler à la fécondé partie
qui devoit être plus élevée, leur Géométrie
fe trouva en défaut. Defargues fit part
de fon embarras à l a H ir e : il s’a-
giffoit de Seétions coniques. Cette matière,
quoique très-abftraite , lui étoit familière.
Aufii vint-il aifément à bout de vaincre
les difficultés qui arrêtoient fon Ami. 11 lui communiqua fept Propofitions tirées
de ces Seétions, qui firent des merveilles.
Pénétré de reconnoiffance, Defargues fe
fit un devoir de rendre public ce préfent.
Il le fit imprimer en 1672 , 8c annonça
par là aux plus grands Mathématiciens de
l’Europe un Collègue digne d’eux.
Notre Philofophe foutint dignement
cette annonce par quelques ouvrages fur
la Géométrie. Il In fit imprimer fucceffi-
vement trois qui furent accueillis. Ils
avoient pour objet les Sections coniques 8c lacycloïde, courbe fingulière par fes
propriétés, dont j’ai parlé dans l’hiftoire
d'Hughens. Us parurent depuis l’année
1673 jufqu’en 1676. Il prit enfuite la
matière plus en grand, & publia prefque
en même tempsdes Nouveaux élémens des:
Serions coniques, un T rai té des lieux géométriques,
8c un troifième Ouvrage fur la
conftruclion ou ejfeclion des équations. (<z) 11 étoit alors de l’Académie des Sciences
; & dans le dertein où cette Compagnie
étoit de faire fous les aufpiees de M. Colbert
une nouvelle Carte de la France , il
fut choifi avec M. Picard pour ce travail.
H alla en Bretagne en 1 6 7 9 , 8c en
Guyenne l’année fuivante. Il redrefîa en
chemin la côte de Gafcogne, qui étoit
courbe, & en afTura ainfi la navigation. I l
fe rendit enfuite par ordre du Roi à Calais
& à Dunkerque, & y fit piufieurs opérations
géométriques qui ne demandoient
que du. foin êc de l’exa&itude. Enfin il
alla fur !a côte de Provence pour finir la
Carte générale de la France.
(a) t e t e n e u r fait qtr*on donne fe nom de S e r io n s
coniques à des courbes formées p arla Seftion d’un
cône. Elles font connues fous le nom de Parabole r
i ’Ellipfe fie d’Hypcsbole. O » entend par lieux gçemtriques
r des lignes droites par lefquelles ou réfoud an
problème indéterminé. Enfin la conftruûion des.
équations eft l’invention d’une ligne qui exprime la
quantité inconnue d’ une équation algébrique.
Ses courfes furent terminées en 1682.
Rendu chez lui, il reprit fes études du cabinet.
Le Public profita bientôt de ce
recueillement. I l mit au jour dans la même
année un Traité de Gnomonique, dont
la première édition fut fi promptement
enlevée, qu’il en donna en 1 ^ 8 une fécondé
édition bien fupérieure à la première.
Le Leéteur fait que la Gnomonique
eft la fcience des Cadrans folaires,
c'eft-à-dire l’art de tracer fur un plan la
projeélion des cercles de la Sphère, ôc d’y
placer un ftyle de telle façon que fon ombre
indique l’heure fur ces lignes. Cet Art
n’étoit alors qu’une efpèce de routine que
fui voient les Ouvriers dans les Cadrans
qu’ils traçoient. L a Hire en établit les
règles fur des principes, 8c preferivit des
opérations plus fûres & plus aifées, Pour
dirtinguer ces opérations des démonftra-
tions, il les fit imprimer avec un cara&ère
différent, & fatisfit ainfi également &fans
embarras les Mathématiciens 8c les Ouvriers.
En compofant ce Livre fur la Gnomo-
dique, il avoit été obligé d’étudier l’A fti o-
nomie : or cette étude lui fit délirer de
continuer la fameufe Méridienne commencée
par M. Picard en 166p. De concert
avec CaJJini, ils réfolurent de l’achever.
A cette fin notre Philofophe alla
en 1683 vers le Nord, pour la continuer
de ce côté-là, tandis que CaJJini la
pouffoit du côté du Sud : mais M. Colbert,
qyi dirigeoit en quelque forte cette opé-
r4tion par fes bienfaits, étant mort dans
ce temps-là, cette entreprife fut interrompue;
& des travaux plus prochains
rappellèrent LA H ire dans la Capitale.
M. de Louvois, fucceffeur de M. Colbert,
le chargea de faire des nivellemens pour
la conduite des eaux à Vérfailles. Il fit le
nivellement de la rivière d’Eure, qui parte
par Chartres , 8c la trouva, plus élevée de
quatre-vingt-un pieds de la grotte de Ver-
failles. Le Roi apprit avec joie cette nouvelle
, 8c ordonna fur le champ qu’on
cpnftruisît les aqueducs nécertaires pour
porter l’eau de cette rivière à Verfâilles.
.Sa Majerté croyoit que les opérations de
l a H ire étoient de la plus grande juftefle,
tant Elle avoit confiance en fes lumières
& en fes travaux ; mais il n’en préfumoit
pas lui-même fi avantageufement. Il
craignoit que fon attention ne l’eût pas
tpujours également fervi, & il vouloit
s’aflurer de fon nivellement, en le faifant
de nouveau » avant qu’on fît la moindre
dépenfe. Le Minillre eut de la peine à fe
rendre à fes raifons. I l lui foutint pendant
long-temps qu’il ne s’étoit pas trompé.
C ’étoitun témoignage d’eftime très-flatteur.
Notre Philofophe y fut fenfible, 8ç
redoubla lès inflances pour n’être pas cru
infaillible. Il recommença fon nivellement,
qui ne différa du premier que d’un
pied. Ainfi la H ire fut convaincu de fon
tort vis-à-vis M. de Louvois. Il en eut
bien davantage, lorlqu’il lui préfenta les,
mémoires de fa dépenfe. Exad jufqu’au
fcrupule, il avoit fait un journal où les
fractions n’étoient point négligées. Le Mir
niftre trouva cela fort mauvais; &, comme
le dit M. de Fonienelle, avec un mépris
obligeant, il déchira, ces fractions, 8c fit
expédier des fommes rondes, où il n’y.
avoit rien à perdre. Il fut chargé d’autres,
nivellemens, dont il ne put pas fedifpen—
fer. Il devoit cette condefcendance à M.
de Louvois, qui avoit pour lui autant d’amitié
que d’eflime. Mais enfin -, rendu à
fon cabinet, il reprit avec joie fes études,
fur la Géométrie.
Il avoit à coeur depuis long-temps de
faire un Traité complet des Seâions coniques.
Il falloit être un Géomètre du premier
ordre pour entendre la théorie de ces
courbes : c’étoit la Géométrie tranfeen-
dante du temps. On devoit donc attendre
le plus grand fuccès-d’un travail de la
Hire , puifqu’il s’étoit acquis la réputation
du plus grand Géomètre de fon liè-
cle. Auffi juftifia-t-il cette haute opinion
qu’on avoit de lui.En i68 y il publia toute
la théorie desSe&ions coniques,fondée fur
des principes très-fimples & nouveaux,
fous le titre de SeEliones conicte in novem li-
bros dijlributæ, en un volume in-folio. Op
accueillit cet Ouvrage dans toute l’Europe
favante, comme il méritoit de l’être ;
8c les Géomètres n’héfitèrent point de
mettre à leur tête un homme qui manioit