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dre l'or > à moins que l’acide vitriolique
ne foit impur 8c fulfureux (g ).
Notre Philofophe ne s’en tint pas là.
Toujours plus curieux de connoître la
nature de l’or , il en laiffa pendant plus
d’un mois dans un feu de verrerie, 8c il
trouva qu’il n’avoit point été altéré , 8c
qu’il n’avoit perdu que quelques grains de
fon poids. La même expérience ayant été
faite fur l’argent, donna le même réfultat.
Il trouva ce déchet fi peu confidérable,
qu’il jugea qu’il ne pouvoit venir que
d’une petite quantité de matière étrang
ère, dont vraifemblablement l’or 8c
l ’argent étoient alliés.
Cependant comme il faifoit une grande
différence entre la nature de l’or 8c celle
de l’argent, il tenta fur ce métal une autre
expérience. Il diflipa d’abord par l’a&ion
du feu le foufre de l’argent, Sc il verfa de
l ’efprit alkali volatil d’urine fur cet argent
ainfi épuré. Cela produifit une belle couleur
bleue, 8c rien de plus.
Il y avoit lieu de préfumer qu’un autre
efprit ou un autre diffolvant pourroit pro-;'
duire de plus grands effets. Il chercha ce
diffolvant dans l’acide nitreux j 8c fes
recherches lui apprirent que l’arfénic a
la propriété de décompofer le nitre 8c
d’en dégager l’acide. Par Cette décom-
pofition il eut une eau forte d’une odeur
pénétrante 8c fétide, 8c dont la couleur
étoit bleue.
Peu content de ce fuccès , quoique
cette eau forte foit une véritable découverte,
le Chymifte dont j’écris l’hîftoire,
voulut êffayer fi l’efprit-de-vin bien rectifié
fournirait un efprit ou une liqueur
diffolvante. Tous les efprits ardents font
fprchargés d’une huile légère. Les Chy-
miftes avoient travaillé jufques-là inutilement
pour dégager cette huile de ces
k e m de l’huile, & eut un efprit-de-vin très-
épuré.
Toutes ces découvertes étoient en
trop grand nombre & trop confidéra-
bles, pour ne pas former un bon ouvrage
de Chymie. Il devoit cet ouvrage au
public & à lui-même. Au public, pour
qu’il profitât de fes veilles ; à lui-même ,
afin qu’il en retirât le fruit, en s’affurant
la gloire de l’avoir fait. Aufli le publia-
t-il fous le titre tfObftrvation.es Chymicoe•
Il parut en 1676 écrit en Allemand.
C’étoit renfermer les connoiflances qu’il
contenoit dans un cercle bien étroit. Ce
Livre méritoit d’être entre les mains de
tous les Savans de l’Europe. Un homme
zélé pour les progrès de la Chymie,
nommé Aloïjîus Ramfai, s’emprefla de
leur procurer cet avantage. Il le traduifit
en Latin, fous ce titre : Joannis K u n c -
K E L 1 I , Elecioris Saxonici cubilarii intimi
& chymici, utiles obfervadones Jive animad-
verjîones de falibus fixis & volatilibus , auro
& argento potabili, &c. Primum ab auctore
Germanicee confcripta, nunc vero Latinitate
donata à Carolo Aloïjio Ramfdio. Londini
& (A) Roterodami , if>j8.
efprits. K u n c k e l imagina de noyer
l’efprit-de.-vin dans une grande quantité
d’eau, 8c de le diftilier enfuite à une.
douce chaleur. Il dépouilla par là l’efprit
Tandis qu’on travailloit ainfi à étendre
la réputation de notre Chymifte en répandant
fes découvertes,il étoit dans la plus
violente crife fur le fuccès d’une opération
importante. Un Bourgeois d’Hambourg
, nommé Brandt, en cherchant la
pierre philofophale dans des matières oii
il femble qu’on n’auroit pas du la chercher
, découvrit un pbofphore très-beau.
C’étoit une fubftance non-feulement lumi-
neufe dans les ténèbres, mais encore
inflammable & brûlante. Cette découverte
parut fi belle à K u n c k e l , qu’il
voulut en avoir le fecret. Il s’aflocia avec
un de fes amis nommé Krafft, Médecin
de Drefde , pour en faire l’acquifition ;
mais celui-ci croyant faire fortune avec
ce pbofphore * l’acheta pour lui feul, &
fit même promettre à l’inventeur qu’il ne
( g ) voyez le Biciionnairt de Chyme, T . o m e II , cet ouvrage , intitule': Philofopbia Chymie fi(xpçrimtn*
pag* 167. "s etnfirmM, in-1 a.
( h ) p u a donne en l é p * u n e nouvelle édition d e
K U N C K E L ! M
te communiqueroit point à K u n c k e l ( î) .
Piqué de cette double infidélité , notre
Philofophe chercha dans fon imagination
des- moyens de s’en venger. Le plus
efficace étoit fans doute de faire lui-
même la découverte du phofphore : mais
comment s’y prendre pour reuffir ? On
n’avoit aucun indice qui pût mettre fur
la voie. Cela étoit defefperant ; mais
K u n c k e l crut avoir affez de connoiffances
& de fagacité pour en venir à
bout. En grand Chymifte, il pafla en
revue toutes les matières qui pouvoient
donner de la lumière, ôc conje&ura avec
beaucoup de juftefle que l’urine avoit
éminemment cette propriété d’être lumi-
neufe. Il s’y fixa, & ne fongea plus qu’à
l ’épurer d’une manière convenable pour
mettre tout fon foufre à découvert.
Dans cette vue il fit des eflais & des
opérations très-recherchées, qui le con-
duifirent à une définitive , d’ou fortit le
nouveau pbofphore. Cette opération fut
telle :
Il laiffa fermenter l’urine pendant deux
ou trois mois pour difpofer fes principes
à fe détacher, & il trouva au bout de ce
temps une matière épaiffe & noirâtre au
fond des vaiffeaux dans lefquels il avoit
verfé l ’urine. Il mit cette matière dans
un pot de terre qu’il couvrit & qu’il
porta à fa cave. Elle fermenta , & par
cette fermentation fes principes s’exhal-
tèrent. Notre Chymifte jugea alors qu’il
étoit temps d’opérer tout de bon.
A cette fin il mêla cette matière avec
du menu fable & du b o l, & jetta ce mélange
dans une cornue bienlutée. Ayant
enfuite mis de l’eau dans un récipient à
long c o l, il l’adapta à la cornue. Son but
étoit d’en venir à une diftillation. Pour
la faire avec fuccès, il commença par
un petit feu pendant deux heures , qu’il
augmenta peu à peu jufqu’à ce qu’il fût
très-ardent, & qu il entretint amfi pendant
environ trois heures. Il vit alors
dans le récipient un peu de phlegme,
puis du fel volatil, enfuite de l’huile
noire , & enfin la matière du phofphore
qui s’attacha aux parois du récipient
comme une petite pellicule jaune , laquelle
tomba au fond en forme de fable
fort menu.
Il ne reftoit plus qu’à réduire ces
grains en un monceau. C ’eft aufli ce que
K u n c k e l fit en les mettant dans une petite
lingotière de fer blanc, en verfant
de l’eau fur ces grains, ôc en chauffant la
lingotière pour les faire fondre. Le tout
étant refroidi, il eut ainfi un bâton dur
& jaune comme la cire de cette couleur.
Ce fut là le véritable phofphore de
-Brandt, ou pour mieux dire le fien. Comme
il favoit qu’il ne fe conferveroit pas
long-temps en cet état, il le divifa en
petits morceaux qu’il mit dans une bouteille
avec de l’eau qu’il boucha exa&e-,
ment.
Il n’y a rien de plus curieux en Chymie
que les effets de ce phofphore. Il eft lumineux
dans les ténèbres & en tout temps.
Lorfqu’on l’expofe à l’air ou qu’on fort
un grain de la bouteille, il s’enflamme ,
& cette flamme eft plus ardente que
celle du bois , plus fubtile que l’efprit-
de-vin, plus pénétrante que celle des
rayons du foleil. Aufli a-t-elle un mouvement
fi rapide, & fe détruit avec une fi
grande vîteffe en confumant le phofphore,
que fouvent elle ne met point le feu à des
matières très-inflammables : elle les effleure
quand elles font folides, & les
traverfe fi elles font poreufes. Par exemple
, fi on en écrafe fur du papier , il
s’enflamme & ne brûle point le papier.
On peut même s’en frotter le vifage fans
rien craindre, en l ’incorporant dans de
(-» ) M. Lemert rapporte différemment ce trait de
l ’ inûoire de notre Philofophe. Il dit dans fon Court
de Chymie , page S 2,9 , dernière édition , que Brandt
ne communiqua fon fecret à perfonne , qu’il l’era-
gorta au tombeau I Sc qu’aptes fa mort K unckel le
découvrit. C’eft une méprife que l’Editeur de cet
Ouvrage auroit dà relever ; car il eft certain que
Brandt vendit fon fecret. Voyez l’Ouvrage de Sthal „
nommé les trois tens expediences , & le DiSlitnnaire do
Chymie, «tft. thofpkort de KUNCKEL.