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des poids qui y font appliqi
d’une feule démonilration je découvris
les propriétés de toutes les efpèces de
léviers , de quelque figure 8c dans quelque
VA R I G N O N.
fituation qu’ils foient, 8c pour toutes
les directions poifibles des puilfances
ou des poids qui y font appliqués *.
Un fi beau projet ne pouvoit être
reçu qu’avec les plus grands éloges. Tous
les Géomètres admirèrent l’enchaînement
de toutes ces vérités , & le Minif-
tère qui étoit attentif à récoinpenfer le
mérite, procura en 1688 à l’Auteur de
cette favante théorie une chaire de Mathématiques
au Collège Mazarin, 8c une
place à l’Académie Royale des Sciences.
C ’étoit peu de temps après la publication
de fon Projet, qui parut à la
fin de l’année 1687.
On parloit beaucoup dans ce temps-là
d’une expérience qu’on prétendoit avoir
été faite par Defcartes 8c le P. Merfenne :
c’étoit fur la pefanteur des corps. Ils
avoient, dit- on, affermi dans une fituation
verticale un canon chargé , 8c on y avoit
mis le feu. Le boulet chafie perpendiculairement
par l’explofion de la poudre,
n’âvoit plus reparu. De-là quelques Phy-
ficiens avoient conclu qu’à une certaine
difiance de la Terre la pefanteur difpa-
roît. Le boulet ne tendant donc plus
alors au centre de la Terre, n’avoit pu
retomber. Mais qu’étoit devenu ce boulet
? On fit pluiîeurs réponfes à cette
queftion, qu’on n’auroitpas du faire avant
que de s’être alluré par de nouvelles expériences
de celle qu’on attribuoit à Defcartes
8c au P. Merfenne.
Quoi qu’il en fo it, il paroît que ce
fujet donna occafion à notre Philofophe
de chercher quelle pouvoit être la caufe
de la pefanteur. C ’efl ce qu’on doit inférer
de la vignette qui efi à la première
page de les Nouvelles conjeftures fur la
caufe de la pefanteur , qui efi le titre de
fon Ouvrage. Cette vignette repréfente
Defcartes 8c Merfenne de chaque côté d’un
canon fitué verticalement: le premier regarde
en l’air le boulet qui s’envole ; &
le fécond, quoiqu’occupé du même objet,
tient en main le boute-feu avec lequel
il vient de mettre le feu à la poudre. Àu-
defius du boulet qui efi en l’air, on lit
ces mots : Retomber a-t-il ? V arignon
ne répond point à cette queftion, mais
il donne un fyftème fur la caufe de la
pefanteur qui pourroit fervir à la réfoudre
, s’il étoit auffi véritable qu’il efi ingénieux.
Ce fyftème eft que les colonnes du
fluide qui environnent un corps , font la
caufe de fon poids. Si un corps étoit
également prelfé de tous côtés par l’air,
il n’auroit aucune tendance, & par con-
féquent point de pefanteur. Mais la colonne
d’air qui agit de haut en bas fur
les corps, eft plus longue que celle qui
les foutient, ou qui agit de bas èn haut :
donc la colonne fupérieure doit vaincre
la colonne inférieure, 8c par coniéquent
poufler les corps vers le centre de la
Terre. Et voilà la caufe de fa chute
8c de fa pefanteur. S’il étoit tellement
placé dans i’atmofphère, que les colon-,
nés de l’air fupérieures 8c inferieures fuf-
fent égales , il ne tomberoit pas ; 8c fi
on l’élevoit à une hauteur où la colonne
inférieure furpafsât la colonne fupérieure
, il tomberoit en haut.
Ce fyftème , quelque ingénieux qu’il
foit, n’eut pas même des cenfeurs. On
jugea avec raifon qu’en bonne Phyfî-
que cette inégalité de preflîon de l’air
fur un corps eft infoutenable; 8c V ari-
gnon ne fongea pas même à le défen-,
dre. Il reprit fon étude des Mathématiques
, 8c les découvertes qu’il fit le con-
folèrent de ce peu de fuccès. Il s’attacha
à généralifer les méthodes connues ,
8c les réduifit à des formules générales,
qui perfectionnèrent beaucoup l’analyfe,
11 en paroiffoit alors une nouvelle qui
Tintérefia beaucoup ; c’étoit celle des infiniment
petits. On la devoit à Leibnitz,
Enfin
* P r é f a c e de l a nouvelle Méchn„wÊ Çlt Staiiqu?.
Newton
FA RI G
Newton, & MM. Bernoulli frères. Us
étoient prefque les feuls qui l’entendif-
fent. Le Marquis de VHopital l’apprit de
Jean Bernoulli , 8c en publia les règles
dans un Ouvrage qui parut en 1 696 fous
le titre d'Analyfe des infiniment petits pour
Vintelligence des lignes courbes. Ce Livre
étoit bien fait , mais il y manquoit la
théorie de cette analyfe. Cette omiflion
lui fut d’abord nuifible. Les Géomètres
ordinaires, ceux qui poffédoient fort bien
l ’ancienne Géométrie, virent avec étonnement
qu’on réfolvoit très-facilement
par cette analyfe des problèmes qu ils ne
pouvoient réfoudre qu’avec un long circuit.
Cela leur en rendit les principes
fufpeéts. L ’amour propre fortifiant ce
foupçon, iis crurent qu’ils étoient faux,
6c voulurent le faire croire au Public.
Le Le&eur fait que l’analyfe des infiniment
petits eft le calcul différentiel,
lequel a pour objet la différence des quantités
infiniment petites à l’égard d’autres
grandeurs. Or les adverfaires de ce calcul
prétendirent premièrement que cette
différence des quantités infiniment petites
eft une chofe idéale, 8c qu’elle ne fau-,
roit exifter. Pour le prouver, un Savant
fort connu, nommé Niewentit, foutint
que les quantités infiniment petites ne
pouvoient pas avoir une différence réelle,
parce que leur différence ne fauroit être
infiniment petite; & fi elles n’ont point
de différence réelle, comment lés comparer,
puifqu’il n’y a aucun rapport entre
elles? D’où il concluoit que les quantités
infiniment petites ne pouvoient avoir
de différence. Lcibnit% répondit à. Niewentit,
mais il ne leva pas l’objeCtion. Celui-
ci. répliqua, 8c fe crut viâorieux. V a-
r 1 g n o n prit la plume, 8c il avoua là
défaite. Notre Philofophe donna la véritable
notion des différences, en faifànt
voir qu’elles n’étoient ni des zéros, ni
des incomparables , & en définiffant la
différentielle d’une quantité l ’accroiffe-
ment ou la diminution inftantanée de fa.
Valeur.
Niewentit avoit à peine abandonné le
champ de bataille, qu’un Membre de l’À-
ç$déiuiç Royale des Sciences de Paris fe
N O JST. 89
préfenta fur l’arêne : c’eft Rolle. I l vint au
combat avec des armes tirées de la Géométrie.
Il prétendit qu’il y a des contradictions
dans les règles du calcul différentiel.
Sans fe donner la peine d’entendre ce calcul
, il ne prit que la moitié de la règle, &
fe hâta d’en faire ufage dans des problèmes
de Géométrie. Les folutions devinrent
défe&ueufes, 8c Rolle en conclud
que cette règle étoit fauffe. Ce qui lui
arracha fur-tout de grands cris de victoire
, ce fut la découverte qu’il fit d’une
équation, qui fous la forme irrationnelle,
défignoit la même courbe que lorfqu’elle
étoit dégagée de lignes radicaux.
Rolle pafloit pour un grand Géomètre
& pour un Calculateur habile. Auffi fé-
duifit-il plufieurs Mathématiciens. Son
parti même dans l’Académie des Sciences
devint confidérable. Varignon ne fut
point intimidé , & par la capacité de
Rolle, 8c par la réputation de fes parti
fans. Bien ferme fur fes principes, &
maniant la Géométrie avec plus d’aifance
8c de fupériorité que l’adverfaire du calcul
différentiel, il réduifit en poudre toutes
fes objections. Il fit voir 8c démontra
que Rolle n’entendoit point du tout
ce calcul, qu’il ne prenoit point la règle
en entier lorfqu’il en faifoit ufage, 8c que
l’équation affeClée de lignes radicaux don-
noit une autre courbe que celle qui étoit
dégagée de ces lignes.
Cette conteftation l’engagea dans une
étude férieufe du calcul différentiel. Il
étoit lié très-particulièrement avec l’Aii»
teur de l’analyfe des infiniment petits, ( le
Marquis de VHôpital j 8c il communiquoit
à cet Auteur fes réflexions fur la perfection
du calcul & de fon Livre. Le Marquis
le follicitoit continuellement à ne
rien négliger pour l’intelligence & la per»
feftion de l’un 8c de l’autre. C ’eft auffi
ce que faifoit notre Philofophe. Il jet-*
tqit fur le papier toutes les idées nouvelles
qui lui venoient à l’efprit, dans
la vue de les joindre au Livre de M,
de l’Hôpital, lorfqu’ij en donneront une
fécondé édition. Ce n’étoit point un travail
continu , qui fufpendît la compofi-,
tipn des Mémoires qu’il donnoit pour tri,
m