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phe juftifièrent le choix de ce Médecin.
Le nouveau Démonftrateur fe dévoua
abfolument au progrès de la Chymie. Il
vérifia par des expériences toutes les
compofitions chymiques, tous les fecrets
qu’on avoit publiés jufqu’alors fous l’enveloppe
de l’énigme; s’affura des effets
de ces fecrets ou de ces remèdes ; développa
tous les procédés par le raifonne-
nient ; 6c réforma, re&ifia 6c mit dans
un meilleur ordre toute la Pharmacie. Il
ne fe contenta pas d’extraire des mixtes
ce qui peut fervir à cet art &: à la Médecine
: il remonta à la nature des êtres,
dont il rechercha les propriétés ; 6c après
les avoir analyfé avec le plus grand foin,
il trouva que la fource 6c la racine de
toutes chofes étoit une fubftance fpiri-
tuelle, qui étoit l’unique femence des
êtres, lelquels ont tous befoin de fa pré-
fence.
En effet, quand on en prive quelqu’un,
il vient fur le champ y reprendre fa
place. Lorfqu’on a tiré, par exemple, du
vitriol beaucoup de différentes fubftances
qu’il contient, fi on expofe la tête morte
de ce vitriol à l’air, l’efprit univerfel vient
l’animer en quelque forte, 6c lui donner
une nouvelle vie. Ainfi dans une matière
vitriolique il devient vitriol ; arfenic dans
une matière arfenicale ; plante dans une
matière végétale. C ’eft pourquoi Dieu
qui ne veut pas tous les jours créer des
chofes nouvelles, a créé l’efprit univerfel,
& l’a répandu par-tout, afin de reproduire
tous les êtres, 6c de perpétuer les généra-
tions fans fon concours.
Cet efprit eft le premier principe de
toutes chofes. Tout vient de lui, 6c tout
retourne à lui : il eft par conféquent le
premier principe de la vie 6c de la mort
de tous les êtres. Comme la diverfité
des compofés requiert une diverfité de
fubftances pour leur entretien, il y a
aufli dans les élémens une diverfité de
matrices pour fabriquer ces diverfes
fubftances ; 6c c’eft ce qui fait que ce qui
fert à la vie de l ’un , eft bien fouvenr la
deftru&ion 6c la mort de l’autre. Par
exemple, un principe corrofif fera la
mort d’un mixte doux ; 6c au contraire
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le principe doux fera la mort du corrofif,
puifqu’il lui ôte fon acrimonie qui conf-
titue fon effence.
C’eft ainfi que L e f e v r e raifonnoit
fur l’origine des êtres 6c fur leur formation.
Il vouloit faire un fyftême de Chy-
mie, pour ram ener à un principe général
toutes les opérations de cette Icience.
C’étoit prendre les chofes en grand , 6c
comme il convenoit à un Philofophe. Car
faire des eflais 6c des expériences au
hafard fans une théorie qui éclaire, c’eft:
travailler mécaniquement, 6c n’être point
fur de ce qu’on fait. Voilà pourtant la
manière dont les Chymiftes cultivoient
leur art. Il étoit temps farts doute de les
mettre dans la bonne v o ie , 6c c’eft ce
que fit L e f e v r e en fuivant le fil de fa
théorie.
La fubftance fpirituelle, dit-il, qui eft
la première 6c l’unique lemence de toutes
chofes, a trois fubftances diftin&es, qui
ne font point différentes en foi-même :
car cette fubftance fpirituelle eft homogène
; mais parce qu’il fe trouve en elle
un chaud, un humide 6c un fec, elle eft
triple en nomination, A raifon de fon feu
naturel, elle eft appellée foufre. A raifon
de fon humide, qui eft l’aliment de ce
feu, elle eft nommée mercure. Enfin à raifon
dç ce fel radical, qui eft le ciment 6c
la liaifon de cet humide 6c de ce feu, on
lui donne le nom de fel.
Il y a donc un fe l, un foufre 6c un
mercure dans chaque mixte. Or tout
mixte qui eft parfaitement compofé,eft
ou minéral, ou végétal, ou animal : 6c
comme les uns fervent d’aliment aux
autres , ce qui paroît par le changement
des minéraux en végétaux, 6c des végétaux
en animaux ; aufli y a-t-il dans chaque
mixte un fe l, un foufre 6c un mercure
, qui eft minéral, végétal ou animal.]
En effet, tout ce qui fe nourrit,
l’eft par fon femblable, 6c le diffemblable
eft chaffé dehors comme excrément. Et
fi la faculté expultrice n’eft pas allez
puiffante pour cela, il refte des excré-
mens dans le compofé : ce qui caufe fa
corruption 6c fa diffolution.
C ’eft ainfi que dans les animaux chaque
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partie de l’animal attire des alimens qui
fervent à fa nourriture, ce qui eft analogue
6c propre à chacune d’elles ; 6c le
refte des alimens qui ne peut devenir femblable
à la fubftance de l’animal, 6c qui
ne fubftante pas fa v ie , la faculté expultrice
le chafle au-dehors. Et fi cette faculté
eft affoiblie, ces excrémens fe
coagulent ou fe volatilifent, 6c alors ils
caillent toutes les maladies qui peuvent
affliger l’animal pendant fa vie.
Après avoir établi ces principes théoriques
de Chymie , notre Philofophe
examina les moyens de décompofer les
mixtes, 6c il trouva que le feu étoit l’agent
le plus puiffant pour parvenir à cette
fin. Il ne s’agiffoit plus que d’en connoî-
tre le véritable ufage , je veux dire de
rendre les opérations plus promptes 6c
plus efficaces. Dans cette vue, ilchoifit
d’entre les inftrumens qu’on avoit inventés
jufques-là, ceux qu’il eftima les meilleurs.
Il en imagina de nouveaux ; 6c avec
ce fecours il refit toutes les expériences
qu’on avoit publiées, vérifia les compofitions
de fes prédéceffeurs en la fcience,
à l’étude de laquelle il s’étoit dévoué; 6c
enrichit cette fcience de nouvelles découvertes.
Parmi ces découvertes, en voici deux
qui méritent d’être diftinguées. La première
eft le fel volatil de vipère. Ayant
fait fécher dans un four médiocrement
échauffé des vipères bien nourries, dont
il avoit vuidé les entrailles , 6c ôté le
coeur 6c le foie, il les réduifit en poudre
groffière, 6c en remplit une retorte de
verre qu’il mit au fourneaude réverbère,
clos fur le couvercle d’un pot de terre
renverfé, dans lequel il y avoit deux
poignées de cendre, pour fervir de lut
à la retorte, 6c pour empêcher la première
violence du feu. Il adapta enfuite
un grand récipient au haut de la cornue, 6c donna le feu par degrés jufqu’à ce que
la retorte fut rouge, 6c que le récipient
fut devenu clair : ce qui arriva au bout
de douze heures d’un feu violent.
Le tout étant refroidi, il trouva trois
fubftances dans le récipient ; favoir, le
phlegme 6c l’efprit mêlés enfemble, de
l’huile noire 6c puante, 6c le fel volatil,
qui étoit adhérent aux parois du récipient.
Il fit diffoudre le fe l, le fépara de
fon huile par le filtre 6c par la diftilla*
tion, & il eut ainfi un fel pur extrêmement
fubtil 6c volatil.
Ce fel a une infinité de vertus mer-
veilleufes. Il empêche toutes les corruptions
qui fe font dans le corps humain ,
en brife toutes les obftru&ions ; eft un
excellent fébrifuge, 6c devient un remède
pour la pefte , pour les maladies conta-
gieufes , pour l’épilepfie 6 , l’apoplexie 9 cc. (Æ).
On croyoit avant notre Chymifte, que
les cendres des plantes dépouillées de
leur fel étoient tout-à-fait inutiles ; mais
il fit voir que ces cendres, qu'on appelloit
la tête morte de la plante , avoient la
vertu de reproduire d’autres plantes. Car
en ayant jetté dans une cour oii l’on
tenoit du fumier 6c d’autres immondices 9
il vint une grande quantité de fenouil
dans cette cour, dont il tira beaucoup
d’huile.
De-là L e f e v r e conclud cette belle
vérité : c’eft que la vie moyenne des
chofes ne périt pas fi facilement qu’on le
penfe, 6c que félon cet axiome de Phi-
lofophie , formée rerum non pereunt.
Notre Philofophe fe trouva alors a fiez:
riche en connoiffances pour compofer un
cours de Chymie , c’eft-à-dire un ouvrage
qui renfermât 6c les principes de cette
fcience , 6c toutes les découvertes qu’on
y avoit faites jufques-là. C ’eft ce qu’il fit
aufli avec tant de diligence, qu’il publia
fon ouvrage en 1660 en deux volumes
ôï- 8°. Ce fut une nouveauté bien piquante
pour les Chymiftes. On n’avoit
point encore vu de théorie fur la Chymie*
Cette fcience n’étoit connue que par l’art
des opérations. On faifoit des tentatives
pour décompofer les mixtes, 6c ceux qui
avoient le plus d’adreffe ou de dextérité
( b ) V o y e z f u r l e s v e r t u s d e c e f e l l a Chymie méditinde d e M . Mdouin , T o n » . I *