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accepta l’offre que lui fit un de Tes amis
de fe charger de rendre ces choies publiques
, à condition cependant qu’il ne
diroit rien contre M. du Tl cil, tant il vou-
loit conl'erver la paix avec tout le monde.
Cet ami écrivit donc une lettre à l’Auteur
des Nouvelles de la République des
Lettres, qui fiit imprimée dans ce Journal
au mois de Janvier 1707. Il y rend
compte des découvertes de Poliniere
en ces termes :
; » Un foir lorfqu’il nettoyoit extérieu-
» rement la partie fupérieure d’un ba-
» romètre{impie, dont il fe lert pour ap-
» pliquer fur fa machine pneumatique ,
» afin de faire connoître que la lufpenfion
» du mercure dans les tuyaux de verre
» à 27 pouces { lorfqu’ils font fcellés
» hermétiquement par leur partie fupé-
» rieure , eft un effet de l’air* grofîier,
» alors il apperçut quelque lueur pen-
» dant le frottement, qu’il crut être pro-
» duite dans la partie fupérieure de ce
» baromètre qui étoit vuide d’air grof-
» fier. Il voulut imiter un pareil effet dans
» une bouteille de verre bien tranfparent,
>» de laquelle il vuida l’air groflier, en
» fe fervant d’une machine pneumatique;
» & effectivement il réufiit fi bien, après
» avoir fcellé ou bouché la bouteille
» pour empêcher l’air groflier d y ren-
» trer, que pendant la nuit ou dans un
»lieu obfcur, frottant extérieurement
» cette bouteille avec la main, pourvu
» qu’elle foit bien seche, il paroit beau-
» coup de lumière en forme de flamme
» qui gliffe le long du verre dedans la
» bouteille à l’endroit qu’on frotte. Cette
» lumière eft même allez confidérable
» pour éclairer tout l’intérieur de la bouT
» teille.. .D e là il conclut que la lumière
» confifte dans une preflion liibite, trem-
» blante ou trémouliante de la matière
» éthérée qui pafl'e à travers du verre,
» de même que le fon confifte dans un
» mouvement de preflion ou d ondula-
» tion de l’air groflier qui frappe l’organe
» de l’ouïe.
» M. Poliniere a encore obferve que
» le vif- argent falit toujours l’eau com-
» mune, lorfqu’on les agite enfemble, juf-
» qu’à fe convertir en une matière bour-
» beufe &. noirâtre : ce qui eft contraire
» aux précautions dont M. Bernoulli-
» avertit l’Académie , lorfque ce favant
» Mathématicien perfe&ionna l’obferva-
» tion qui avoit été faite de cette lu-
» mière dans le baromètre de M. Picard
» de la même Académie.
» Il a aufli fait en préfence de Mef-
» fieurs de l’Académie une expérience
» qui avoit été remarquée d’après fes
» découvertes par M. du T a l, Do&eur
» en Médecine. Cette expérience con-
» fille à frotter avec la main fortement
» 8c long-temps une bouteille ouverte
» julqu’à ce qu’elle foit échauffée ; 8c
» alors on apperçoit une lumière foible »
»étincelante à l ’endroit oii l’on frotte
» cette bouteille. Cette lumière eft fem-
» blable à celle qui paroît dans le vif-
» argent bien fec, lorfque l’air n’eft pas
» pompé de la bouteille qui contient le
ft vif-argent, de même que la lumière
» de la nouvelle découverte de M. Po-
» liniere reflemble à celle qui paroît fur
» le vif-argent lorfqu’il eft dans la bou-
» teille dont on a bien pompé l’air. Pour
» bien réuflir dans ces expériences nou-
» velles, il faut que les bouteilles 8c les
» mains foient bien sèches.
On verra dans la fuite de cette Hifi-
toire des Phyficiens modernes, que c’eft
ici la matière çle&rique ; 8c il faut toujours
reconnoître Poliniere pour celui
qui a découvert le premier çe phéno-
mène phyfique,
Toutes ces découvertes , fa belle méthode
d’enfeigner, 8c le fuccès de fes
cours, attiroient l’attention de tout le
monde ; 8c comme tout le monde n’étoit
pas à portée d’en profiter, on ne cef-
loit de le folliciter de rendre ce fervice
au Public en les lui communiquant par
la voie de l’imprefîion. Il ne falloit à
cette fin que mettre fes manuferits en ordre
pour ayoir un Traité de Phyfique expérimentale
: Ouvrage abfolument neuf
qu’on défiroit de toutes parts. Il parut
en 1709 fous le titre 8 Expériences'de
Phyfique, 8c eut tout le fuccès qu’on de-
yoit en attendre. Il eut fur r tout le fit#
frage
P O L I N I E R E . ft
frage des Profeffeurs de l’Univerfité,
qui connoiffoient le prix de fes cours, 6c qui avoient été témoins de l’émulation
qu’ils avoient fait naître dans les
jeunes gens des Collèges. Ce fut même
ici une occafion pour engager l’Auteur
à continuer fes cours avec plus d’afliduité
encore qu’auparavant.
Encourage par l’utilité publique & par
ces invitations, P o l i n i e r e redoubla
d’ardeur, fit de nouvelles expériences,
multiplia fes découvertes; de forte que
la première édition de fon Livre étant
épuifée, il en donna une fécondé en
1 7 18 , beaucoup augmentée.
Sa réputation lui procura l’eftime des
perfonnes les plus diftinguées par leur
mérite 8c par leur état. Les Seigneurs,
les Princes même qui avoient fait leur
cours de Philofophie, voulurent le recommencer
fous lui. On ne croyoit point
avoir appris quelque chofe en Phyfique,
fi on n’avoit fait fon cours d’expériences.
M. le Duc d'Orléans y Régent du Royaume
, qui aimoit les Sciences 8c qui les
cultivoit, fit faire à notre Philofophe un
cours d’expériences chez lui, dont il fut
très- fatisfait. Poliniere fit devant Son
Altefle Royale des préparations chymi-
ques, fe fervit de fourneaux qu’il avoit
inventés, par le moyen defquels il opéra
des choies jufques-là inconnues, 8c qui
contribuèrent infiniment à la perfe&ion
des opérations chymiques.
Inftruit de tous ces fuccès, le Cardinal
de Fleuri crut devoir produire à la Cour
un Savant fi capable de l’inftruire. Son
Eminence lui fit faire un cours d’expériences
en préfence du Roi, qui y prit
un plaifir infini. Sa Majefté lui fit répéter
plufieurs expériences, 8c fut particulièrement
enchantée de celle du Champignon
philofophique. C ’eft en effet une
expérience très-curieufe 8c très-piquante.
Pour la faire, on met dans un verre fix
dragmes d’huile de gayac, 8c on verfe
deflus peu à peu , mais de fuite, environ
neuf dragmes d’efprit de falpêtre bien
pur. Après une très-grande fermentation
accompagnée de bruit 8c d’une
groffe fumée épaifle, il s’élève au milieu
8c hors du verre une efpece de champignon
de la hauteur de près d’un pied.
C ’eft un corps léger, fpongieux, caf-
fant, noirâtre, luifant, 6c qui s’enflamme
à la fin.
' Cet effet eft produit par la chaleur qui
développe l’air enferme entre lès parties
embarraflantes de l’huile de gayac, ce
qui caufe l’enflure de la matière que
contient le verre. Et parce que la chaleur
qui a dilaté l’air principalement pendant
la fin de la fermentation, a en même
temps defîeché cette huile, les parties
de l’huile qui fe font élevées en font devenues
plus gluantes 8c plus capables de
retenir cet air pendant la dilatation : ce
qui forme ce corps fpongieux qu’on nomme
Champignon philofophique. Telle eft
du moins l’explication que notre Philofophe
donnoit de cet effet.
Un homme fi univerfellement eftimé
à la Cour & à la Ville , 8c fpécialement
confideré du premier Miniftre, auroit
pu prétendre à une haute fortune : mais
Poliniere la regarda toujours avec indifférence,
pour ne pas dire avec mépris.
Uniquement occupé du bien public,
feul objet de fes veilles, il ne penfa
jamais au fien particulier. Egalement in-
fenfible aux honneurs 8c à l’intérêt, il
n’eftimoit que l’efprit 8c le favoir, 8c
ne connoiffoit d’autre bonheur dans la
vie que celui que procurent les fciences 8c la folitude.
Chaque cours annonçoit tous les ans
de nouvelles découvertes. De retour à
Vire , fa patrie, il ne s’occupoit, foit à
la Ville, foit à fa maifon de Campagne,
qu’à chercher de nouveaux tréfors , pour
aller fur la fin des Clafles en enrichir la
Capitale du Royaume.
Il donna en 1728 une troifième édition
de fes Expériences Phyfiques, avec des
augmentations confidérables, & il crut
devoir y rendre compte au Public du
fuccès qu’elles avoient eu. D’abord elles
furent imprimées chez les Etrangers, 8c
traduites en différentes langues.En France
on les copia. Un Auteur prétexte de
donner au Public une explication des in fl rumens
qu'il fabrique, fe donna la liberté de
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