6 ' P A R A C E L S E ,
fut portée à fon comble, lorfqu’il fit con-
noître aux Allemands la vertu de l’opium.
Il eft vrai que fa cure paflbit pour un
prodige , une efpèce de miracle, que la
dignité d’Empereur rendoit encore plus
merveilleux.
Les éloges qu’il reçut à ce fujet, exaltèrent
fon imagination naturellement
bouillante. Il l’échauffa encore par le vin
qu’il bu voit avec excès. Jufqu’à l’âge de
vingt-cinq ans il ne but que de l’eau ;
mais lorfqu’il eut pris du goût pour le
v in , il ne garda plus aucune mefure.
Toutes les perfonnes, de quelque état
qu’ellesfuffent, lui étoient indifférentes,
pourvu qu’elles euffent la même paffion
que lui. Il fe trouvoit fou vent avec des
gens du peuple , & ne les quittoit qu’a-
près avoir paffé une partie de la nuit à
boire avec eux.
Lorfquè retiré chez lu i, il avoit dormi
quelques heures, il fe levoit en furie ,
prenoit fon épée, 6c pouffoit des bottes
contre la muraille. Après qu’il avoit ainfi
éveillé tout le voifinage, il appelloit fon
Secrétaire, qui avoit de la peine à fe garantir
de fes fureurs ; 6c lorfqu’il étoit un
peu tranquille, il lui diftoit les ouvrages
qu’il a compofés,
Il avoit d’abord établi pour principe,
qu’on ne pouvoit connoître les fecrets de
la nature fans être magicien ; & fes délires
étant pour lui des infpirations, il s’imagina
qu’il étoit forcier. Audi écrivoit-il
qu’il falloit Chercher la fcience de la Médecine
, non dans les Livres de Galien 6c
d?Avicenne 6c de leurs femblables, mais
dans la magie. Il difoit même qu’il avoit
reçu des enfers des lettres de Galien, &
qu’il avoit difputé dans le veflibule du
Tartare avec Avicenne, fur l’or potable ,
la teinture des Philofophes, la quintefîen-
ce , & la pierre philofophale.
Il ne nous a pas appris ce qu’il a
réfulté de cette difpute. Seulement noçs
lavons que par le moyen de la Chyirne
il découvrit dans ce temps-là un fel qui
rendit l’or potable, 6c une liqueur très-
efficace , afin d’animer 6c exciter fortement
les fibres 6c les vaiffeàux, lorfqu’ils
font en mauvais état par l’apoplexie, la
paralyfie 6c l’hydropifie, 6c pour accélérer
le mouvement du fan g , 6c augmenter
les fécrétions & excrétions, fur-tout celles
de la fueur 6c des urines.
Cette liqueur provenoit d’un mélange
de régule d’antimoine martial, d’étain
fin, de cuivre rouge .très-pur, de nitre
purifié, d’efprit-de-vin rectifié, qu’il for-
moit par une manoeuvre très-favante 6c
fort recherchée. Il falloit d’abord faire
fondre enfèmble les métaux, les mêler
enfuite avec le nitre, projetter après cela
ce mélange à diverfes reprifes dans un
creufet rougi, pour le faire détoner,
calciner, jufqu’à ce que les métaux fuffent
réduits en chaux ; ôter cette matière
toute rouge du creufet, 6c la réduire
promptement en poudre. Le refte de l’opération
étoit fort fimple ; mais l ’induf-
trie de ce travail & fon invention prouvent
bien la capacité de notre Philosophe
dans la fcience de la Chymie.
A l’égard de fon fel pour rendre l’or
potable, il le tiroit du vin 6c de l’efprit-
de-vin par une manipulationauffifavante
que recherchée. Ce fel, qu’on appelle le
fe l des Philofophes , fert à calciner l’or ,
les pierres, les perles 6c le corail ; 6c
lorsqu’il eft broyé avec de l’or en feuille, 6c mêlé avec la quinteffence de l’efprit-
de-vin qu’on a tiré par cette manipulation
, il réfoud l’or en une liqueur couleur
de fang , qui eft le véritable or potable.
Il eût été à délirer pour fa gloire 6c
pour l’avantage des hommes, qu’il ne fe
fût occupé que de l’étude de cette fcience.
Mais fon imagination toujours ardente',
ne pouvoit point être refferrée dans un
laboratoire chymique. Elle vouloit em-
brafler toutes les connoifîances humaines.
Dans cette vue, il commença parfaire une
nouvelle Religion, 6c en fécond lieu il
chercha à prolonger la vie des hommes
auffi loin qu’il le jugeroit à propos. Il
croyoit être le maître de cela par le fecours
de fes remèdes, & fur-tout par Un remède
univerfel, qui ne dépendoit , félon lui,
que d’une préparation des plantés.
Pour fori fyftême de Religion, il établit
que tout dépend dans le monde des
Démons 6c des Génies 1 6c il en peuple
P A R A C E L S E . 7
tout l’Univers ; de forte que tous les animaux
, les plantes , les pierres même 6c
les métaux ont un Génie. Chaque Génie
eft obligé de demeurer dans fon élément ; 6c s’il en fort, il fouffre une répereuffion
de la part des autres Génies.
Ces Génies , dont les uns font mâles 6c les autres femelles , ont un Génie
fupérieur qui préfide fouverainement au
gouvernement des aftres. Il a pour adjoints
d’autres Génies qui lui font fubor-
donnés, & qui féjournent tantôt dans une
planète, tantôt dans une autre.
Tous ces Génies , 6c le monde qu’ils
conduifent & qu’ils animent, exiftoient
dans le principe incréé comme dans leur
centre ; car les myftères fucceffifs fe développent
, dit Paracelse , mais ils font
tous renfermés dans le premier myftère ;
de forte que rieirne peut arriver d’imprévu
, ni de nouveau , ni d’arbitraire
dans le monde. L’homme y occupe le
premier rang.
Il eft compofé du corps vifible 6c du
corps invifible. Celui-ci eft renfermé 6c
défend l’autre, qui.lui tient lieu d’enveloppe
6c de demeure, 6c qui n’exifteque
par fon fecours 6c fous fes ordres. Le
premier eft l’ame, que Paracelse appelle
un efprit corporel. Tous les autres
êtres, les pierres même 6c les métaux, ont
un efprit particulier, qu’il nomme Efp rit
olimpique , lequel les affimiîe en quelque
forte, 6c les fait fympathifer enfemble»
Aufli dans les plantes 6c les minéraux
fe retrouvent dans la même figure 6c
dans les mêmes proportions de vertu,
toutes les parties du corps humain. De-là
il conclud que les liqueurs des plantes
étant purifiées 6c remifes en la nature
de leur premier être, dévoient pofleder
uniquement la vertu centrale de leurs
mixtes, parce que la nature a confervé
dans fon travail toutes les puiftances férni-
nales. Donc le premier être des plantes
doit être un remède univerfel, 6c par conféquent
donner l’immortalité à l’homme.
C ’eft ainfi que fon fyftême de Religion
le conduifit à fon fyftême de Médecine.
Les trois principes delà nature, qui font,
félon lui, le fe l, le foufre 6c le mercure ,-
dévoient fe trouver dans ce premier être
des plantes. Mais il reconnut que toutes
les plantes n’avoient pas une proportion
fuffifante de ces trois principes. Il n’y eut
que celles qui font du genre de lamélifîe 6c de la grande chélidoine, qui lui parurent
bien compofées. Il fe fixa donc à
ces deux plantes, 6c travailla tout de bon
à tirer de leurs liqueurs leurs, premiers
êtres.
Il prit de la mélifle en fleur, qu’il eut
foin de cueillir un peu avant le lever du
foleil : il la fit battre dans un mortier,
la réduifit en une bouillie impalpable ,
la jetta dans un matras à long col, qu’il
fcella hermétiquement, 6c la mit digérer
pendant quarante jours au fumier de cheval.
Ce temps expiré, il ouvrit le matras , 6c y trouva une matière qu’il réduifit en
liqueur en la preflant, 6c féparant le pur
de l’impur parla digeftion au bain-marie
par une chaleur lente. Les parties groffiè-
res fe dépofèrent ainfi au fond, 6c il en tira
la liqueur pure qui les furnageoit, en
la filtrant à travers du coton.
Cette liqueur ayant été mife dans une
fiole, il y ajouta le fel fixe qu’il tira de la
plante même deflechée. Il nereftoitplus
qu’à extraire de cette liqueur le premier
être de la plante. Paracelse mêla à cette
fin la liqueur avec autant d’eau de fe l, la
mit dans un matras, l’expofa au foleil
pendant fix femaines, & découvrit une
liqueur verte 6c tranfparente comme
l’émeraude , qui eft félon lui le premier
être de la mélifle ( d f
La vertu de ce premier être eft de
reftaurer 6c de renouveller nos manque-
mens extérieurs 6c intérieurs ; c’eft-à-dire
au’on peut fe rajeunir 6c fe renouveller
en en faifant ufage. Il ne faut pour cela
( d ) Dans une autre plante cette liqueur pourroit plante qu’on aura aiiiiï préparée. Voyez le Cours
être claire & rouge comme le grenat oriental. Cela Chymie de Lefeyre , coin. I » pag. 3iS , cincuiièmsr
dépend de la qualité St de la quantité du fe l, du édition»
foufre ou du mercure qui aura prédominé dans lu