m D I S C O U R S
pour avoir blâmé les offrandes &
les facrifices, il fut obligé de fe
retirer à Chalcis. Il laiffa donc fes
manufcrits à Athènes, qui demeurèrent
long-temps cachés au fond
d’une cave.
Théophrafie lui fuccéda dans le
Licée ; & comme il n’avoit du goût
que pour l’éloquence, il ne cultiva
point laPhyfique, ôc à fon exemple
on négligea cette fcience.
Une Se&e de Sophiftes, à la tête
de laquelle étoit Zenon d’Elée, chercha
même à en obfcurcir les principes.
Ennemie déclarée de toutes les
connoiffances humaines, elle prit le
parti de nier tout. Non-feulement,
difoit-elle, tout eft illufions ôc apparences
dans le monde, mais encore
la .vérité eft qu’il n’y a rien.
On ne peut prouver, continuoit-
elle, qu’il n’y ait des corps ; ôc s’il
n’y a point de corps, il n’y a point
de mouvement ; & s’il n’y a ni corps
ni mouvement, que peut-il y avoir?
Cette Secte nommée Secte Eléa-
tique, fe foutint tant que Zenon vécut.
Après fa mort , les. Disciples
ayant examiné de fang froid
cette fuite d’opinions bizarres, s’en
dégoûtèrent bientôt. L ’un d’eux
voulut même reprendre le fil des
fyftêmes qu’on avoit imaginés fur
la Phyfîque. Ilfie nommoit Leucippe.
De tous ces fyftêmes, aucun ne lui
parut plus probable que celui des
atomes : il s’en fervit donç pour expliquer
la caufe des phénomènes.
D’unjvçrs & les corps qui le
forment font compofés d’atomes.
Ces petits corps en fe choquant
.l’un l’autre, en fe liant enfemble,
en s’embarraffant par leur propre
poids , forment l’univers , ôc les
corps innombrables dont ileftcom-
pofé.
Ce fyftême étoit vague, ôc n’ex-
pliquoit rien. Aufli le fameux Dé~
mocrite., qui fut contemporain de
Leucippe, voulut l’éclaircir. Il établit
que chaque atome eft doué de
quelque chofe de fpirituel ôc de
divin j que toute la nature participe
à cette divinité , puifqu’clle n’eft
qu un affemblage d atomes j ôc que
cet affemblage, quoique fait au ha-
fard, forme la providence*ôc les décrets
des Dieux.
Sans rren changer à cette penfée,'
Heraclite fon fucceffeur dans ia pénible
fonction d’éclairer les hommes,
foutint que le feu eft le principe
de toutes chofes ; que le monde
eft fini, & que le même feu qui lui
a donné la naiffance, le détruira
infenfiblement.
Ce Plnlofophe ne laiffa point de
Difciples ; ôt comme il n’avoit pas
voulu vivre avec les hommes dont
ilfaifoit peu de cas, perforine n’eut
affez de courage ou de mifantropie
pour fuivre cet exemple, & oni’ou-
blia abfolument. Démocrue, qui au
Eeu de s’affliger de leurs écarts ,
n’avoit fait qu’en rire, eut de zélés
défenfeurs de fa Philofophie, parmi
lefquels Epicure occupe la première
plaçç.
P R E h I M. I N A I R E . v i j
Ce Philofophe s’attacha fur-
tout à fon fy ftêm e des atomes, qu’il
tâcha de perfectionner, en ajoutant
qu’outre leur pefanteurôt leur mouvement,
ils avoient encore un mouvement
d’inflexion appelé clinamen ,
qui leur faifoit décrire de petites
lignes courbes Ôc des angles mix-
tilignes, ôc après lequel ils- re-
prenoient leur première direction.
Quoique ce mouvement fût une
chofe abfolument phyfîque, cependant
Epicure prétendoit expliquer
par là les'Caufes qui déterminent
les agens libres. Ainfi la liberté de
l’homme ne confifte que dans la facilité
qu’ont les atomes de s’écarter
de la ligne droite.
. Cela n’étoit point affez clair pour
qu’on l’adoptât. Epicure eut une idée
fur la manière dont nous voyons
les objets, qui eut un fuccès plus
heureux. Les corps font fenfibles,
dit-il, parce que de la furface de
ces corps il s’échappe continuellement
des images qui en confervent
toute l’empreinte. Ces images font
impreffion fur l’organe de la vue, ôc
nous rendent ainfi les corps vifibles.
Elles font formées par un écoulement
de parties du corps infiniment
déliées ; ôc comme par' cette déperdition
de fubftance les corps
pourroient diminuer, une nouvelle
matière vient fe mouler à la place
de celle qui s’eft répandue au dehors.
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Cette manière d’expliquer la vi-
fion, quoique très-ridicule, toucha
néanmoins les Difciples d’Epi*
curer, qui la trouvèrent fi belle ,
qu’ils renoncèrent en fa faveur aux
règles de l’optique,
Ce fut ici le dernier effort que
firent les Philofophes de la Grèce
pour découvrir les principes de la
Phyfîque. Les Romains , au lieu
de fuivre leurs traces, aimèrent
mieux perfécuter ceux d’entr’eux
qui voulurent les imiter. La perfé-
cution dura depuis le fiècle d'Au-
gufle jufqu’à celui de Trajan. On
brûla les meilleurs Livres , on
exila les Philofophes, ôc on fit fi
bien, qu’on vint à bout de ne plus
trouver dans Rome ni fcience, ni
vertu , ni honnêteté, comme le remarque
fort à propos l’Auteur de
YHiftoire Critique de la Philofophie (a).
Au milieu de cette forte de calamité,
Sénèque vint au monde.
Cfétoit un homme fin, qui favoit
employer tour à tour fon efprit à fe
faire des créatures ôc un parti, ôc à
cultiver les feiences. Avec du crédit
ôc des vues, il ne craignit point de
répandre les travaux des Grecs fur
la Phyfîque, ôc il compofa des Quef
tiens naturelles, dans lefquelles il
renferma un fyftême de Phyfîque
affez étendu ôc affez fpécieux.
Dans ce fyftême, Dieu eft l ame
du monde , Ôc cette ame également
répandue dans l’univers, le
(c) Tome III, pag.