T O U R N E F O R T .
quelque fcience, ont été poufles par une
impulfion de la nature , *ô£ que cette impulfion
a renverfé tous les obftacles
qu’on oppoloit à leur penchant.
Audi jfon propre génie fut Ion premier
maître ; 8c quoiqu'on veillât avec un
loin extrême à fon inftruétion, il s’ab-
lentoit fouvent de la claffe pour aller
her'borifer à la campagne. 11 s’échappoit
aufli fréquemment de la maifon de fon
pere dans ce defiein. On regardoit ces
échappées comme l’amour du jeu 6c de la
difiipation , ôe on l’en punifioitrigotireu-
lèment ; mais il fie confoloit de cette
difgrace pat leplaifir qu’il avoir de fuivre
fon inclination.
Cependant, quelque diftraétion que lui
causât l’étude des plantes , il acheva fes
humanités. Il fit fon cours de 'Philofophie,
8c ce fut encore avec peu de fucees. 11
ne goûta point du tout la doétrine qu’on
lui enfeignoicj il n’y trouvoit point la nature
qu’il aimoir tant à oblerver, mais
des idées abftraires 8c vagues dont il ne
voyoit pas le but. Heureufement ayant
découvert dans le cabinet de fon pere la
Philofophie de Defcartes, il y découvrit
ce qu’il y cherchoit. Ce n’était point
celle cju’on lui enfeignoit, 8c fon pere
vouloir abfdlument qu’il s’en tînt aux
leçons de fies Profeffeuts. Cet ordre de
fon pere î ’obltgeoit, â étudier les livres de
Defcartes àia dérobée.. 11 falloir profiter
du temps ; 6c fon ardeur augmentant par
les obftacles, il fit des progrès rapides
dans l’étude de cette nouvelle Philofophie.
Il étoit le cadet de la famille. Dans
un pays de Drtfif écrit ou les‘.cadets
ïvont que leur légitime , on voulut l'engager
dans 1 état éccléfiaftique. ‘Sou père
le fit donc, étudier en Théologie , 6c le
mit même au Séminaires mais lés fcien-
ces tranquilles 6c purement fpéculatives
ne lui convenaient pas scelles qui exi-
• geoient de l ’aélivité 6c de 1 exercice àt*
tirorent feules fon attention. Tl tflloit
faire fes études chéries ou-dans un jardin
allez curieux qu’avoir un Apothicaire
d’Aix j ou dans les campagnes voifines.
11 pénétroic dans tous les lieux fermés
où il croyoit qu’il y avoit des plantes $
8c fi ces moyens ne réuflifloient pas , il y
entroit furtivement. Un jour il penfa être
accablé de pierres par des payfans, qui
le prirent pour un voleur.
Enfin il quitta la Théologie. Encouragé
par un oncle paternel qui éroit un Médecin
habile ôc fort eftimé, il réfolut de ne
s’occuper déformais que de la Botanique,
de la Phyfique 6c de la Médecine : c’étoic
en 1(377, & f°n pere étant mort dans ce
temps-là, il fe trouva en état de mettre
fon projet à exécution.
Le premier ufage qu’il fit de fa liberté
Fut de parcourir les montagnes du D auphiné
6c de la Savoie, d’où il rapporta un
grand nombre de plantes fieches qui commencèrent
fon herbier : c’étoit un commencement
de fortune fcientifique; mais cette
fortune n’amélioroit pas fes revenus :
elle les rendoit au contraire plus courts 9
patcequ’elle exigeoit plus de dépenfe
d’argent que d’efprit : il falloit donc concilier
l’étude de la Botanique avec une
profeïïion qui put les augmenter. A cette
fin, T ournefort réfolut d étudier ÔC
d’exercer la Médecine. L’Ecole de Montpellier
paftoit alors, comme aujourd’h u i,
pour la plus célébré d’entre les Ecoles de
Médecine , 6c notre Philofophe difpofa
tout pour s’y fendre.
Ii partit d’Aix en 1(379. H y a a Montpellier
un Jardin de plantes établi par
Henri IV , qui eft fort curieux. T ourne-
Fo.Rf y faifoir de fréquentes vifites; 8c
par la beauté des plantes qu’il admiroir,
il jugea qu’il devoit y en avoir aux environs
de cette ville dignès de fon attention
: dans cette penfée, il her'borifa dans
ces environs ôc- en rapporta des pilantes
inconnues aux habitants mêmes du pays.
Après avoir demeuré deux ans à Montpellier
, il partit pour Barcelone au .mois
d’A vril, 8c natta jufqü’à la fin d’Août
dans.lés montagneside Catalogne. Comme
il s’étôît fai t u ne repu ration en Botanique
, il étoit fuivi des Médecins du pays
■ êc--des -jeunes ■ Etudiants en Médecine ~ à
qui il démontrait les plantes. On auroic
ait , comme l’obferve fort bien M. de
Fontenelle, qu’il iaiitoit les .anciens Gy mt
o u R N
flofbphiftes, qui menoienr leurs Difciples
dans les défères où ils tenaient leur école.
1 Des montagnes de Catalogne il alla
aux montagnes des Pyrénées. C’était ma
voyage dangereux, taitt par la difficulté
qu’il y avoit à. y trouver des vivres, que
par le rifque qu/on coord; d’y être acta-
qué par des voleurs : auiîi fit-il ce voyage
tour feu 1.
Il avoir déjà parcouru quelques mon ta-
gnes lorfqu’il fut arrêtépar des M iquelets
.Efpagnols qui le dépouilièrent entièrement.
Ce malheur le toucha. Encore moins
Philofophe que Bocanifte, il ne put retenir
fes pleurs. Le froid étant violent, il
conjura les voleurs de lui rendre au moins
fes habits. Ses larmes touchèrent ces brigands
; ils lui jetterent fon juftaucorps.
T ournefort y trouva quelque argent
noue dans fon mouchoir qui s etoit heu-
ceufëment glifie dans la doublure : il en
eut a (Te z pour fuivre fa route. Ce qu’il
regretta de plus, ce furent des lettres de
recommandation qu’on lui avoit données
pour Barcelone. Il chercha des donfola-
tions dans fon étude des plantes, parce-
qu il efpéra que fes eonnoifiances 8c fes
decouvertes feroient les meilleures lettres
de créance qu’il pût employer auprès
des perfonnes à qui on l’avoit recommandé.
Te courage lui revint lorfqu’il ne vit
plus de danger. Son inclination dominante
le mettoir au-defiüs de tous les.
événements. Ilpafloit des journées déli-
cieufes au; milieu des rochers les plus affreux
8c les plus inaccefiibles, parcequ’il
y trouvoit tout ce que fa curiofité de-
inandoir, je yeux dire des herbes par-
rieuheres 8c des plantes rares. Pour recueillir
tout le fruit qu’il pouvoir attendre
de ces richefiès naturelles, il fongea à
mettre quelque argent â couvert de la rapine
des M iquelets, s’il avoit le malheur
d’en rencontrer encore. Il renferma des
réaux dans du pain fort noir 8c très d u r,
parcequ’il efpéra que ces voleurs ne feroient
point curieux de lui prendre
fon pain. Ce ftraragême -reufiit. Des Mi-
quelets qu il rencontra le volèrent exac-
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cernent ;, mais dédaignant ce-pain noir y
ilsleh.il lai fièrent avec mépris.
En retournant en France, il lui arriva
ttp malheur qui penfa lui coûter la vie..
Dans un- bourg , près de Perpignan , la
cabane où il couchoit tomba tout d’ur»
coup; 11 demeura deux heures enfeveli
fous les ruines,. & y auroir péri fi on
eût tardé encore quelque temps à le retirer.
Il arriva à Montpellier en 1681 pour
y continuer fes cours de Médecine, de
Chymie , 8c d-'Anatomie ; 8c de là il alla
fe faire recevoir Doékeur en Médecine £
Orange. Il fe rendit enfuite à Àix , où il
ne demeura pas long-temps. Sa paflion
dominante le fie fortir de chez lui pous
courir dans les campagnes. Il alla chercher
de nouvelles plantes dans les Alpes ,
ôc fit une riche moiflbn, qui lui coûta
beaucoup de fatigues & de peines.
Il n’appartienr pas à tout le monde *
fuivant la judicieufe remarque de l’Hif-
rorien de l’Académie, de comprendre le
plaifir de voir des pknres en grand nombre
bien entières, bien confervées, dif*
pofées fuivant un bel ordredansde grands-
livres de papier blanc. C ’en étoit pourtant
un bien- vif pour notre Philofophe, qui le
payoit fuffifamment de tout ce qa’il lui
en avoit coure pour en jouir. '
La réputation que Tournefort s’é-
fôit faite dans les provinces parvint à la
capitale. M. Fagon x qui prenoit lin vif
intérêt aux progrès de la; Botanique,
comme o n ia déjà vu dans Thiftoire du
P; Plumier, ayant entendu parler fouvent
de notre Philofophe, & toujours avec
éloge, fouhaitade l’auirer à Paris. Il s’a-
drefia pour cela à Mada me Venelle, époufe
d’un Confeilier au Parlement d’Aix, 6c
Sous-Gouvernante des Enfants de France.-
Madame Vznelle, qui connoifioit toute
la famille deTo urneeort, fit les démarches
néceflaires- afin de l’engager à venir
à Paris 8c ce Botanifte s’étant rendu i
cette invitation, elle le préfenta en u>8^,
à cet illuftre Médecin.
Le première converfation qu’il eut
avec, lui., le.mit en état d’apprécier foi^