point, elles n’élevoient les Aflres que
d’une minute.
Cette découverte rendit fes tables un
peu défe&ueufes. Il aimoit trop l’exaéti-
tude pour les laifler fubfifter. Quoique
rien ne Toit plus faftidieux que le calcul,
il eut le courage de faire de nouvelles tables
dans lefquelles il tint compte de fa
découverte. Il y joignit la parallaxe du
Soleil, qu’il eftimoit de dix fécondés. Le
Marquis Malvafia, qui adopta cette cor-
reétion, jugea par-là que fes éphémérides
dévoient manquer de juftefle. Il en calcula
de nouvelles pour cinq ans, à commencer
en 1 6 6 1 , & les publia avec les fécondés
tables de notre Aftronome.
De nouveaux travaux dévoient fuccé-
der à ceux-ci ; mais on vint l’interrompre
pour venir au fecours de la Patrie , dans
un différend qu’elle avoit avec Ferrare ,
fur les inondations du Pô. Bologne envoya
à ce fujet un Ambaffadeur extraordinaire
au Pape Alexandre I I I , ôc chargea
C assini de l’accompagner pour le
féconder dans la défenfe de fa caufe. En
arrivant, ce grand homme crut qu’il falloit
commencer par inftruire le procès,
je veux dire, par mettre les Juges & le
Public en état de connoître la queftion.
A cette fin il publia une liiftoiredu Pô,
d’après les Auteurs les plus avoués, &
les monumens les plus authentiques. En-
fuite, en préfence des Cardinaux affem-
blés pour juger ce procès, il fit des expériences
qui tendoient à mettre en évidence
les droits de la Ville qui l’avoit
chargé de fa défenfe. I l expofa ainfi devant
cette illuftre affemblée, <5c une grande
habileté à préfenter une chofe , ôc un
grand art de la faire valoir par le raifon-
hement. Auflï emporta-t-il l’eflime de
tous les Cardinaux.
Il fortit ainfi de Rome comblé de
gloire, & reçut en arrivant à Bologne
toutes fortes d’honneurs. Le Sénat lui
donna pour récompenfe la Surintendance
' des Eaux de l’Etat, & les habitans l’accueillirent
avec une diftinétion toute particulière.
Le Pape voulut auflï reconnoî-
tre fon mérite ; & fon frère Dont Mario-
Chigi, le nomma Surintendant des Fortifications
du Fort Urbain.
C assini fut fort étonné qu’on lui eût
donné un pareil emploi. C ’étoit une chofe
fi éloignée de fes études aftronomiques ,
ou purement mathématiques, qu’il ne fut
d’abord comment y répondre ; mais fon
génie, capable de tout entreprendre , le
mit bientôt en état de fe procurer les con-
noiffances nécefiaires à un militaire. Il
devint en peu de jours un grand Ingénieur;
& après avoir vifîté le Fort dont
il avoit la direction, il répara les ouvrages
anciens, & en fit faire de nouveaux.
Dans ce travail il fongeoit toujours à
fa fcience favorite , l’Afironomie ; & il
lui échappoit de regretter le temps qu’il
employoit à des occupations militaires.
I l penfoit auflï à reprendre l’étude de
cette fcience, lorfque le Pape l ’appela
pour venir à fon fecours fur un différend
qu’il avoit avec le Grand Duc de Tof-
cane. Il s’agiflbit du cours de la Chiana,
qui incommodoit tantôt les Etats du
Pape, tantôt ceux du Grand Duc, fui-
vant que chacun cherchoit à fe garantir
de fes irruptions. Il falloit concilier toutes
chofes , & notre Philofophe étoit
chargé de foutenir les intérêts du Saint
Père vis-à-vis de Viviani, grand Mathématicien
«5c difciple de Galilée, qui devoit
faire valoir les droits du Grand Duc.
Entre deux efprits juftes ôc éclairés, la
conciliation eff aifée. C assini ôc Viviani
réglèrent dans lecourant de l’année 1 664.
ce qu’il falloit faire, & comment on de-
voit exécuter ce qu’ils avoient prefcrit.
Us avoient jufques-là été fort oppofés
l’un à l’autre, parce qu’ils ne perdoient
pas de vue les intérêts qu’on leur avoit
confiés ; mais dès qu’ils eurent terminé
leurs difcuflïons , ils devinrent amis. Le
premier témoignage d’amitié entre les
Savans, c’eft de fe communiquer leurs
connoiflances ôc leurs vues. C ’eft ce que
firent nos deux Mathématiciens. Us profitèrent
d’abord de la circonftance du
voyage pour étudier l’Hiftoire naturelle.
Ils firent des obfervations fur les infectes
qui fe trouvent dans les galles Ôc dans
les
les noeuds des chênés, fur des coquillages
de mer, en partie pétrifies ôc en partie
dans leur état naturel. Ils s’attachèrent
auflï à des monumens de l’antiquité, ôc
tirèrent de la Terre beaucoup d’urnes
fépulcrales Ôc d’infcriptions étrufques.
A ce travail commun C assini eut occa-
fion d’en joindre un particulier : ce fut de
faire voir à Viviani des éclipfes de Soleil
dans Jupiter, caufées par les Satellites
que fon illuftre Maître Galilée avoit découverts.
C ’eft par cette obfervation que
nos deux Voyageurs terminèrent leurs
recherches. La féparation fut fans doute
douloureufe. Viviani alla rendre compte
au Grand Duc de fes opérations, ôc C as-
sini fe rendit auprès du Pape.
Sa Sainteté le vit avec tant de fatisfac-
tlon ôc de plaifir, qu’elle lui offrit les plus
grands avantages, s’il vouloit s’attacher
à elle, & fur-tout s’il avoit deflein d’em-
brafler l’Etat eccléfiaftique. Notre Philo-
fophe remercia poliment le Pape , fans
donner une réponfe précife à ces propo-
fitions.
I l vit à Rome ce qu’il y avoit de plus
grand. La Reine de Suède, Chriftine, y
étoit alors , ôc cultivoit les fciences dont
le grand Defcartes lui avoit infpiré le goût.
A la fin de 1664 il parut une Comète,
qu’elle voulut obferver. Elle invita C as-
sini à lui procurer ce plaifir, en venant
l’obferver lui-même dans fon Palais.
D ’après quelques obfervations , ce
grand Aftronome crut pouvoir décrire la
route qu’elle devoit fuivre. C ’étoit fon
fyftême des Comètes qui lui donnoit
cette confiance, ôc il le croyoit fi vrai,
qu’il ne craignit point de marquer à la
Reine fur le globe célefte la route qu’elle
tiendroit pendant fon apparition. Il détermina
les points de fa marche pour chaque
jour; de forte que, quoique la vîteffe de
cette Comète fût fi grande qu’elle fur-
paflât beaucoup celle de la Lune, il ofa
aflurer le 23 Décembre de ladite année
16 6 4 , qu’elle arriveroit le 25) de ce mois
dans la conftellation du Bélier ; qu’elle
y feroit ftationnaire , «5c qu’elle devien-
broit rétrograde.
Cette prédiction étoit trop neuve ôc
trop hardie pour qu’on y ajoutât foi.
Tous les Aftronomes d’Italie s’en moquèrent
; mais ils furent humiliés. L ’événement
arriva comme C assini l’avoit
prévu. Il falloit alors s’avouer vaincus ou
changer de langage. Us prirent ce dernier
parti. Us foutinrent que rien n’étoit plus
fimple que ce qu’il avoit fait ; & au corn-,
mencement de l’année i6 6 y , une nouvelle
Comète ayant paru, ils fe donnèrent
les airs de faire auflï des prédirions.
Comme ils croyoient que cette Comète
étoit celle de 1664, ils prefcrivirent fa
marche pendant fon apparition ; mais
ils fe trompèrent, <5c fobfervationdonna
un démenti complété leur aflertiôn.
Dès l’apparition de la première Comète
, notre Philofophe avoit calculé une
table de fon mouvement. Après l’apparition
de la fécondé, il fit imprimer un
Traité latin fur la théorie de ces deux
Comètes, qu’il dédia à la Reine de Suède,
ôc y joignit des lettres italiennes adreftees
à un Savant nommé Ottavio Falconieri.
Dans ce temps-là cette Princefle reçut
de France un Ouvrage de M. Au^out,
grand Mathématicien, fur la Comète de
166 4 , dans lequél l’Auteur fe faifoit
honneur du fyftême de C a s s i n i . La
Reine communiqua fur le champ cet Ouvrage
à notre Aftronome, qui reconnut
le larcin, malgré les précautions que M.
Au^out avoit prifes pour le déguifer. I l
étoit naturel qu’il fût fenfible à ce larcin ;
mais le plaifir de voir fon fyftême adopté
par un homme de mérite, l’emporta fur
ce fentiment. L ’amour de la vérité l’af-
feétoit feul, ôc il étoit peu jalcux de donner
fon nom à un fyftême.
U lifoit ce livre avec cette tranquillité
d’efprit, lorfqu’il reçut un ordre du
Pape d’aller en Tofcane, pour y traiter
feul avec les Miniftres du Grand Duc, de
l’affaire de la Chiana, qui n’étoit point
encore terminée. Sa Sainteté le nomma
en même temps Surintendant des Eaux
de l’Etat Eccléfiaftique. La plupart des
hommes en place ôc leurs adjoints s’imaginent
que la politique eft le chef-d’oeuvre
de l’efprit humain, ôc donnent un ton
d’importance à de petits détails des diffé