O H A R T S O E K E R .
lin M aître de M a th ém a tiq u e s , q ui lui
p romit de le mener v ite , & qui lui tint
p a ro le. Hartsoeker l’en a v o it prié
a v e c la plus v iv e in f ta n c e , pa rce qu’ il
n’a v o it d ’argent que pou r fept mois de
le ç o n s , & pa rce qu’ il cra ign o it toujours
d ’ê tre interrompu.
Son Maître fit de fon mieu x p ou r p ro fiter
du temps , & i l le féconda en étudiant
fans relâche. L e jou r é to it trop
co u r t pou r épuifer tou te fon ap p lica tion ,
ca r il ne p o u vo it tra v a ille r qu’à la déro
b é e . Il falloit pourtant quelques h eures
d e t ra n q u illité , afin de faire plus de
p ro g rè s . A u défaut du jo u r , notre E c o lie
r fe fer v it de la nuit ; & de peu r qu e
fon père ne d é co u vr ît la lumière qu’ il
a v o it dans fa chambre toutes les n u its ,
il étendoit devant fa fenêtre les c o u v e r tures
d e fon l i t , q ui ne p o u vo it lui être
autrement utile#, puifqu’ il ne fe cou choit
pas.
Son Maître s’o c cu p o it ch ez lu i à p o lir
des v erres . Il a v o it p ou r ce la des baflins
dans lefquels il p o liffo it affez bien des
v e r re s de f ix pieds de fo y e r . C e la e x cita
la cu rio fité de fon D ifc ip le , qui
vo u lu t aufii fa v o ir p o lir des v e r re s . Il
lui demanda l’ utilité particulière de ce
t ra v a il dans la P h y f iq u e , & le Maître
des Mathématiques lui parla des microf-
cope s & des d é co u ve r te s qu’un P h y fi-
c ien ingénieu x a v o it faites a v e c ces inf-
trumens.
H a r t s o e k e r n’eut rien de plus
p reffé qu e d’aller v o ir c e P h yfic ien ;
c ’étoit le cé lèb re Leuvenoek. Il apprit là
qu’ une boule de, v e r re grofliffoit les o b jets
placés à fon fo y e r . Enchanté d ’a v o ir
acquis ce tte c o n n o iffan c e , il y réflé-
chiffoit fouvent. U n jo u r comme il pré-
fentoit en badinant lin fil de v e r re à la
flamme d’une ch an d e lle , il v it que ce
b ou t de fil s’ arrond iffoit. Sur le champ
il prit la petite boule qui s ’étoit formée
& détachée du re fte du f i l , & en fit un
m ic ro fc o p e , qu’ il effa y a d’ abord fur un
ch e v eu .
C e tte d é cou ve rte ralentit un peu fon
ardeur pou r l’ étude des Mathématiques.
Il fit des obfe rva tion s a v e c fon miçrofc
o p e , & d é cou vr it des chofes q ui lut
firent tant de plaifir , qu’ il réfolu t de ne
s’appliquer déiormais q u ’à l ’étude de la
P h yfiqu e.
Parmi fes d é co u v e r te s , il y en eut
une q ui le furprit étrangement. C e furent
des petits animaux dans la femence
d e l’h om m e , q ui a voient la figure de
g renouilles naifl'antes, de groffes têtes.,
de longues q u e u e s , des mouvemens
très-vifs. C e la lui parut fi ex tra o rd in a ire ,
qu’ il n’ofa s’en rapporter à fes propres
y e u x . Il craignit de fe faire illufion ; &
attribuant ce qu’il v o y o it à lin dérangement
ac cidentel de fa vu e , il abandonna
l’ob fe rva tion .
C ’é to it en 16 7 4 qu’ il fit cette dé cou v
e r te . Il a v o it alors dix-huit a n s , & il
v e n o it de finir les études ordinaires du
C o llè g e . Son p è re l’en v o y a l’année fifi-
vante à L e y d e pou r y étudier en L itté rature
, en G r e c , en Philofop hie & en
Ana tomie , fous les plus habiles P ro -
feffeurs de cette V ille . D e L e y d e il alla
à Amfterdam pour les mêmes raifons.
O n y enfeignoit la Philofop hie de Def-
cartes, qu’HAR t s o e k e r goûta beau c
o u p ; il de vint m êm e , félon M. de Fon-
teneUe, Cartéfien à outrance.
En quittant Am fte rd am , notre jeune
Philofop he a v o it grande en v ie de pa ffer
en F ran c e :.m a is fon père ne lui a y an t
pas p arlé de ce v o y a g e , & n’en trou vant
point d’ ailleurs l’o c c a f io n , il retourna à
Rotterd am. Il reprit fes obfe rva tions mi-
c ro fc o p iq u e s , interrompues depuis d eux
a n s , & v it p ou r la fécondé fois ces animaux
q u ’il n’a vo it pas vou lu a v o ir v u .
Il ne douta plus alors d e la c h o fe , &C
communiqua fon obfe rva tion à fon ancien
Maître de Mathématiques , & à un
de fes amis. O n répéta la même e x p é r
ie n c e , & ils convinrent tous les trois
que la femence humaine çontenoit de
petits an im au x , qui par des métamor-t
phofes in v if ib le s , dé voient d evenir h om m
e s , comme les v e r s deviennent papillons.
Ils o b fe rvè ren t auiïi la femence du
c h ie n , ce lle du co q & du pigeon. D an s
la p rem iè r e , ils t rou v è ren t des animaux
H A R T S
à peu près femblabîes au x animaux humains
; mais ils ne virent qu e des v er s
o u des anguilles dans ce lle du pigeon.
T o u t ce ci étoit un fecre t que ce s trois
amis pofledoien t feuls. L o r fq u ’ils fai-
foient v o ir ces animaux à quelqu’un , ils
difoient que la liqueuT dans laquelle on
les o b fe rvo it é to it de la falive . O n le
c ru t , & le bruit s’en répandit bien v ite .
T rom p é par c e b ru i t , Leuvenoek é c r iv it
dans un O u v ra g e qu’ il a v o it publié en
form e de L e t t r e s , qu’ il a v o it vu dans la
fa liv e une infinité de petits an im au x ,
q u o iq u ’afliirément il n’ en eût point v u ,
ca r il n’y en a point du tout dans la faliv
e .
D an s ce temps - là l’ illuftre M. Hug-
kens vin t à la H a y e pour rétablir fa fanté.
O n pa rloit alors beaucoup dans ce tte
V i l le de la d é co u v e r te d’HARTSOEKER.
Hughens fut cu rieux d e v o ir ces an imau x,
q u ’on difoit ê tre dans la fa live . C om m e
n o tre Philofop he connoiffoit le mérite
d e M. Hughens, il fut ra v i de t ro u v e r
ce tte occafion d é fa ir e connoiffance a v e c
lui. II partit fur le champ pour la H a y e .
I l lui expliqua en arrivant ce que c’étojt
q u e cette liqueur dans laquelle il a v o it
d é co u v e r t de petits an im au x , & gagna
tellement l’eftime de M. Hughens, que
c e Savant fachant qu’ il a v o it en v ie de
v en ir à P a r is , lui promit des lettres de
recommandation. Il changea enfuite de
fentiment. L’attachement qu’ il prit pour
n o t re Philofop he augmentant de plus en
p lu s , il vou lu t lui en donner une marq
u e plus fenfible. Il lui offrit de le men
er lu i -m êm e à P a r is ; & en effet il
partit a v e c lui pour cette grande V ille
en 16 78 .
Hartsoeker eu t à peine mis pied à
t e r r e , qu’ il courut à l’O b fe rv a to ire &
ch e z les Savans. Il fe réclama de M.
Hughens, & il fut ac cueilli fa vorab le ment
de tou t le monde. Il étoit à peine
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a r r i v é , qu e M . Hughens fit imp rimer
dans le Journal des Savans des o b fe rv a tions
t rè s -cu r ieu fe s , & principalement
ce lle des petits animaux dans la liqueur
féminale . O n ne connoiffoit poin t ce tte
d é co u v e r te à P a r is , & ce fut p o u r les
P h y fic ien s de cette Cap ita le une nou v
e au té q ui fit grand bruit. O n en fa i-
foit honneur à M. Hughens , parce que
c e Sa v an t n’ a v o it point parlé de notre
P h ilo fop h e : c’ étoit une injuftice. Hart-
S O E K E R ne put réfifte r au plaifir d e
rev en d iqu er ce tte d é cou ve r te . M . de
Fçntenelle dit fort bien qu e dans ce tte
o ccafion le filence é to it au -d e f fu s de
l’humanité.
M . Hughens a v o it beaucoup de m é rite
, & par con féqu en t des ennemis q u i
épioient toutes les o ccafions de lui nuire.
C e lle - c i é to it tro p belle pour la laiffer
échapper. Ils engagèrent donc notre Philo
foph e à réc lamer fa d é co u ve r te ; &
comme il ne fa v o it pas affez de François
p ou r comp ofer un éc rit à ce tte fin , ils
lu i offrirent leur p lum e , & abusèrent
en que lqu e for te de fa condefcendance
pou r lancer des traits contre M. Hughens.
O n e n v o y a ce t é c rit à l’ A u teu r du Journal
des S a v a n s , qu’il ne jugea pas à propos
de publier fans le communiquer à M. Hughens,
C e lu i-c i en parla à Hartsoeker ,
& lui fit con v en ir qu’ il lui a v o it manqué ,
premièrement en écoutant fes ennemis ,
en fécond lieu en ne lui demandant pas
là-deffus ju ftice à lui-même . N o t r e P h ilo
foph e écouta ce tte réprimande a v e c
d o c i l i té , & con v in t de fon tor t. Il v o u -
lo it même qu’on ne parlât plus de ce la .
Mais Hughens s’ offrit à faire un mémoire
p ou r le J o u rn a l, dans leque l il lui feroit
honneur de fa dé cou ve r te. N o tre Philofop
h e fut extrêmement fenfible à ce procé
d é , & n’ e x ig ea de M. Hughens que le
re to u r de fon amitié (a).
Il ne fongea donc plus qu’à con n o ître
(«) Tous les Fhilofophes du temps ne conviennent
pas de la réalité de cette découverte ; & M. Muller,
jProfefieur de Philofophie, nia l'exiftence des ani-
maux fpermeitiques ou de femence , & les appella des
animaux prétendus. M. de Bi jfon cil du même fentijnent
que ce Profefleur. I! prétend que ce qu'on
apperçoit dans la liqueur féminale n’ell autre chofe
que des parties de cette liqueur , qui font dans une
cfpèce de fermentation , & dont le mouvement a’cil
nullement fpontanc.