a6 FERMAT .
On ne peut di(convenir qu’on doit à
Defcartes la Géométrie compofée, c’eft-
à-dire, la fcience des Courbes. Ce grand
Homme les diftingua en deux clafles , en
courbes géométriques 8c en courbes mé-
chaniques.il appela courbes géométriques
toutes les courbes qu’on peut décrire par
la composition de deux mouvemens »
qui ont entr’eux un rapport exactement
connu. Et il donna le nom de méchaniques
à des courbes qui font produites par des
mouvemens, dont on ne connoît point les
fapports.
I l compofa enfuite une méthode générale
pour déterminer les tangentes des
courbes ; ce qui fervit à connoître la direction
fous laquelle elles rencontrent leur
axe, leur diftance de cet axe, 8c les points
oh leur courbure varie. Cette découverte
perfectionna la théorie de toutes les courbes
, & donna une nouvelle forme à la
Géométrie.
A ces belles inventions Defcartes vou-
loit joindre un moyen de déterminer le
point oh une grandeur qui croît, devient
la plus grande qu’il eft poflïble, & celui
oh elle devient la moindre qu’il eft poflï-
ble lorfqu’elle décroît : mais il fut prévenu
par Fermât , qui s’eft immortalifé par
cette découverte, 8c qui a mérité par-là
d’être compté parmi les plus grands Mathématiciens
qui ont fleuri depuis la re-
naiflance de la Philofophie,
Pour comprendre la méthode de cet
habile Géomètre, il faut favoir que toute
grandeur qui varie fuivant une certaine
lo i, peut être exprimée par l’ordonnée
d'une courbe * d’une certaine efpèce.
Ainfi la plus grande ou la moindre ordonnée
peut fixer le point oh une grandeur
croît ou décroît le plus qu’il eft poflïble.
C ’eft ce qu’on appelle une queftion de
maximis £r de minimis.
Or F ermât trouva que lorfqu’une
grandeur exprimée fi l’on veut par l’ordonnée
d’une courbe, eft parvenue à fon
plus grand acçroiflement ou à fa plus
grande diminution; c’e ft-à-dire, pôuj?
parler le langage des Géomètres, eft parvenue
à fon maximum ou à fon minimum ,
cet accroiflèment & cette diminution de-;
viennent nuis.
Ce Philofophe découvrit auflï une méthode
de déterminer les tangentes avant
que celle de Defcartes eût vu le jour. Il la
déduifit de la manière de déterminer les
plus grands 8c les moindres effets, c’eft-*
à-dire, les maxima 8c les minima. Elle eft:
fondée fur ce principe :Toute tangente eft
la fécante d'une courbe , dont les points
d’interfedion s’approchant continuelle-*
ment, coïncident.
Dans le temps que F ermât faifoït ces
découvertes, il apprit que Defcartes fe
difpofoit à mettre au jour un ouvrage fur
la Dioptrique, dans lequel il donnoit une
nouvelle explication de la réfraétion de
la lumière. Comme il avoit une nouvelle
idée là-deflus, il fut très-emprefle de le
connoître. Il fe donna tous les mouvemens
néceflaires pour fe procurer une copie
de cet ouvrage, & il en vint à bout.
Il n’en fut pas auflï content qu’il
l'avoit efpéré. Il n’approuva pas fur*
tout la manière dont Defcartes explique
la réfraction de la lumière en paflant;
dans différens milieux. Cette critique
parvint à cet illuftre Auteur, qui s’en
trouva offenfé. Il fe plaignit de ce que
F ermât avoit voulu étouffer fon fruit
avant fa naiffance ; & fans juger le fond,
il s’en tint d’abord à blâmer hautement
la forme. Le point que critiquoit notre
Philofophe confiftoit en ceci :
Defcartes foutient que les rayons de lui
mière ont une inclination à fe mouvoir.
O r cette inclination au mouvement doit
fuivre, félon lui, les mêmes loix que le
mouvement même : donc on doit déterminer
les effets de la lumière parla con-
noiflance que nous avons de ceux du mouvement.
D’après ce principe, il compare
un globule de lumière à une balle qui eft
lancée obliquement, & il croit que les
* On appelle ordonnée une ligne qui eft divifee en
deux par l’axe d’une courbe auquel elle eft perpendiculaire,
Unç ligne, qu’on tire perpeqdic^airciqent
au diamètre d’un cercle au de-Xà dq centre, eft
ordonnée,
F E R M A T . 4 7
loix que fuit la lumière, en paflant de
l’air dans l’eau, font les mêmes que
celles du mouvement de la balle.
Mais F ermât prétend que rien n’eft
plus hafardé que de foutenir que l’inclination
au mouvement fuit les loix du
mouvement même. I l y a , dit-il, autant
de différence de l’une à l’autre, que de la
puiflance à l’aCte. I l ajoute qu’on ne peut
comparer un rayon de lumière à une balle,
parce que le mouvement d’une balle eft
plus ou moins violent à mefure qu’elle
eft pouiïée par des forces différentes.
Defcartes répondit à la première partie
de cette objection, que les loix que fuit le
mouvement, qui eft l'aéte, félon Fermât,
s’obfervent auflï par l’inclination à fe
mouvoir, qui eft la puiffSnce de cet aéte.
Et quant à la fécondé partie de l’obje&ion
fur la difconvenance de la balle à la lumière
j il veut que la vivacité ou la
lenteur de fon mouvement ne puiffe y
mettre aucune différence.
Dans ce temps-là ce grand Homme publia
fa Géométrie. Notre Philofophe la lut
, avec autant de Satisfaction que d’empreffe-
ment; mais il la trouva incomplète. Il fut
fur-tout furpris que l’Auteur n’eût pas
traité des queftions de maximis & minimis. 11 l’écrivit au P. Merfenne, grand ami de
Defcartes * , & lui envoya non-feulement
la découverte qu’il avoit faite de ces
queftions, mais encore fa méthode pour
les tangentes des courbes & une nouvelle
qu’il avoit imaginée pour la conftruCtion
des lieux géométriques. On appelle ainfi
des lignes par lefquelles on réfout un problème
indéterminé.
Le P. Merfenne envoya tous ces écrits
à Defcartes, qui ne les reçut pas favorablement.
Il regarda la méthode de maximis
& minimis de F ermât comme une
bravade ou une efpèce de reproche de
n’avoir pas traité les queftions de maximis
& minimisy 8c il crut que la méthode des
tangentes, qui étoit jointe à celle desma-
ximis, &c. étoit une critique indirecte de
la fienne. Plein de ces idées, & le coeur
encore ulcéré des objections que notre
Philofophe avoit faites fur fa Dioptrique,
il fe hâta de blâmer toutes fes inventions
géométriques.
Premièrement, il prétendit que la
méthode de maximis étoit mauvaife ,
parce qu’elle ne réuflîffoit point dans un
cas oh il l’appliquoit. En fécond lieu, il
cenfura la méthode des tangentes. F ermât
avoit choifî la parabole pour donner
un exemple de fa méthode. Defcartes
regarda cet exemple comme général, ÔC
ayant appliqué la règle de notre Philofo-
phe à d’autres courbes, il la trouva dé-
feCtueufe : d’oh il conclud qu’il n’avoit
.trouvé fa règle qu’à tâtons, ou du moins
qu’il n’en avoit pas conçu clairement les
principes.
Deux Géomètres habiles, M. Pafcalÿ
le père du grand Pafcaly 8c M. Roberval,
n’approuvèrent point cette cenfure. Us
Soutinrent que les règles de F e r m â t
étoient bonnes; &que f i Defcartes s’étoit
donné la peine de les examiner avec foin,
il en auroit porté le même jugement.
MM. Midorge, Hardi 8c Defargues, moins
habiles à la vérité que les deux Géomètres
que je viens de nommer, ne furent
pas cependant de cet avis. Us trouvèrent
que la critique étoit jufte. I l fe forma ainfi
deux partis qui indifposèrent beaucoup
. lès chefs l’un contre l’autre.
Le P. Merfenne, à qui la critique de
Defcartes étoit adreflee, inftruit du jugement
qu’on en portait, n’ofa pas l’envoyer
à notre Philofophe , fans prévenir
Defcartes de ce jugement. Ce.grand homme
fut très-furpris de cette retenue. Il
répondit au P.Merfenne : » J’admire votre
y> bonté, 8c pardonnez-moi fi j’ajoute
x> votre crédulité , de vous être fi facile-
» ment laifle perfuader contre moi , par
x les amis de ma partie, lefquels ne vous
» ont dit cela que pour gagner temps, &
» vous empêcher de la laifler voir à d’au-
» très, donnant cependant tout loifir à
. » leur ami pour penfer à me répondre, a
Et plus bas il dit : » Tout Confeillers,
» Préfidens 8c grands Géomètres que
» foient ces Meflïeurs-là, leurs objeCtions
? Voyez, 1 Hiftoire de ce Philofophe dans le troisième tome de cette Hijtçirt des Philofophes modemtt,