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Curé de Marfau-Marchais, près de Paris,
fous l’Evêché de Chartres.
Ces deux frères inffruits de fes heu-
reufes difpofitions pour l’étude , le firent
venir à Paris dès qu’il eut fini fes Humanités
à Caen, & le mirent au Collège
d’Harcourt pour y étudier en Philofo-
phie. Après fon cours de Philofophie,
il en fît un en Sorbonne de Théologie :
mais quoiqu’il connût le prix de ces
fciences, il les négligea afin d’en apprendre
une qui l’affeâoit encore davantage :
c’étoit les Mathématiques. Il les étudia
fous M. Vdrignon, qui les profeffoit au
Collège Mazarin ; & ce fut avec tant de
fuccès , que M. Varignon le diftingua
bientôt de fes autres Ecoliers. Il avoit
fur - tout ce goût d’attache & de réflexion
qu’exige l’étude des Mathématiques
Aufîi furmonta-. t - il en peu de
temps. les p us grandes difficultés de cette
fcience ; &c engigé par là à fe livrer tout
e.itier à leur étude, il compofa des Elé-
mens de Mathématiques.
Il avoit alors trente-deux ans : il en-
feignoit les Mathématiques à M. Cha-
m:llart,û\s du Miniftre d’Etat de ce nom.
Ce Minière l’eflimoit beaucoup, & fon
fils l’aimoit encore davantage. Iis avoient
auffi pour lui des attentions qui le tou-
choient extrêmement. Notre Philofophe
épioit toutes les occafions de leur en marquer
fa reconnoiffance. La publication
de ion Livre lui en parut une favorable. 11 le dédia à M. Ckamillartle fils , & s’ac-
qu tta ainfi de la manière la plus noble
& la plus flatteufe pour fon Elève , des
ob!igations qu’il lui avoit.
Il mit à la tête de ce Livre un difcours
fur l’utilité des Mathématiques. Il y fait
voir combien cette fcience eft utile pour
percer les ténèbres de l’erreur, & pour
le bien de la fociété : ainfi il réduit tous
les avantages de cette fcience à deux
points capitaux ; favoir , au bien moral
en augmentant la fagacité de l’efprit, &
au bien phyfique en perfectionnant les
arts néceffaires aux beloins de la vie.
Cet Ouvrage fut fi bien accueilli, que
tons ceux qui vouloient apprendre les
Mathématiques s’adreffoient à l’Auteur ;
& il compta au nombre de fes Ecoliers
les principaux Seigneurs de la Cour.
Cependant fon intention n’étoit point
de fe livrer entièrement aux Mathématiques.
Il ne les regardoit que comme
une fcience auxiliaire à l’étude de la Phyfique
, pour laquelle fon goût s’étoit déclaré
depuis long-temps. Il étoit perfuadé
qu’il n’étoit pas poffible de faire de grands
progrès dans l’étude de la nature fans
les Mathématiques, & qu’elle eft la clef
de toutes les découvertes. Voilà pourquoi
il avoit commencé à les bien apprendre
, & à les enfeigner pour les
mieux favoir. Mais lorfqu’il crut les avoir
affez pratiquées, il entra avec confiance
dans la carrière de la Phyfique.
Toujours fage dans fa conduite, à l’étude
de cette fcience il joignit celle de
l’Hiftoire Naturelle, de la Chymie ôc
de la Médecine, qui ont tant de connexion
entr’elles, parce qu’il favoit que
ces fciences fe tiennent par la main, pour
me fervir d’une expreffion de M. de Fon-
tenelle. Enfuite il réfolut de ne rien faire
au hafard, & d’appuyer par conféquent
.fes connoiffances fur des preuves folides.
Celles qu’il pouvoit déduire des Mathématiques
étoient fans doute d’un grand
prix ; mais il comprit que les meilleures
preuves dans cette occafion dépendoient
de l’expérience.
Il fe procura donc tous les Livres qui
avoient paru jufques-là fur la Phyfique,
fit les expériences qui y étoient indiquées,
les perfectionna, & en tira des lumières
pour en faire de nouvelles.
Les connoiffances qu’il avoit acquifes,
fes difpofitions pour faire réuffir une expérience
, & une application continuelle,
lui firent faire des progrès rapides. Le
bruit s?en répandit bien vite parmi les
Savans, qui le regardèrent comme fuf-
cité par la Providence pour changer la
face de la Phyfique, en lui donnant fa
véritable forme. M. de Fontenelle, qui fe
connoiffoit en homme, & qui avoit déjà
témoigné à notre Philofophe fon efiime ;
en lui confiant l’éducation de M. Daube
fon neveu dans les Mathématiques &:
dans la Phyfique, le preffa de travail-
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1er à cette révolution de cette dernière
fcience. Il falloit, pour faire ce changement,
blâmer hautement la Phyfique de
l’Ecole; & cette entreprife n’étoit pas
feulement hardie, elle étoit dangereufe,
vu le grand crédit de. plufieurs Profef-
feurs de l’Univerfité. P o l i n i e r e ne favoit
donc comment s’y prendre pour
concilier les intérêts de la vérité avec le
refpeft qu’il devoit à l’erreur , lorfqu’il
fe préfenta une occafion de rompre la glace
, 6c de mettre fon projet à exécution.
. Tous les Savans connoiffent le trait
fatirique que M. Boileau Defpreaux lança
contre la Philofophie d'Ariflote. C ’efl une
requête & un arrêt burlefques en faveur
de cette Philofophie, mais qui la ridi-
culifent extrêmement (F). Tous les Pé-
ripatéticiens ou Difciples d'Arijlote en
étoient fort confternés. Il n’y étoit question
que de Logique & d’ Aftronomie.
P o l i n i e r e y joignit la Phyfique ;
& ayant fait imprimer ces deux pièces
avec cette addition, il les répandit dans
le Public. Elles eurent l’effet qu’il en at-
tendoit. Elles décrièrent la Phyfique de
ce Philofophe, comme elles avoient décrié
fa Logique & fon Aftronomie.
Dans le temps qu’on étoit occupé à
en rire, notre Philofophe, Soutenu par
le célébré M. Dagoumer, Profeffeur de
Philofophie au Collège d’Harcourt, ouvrit
dans ce Collège un Cours de Phyfique
expérimentale. Ce fiit un fpe&acle nouveau
qui attira l’attention de tout Paris.
On courut en foule pour en jouir. Tout le
monde voulut apprendre la Phyfique, tant
cette manière de l’enfeigner eut des attraits.
La jeuneffe curieufe & toujours
avide du merveilleux , s’y livra fans ménagement
, & fentit la différence qu’il y
avoit à s’inftruire d’une manière fi agréable
& fi facile , à celle de fes Profef-
feurs, qui, pour expliquer un effet;, liii
donnoient des raifons qu’elle compre-
noit fi peu, quoiqu’on lui eût fi Souvent
répétées.
C’étoit le véritable talent de P o l i n
i e r e , que celui de faire des expériences.
Il avoit pour cela une adrefie &
une dextérité admirables. Ses raifonne-
mens répondoient à la jufteffe & à la netteté
de les opérations. Ils étoient clairs,
précis & à la portée de tout le monde.
Car quoique les Savans vinifient profiter
de fes leçons, il n’oublioit point qu’elles
étoient deftinées pour des Ecoliers. Il
fe proportionnoit à leur capacité, & me-
furoit fon vol à leurs forces. Tous les
auditeurs gagnoient à cela, & il fe trou-
voit même des gens très - éclairés qui
n’étoient pas fâchés de cette fimplicité des
difcours de la part de notre Philofophe ,
tant cette Phyfique étoit nouvelle pour
eux.
Ce fuccès fut un coup mortel pour la
Phyfique à'Ariflote. Il n’y eut aucun Collège
qui ne voulût voir P o l in i e r e &c
l’entendre, & il fut obligé de faire dans
chacun un cours régulier d’expériences.
Cet exercice fortifia beaucoup fon
adreffie & fes connoiffances. Il imagina
de nouveaux inftrumens, & varia les expériences.
Il en expofa plufieurs qui n’étoient
point du tout connues en France,
& il les perfeâionna en rendant plus facile
& plus fûre la manière de les faire.
Il fît ainfi de belles découvertes qui furent
annoncées avec éclat dans les Journaux
de France & de Hollande. Il Amplifia
les microfcopes, découvrit dif-
férenS animaux dans le fuc des plantes ,
& travailla avec un égal fuccès fur les
phofphores. Mais rien ne fit plus de bruit
& par conféquent ne lui fit plus d’honneur
que fa manière de rendre un baromètre
lumineux. Voici ce qui donna lieu
à cette recherche.
Le grand Bernoulli fit part à l’Académie
Royale des Sciences de Paris, de
la manière qu’il avoit trouvée de rendre
tous les baromètres lumineux. On favoit
avant lui qu’un baromètre fecoué dans
l’obfcurité donnoit de la lumière ; mais
- (b) Ces deux Pièces font imprimées dans le Difcours pre'liminaite du troifième Volume de cette
Hijloire des P hiiojbphes modernes.