corps qu’on laifle tomber fur l’argile (c).
A cette expérience, notre Phiiofophe
ajoura encore une nouvelle preuve en
faveur du fentiment de Leibnit^ : d’où il
conclut que ce fentiment étoit très^vrai.
Ces deux Ecrits firent grand bruit.
Jufquesdà la nouvelle mefure des forces
vives n’avoit été adoptée qu’en Allemagne
, quoique Bernoulli en Suilfe , &C
le Marquis dePoleni en Italie, l’euflent
embraflée. En France ôten Angleterre,
on s’en tenoit à l’ancienne eftimation
des forces ; 6c les Anglois furent très-
furpris que ’ S G R a v e s a n d e , ami
de Newton, & partifan de 1a Philolophie ,
foutîftt une opinibn nouvelle oppofée
à la tienne. Clarke, qui crut que l’honneur
& la gloire de Newton, dont il le
difoit le Difciple, fe trouvoient ici compromis,
fe fâcha férieufement contre
’ S G R a v E S A N d E . Il mit la main à la
plume, & fe livrant à fon zèle & à fon
enthoufiafme pour les intérêts de fon
Maître , il oublia ce qu’il devoit à notre
Phiiofophe, & ce qu’il fe devoit à lui-
même. Dans un Ecrit public, il l’accufa
de manquer de bon fens ; d’avoir avancé
des abfurdités palpables; d’avoir fermé
les yeux fur les vérités les plus frappantes ;
d’avoir voulu obfurcir la Philolophie de
Newton, & de l’avoir fait avec acharnement.
On juge aifément combien ’S g r a -
v e s a n d e dut être fenfible à de pareils
reproches, lui qui avoit pour Newton
une vénération particulière, qui étoit
admirateur de fes Ouvrages, & qui avoit
toujours travaillé à les éclaircir (8c à
les défendre. Il eft vrai que les Anglois
n’aimoient pas Leibnitç , & que Clarke
avoit eu une difpute fort vive avec ce
grand homme. Ils furent donc fâchés de
ce qu’un Savant tel que notre Phiiofophe
pensât comme Leibnitç.
La colère fait faire de grandes fautes.
C ’eft une palfion forte qui empêche de
réfléchir : aufli diéhi-t-elle à Clarke les
expreflions peu mefurées qu’on vient de
lire. ’Sgravesande répondit à fa critique;
6 l fans s’arrêter à ces expreflions,
il fe contenta d’en tempérer l’amertume
par ces paroles : » Monfieur Clarke, dit-
» i l , s’exprime d’unfe manière un peu
8 forte, & s’abandonne à un zèle qui
» pourra paroître déplacé. Il s’agit de
»lavoir fi un corps en mouvement a
» quatre degrés de force , ou s’il n’en a
» que deux. Un grave Théologien de-
» vroit-il fe mettre en colère fur une
» queftion qui tout au plus peut être
» utile pour la conftruélion d’un moulin
» à foulon , ou de quelqu’autre machine
» lemblable , mais qui n’intéreffera ja-
» mais ni la Religion ni l’Etat ? M. Clarke
»a-t-il cru avilir une vertu aufli belle
» que la modération, que de la mettre
» en ufage pour un fujet de fi peu d’im-
» portance } D ’ailleurs , ajouta-t-il ,
» l’ancienne mefure des forces n’efl pas
» particulière à M. Newton, & il ne s’agit
» pas plus dans cette queftion de fon fen-
» timent, que de celui de mille autres.
» Qui peut donc s’imaginer que d’écrire
» quelque chofe de nouveau fur cette
» matière, ce foit vouloir obfcurcir la
» gloire de M. Newton?■ A - t -o n jamais
» foupçonné Harvée , lorfqu’il a trouvé
» la circulation du fang, de vouloir obf-
» curcir Hypocrate, à qui cette circula-
» tion étoit certainement inconnue ?
Cette réponfe eft fi folide, que Newton
ne prit aucune part à cette querelle.
Avant même que la critique de Clarke
parût, Newton ne s’étoit point cru inté-
reffé à combattre le fentiment de Leibnitz
fur la mefure des forces, & il eft étonnant
que Clarke ne l’eût point confulté
avant que décrire pour lui avec tant de
chaleur.
Cependant tout n’étoit point dit fur
cette matière de la part de ’S g r a v e s
a n d e ; & M. Cramer , Profeffeur de
( c) L’expérience feroit concluante , fï on étoit
certain qu’on a mefure exactement les applatiffemens 4cs cylindres d’yvoire. Mais comment le faire ? C e t t e
difficulté fait fans doute grand tort à cette expé-
xience.
Mathématiques à Genève, lui écrivit
qu’il manquoit des éclairciflemens à fon
dernier Ecrit. Notre Phiiofophe fut ainfi
provoqué à s’expliquer mieux. C’eft
aufli ce qu’il fit. Il répondit à toutes les
objeérions qui lui avoient été propofées
jufqu’alors, tant fur la théorie des forces
que fur celle du choc ; & pour éviter
toute équivoque, il commencé par définir
le mot force. Il dit que c’eft le pouvoir
d’agir dont eft pourvu un corps en
mouvement : pouvoir qui réfulte de ce
qu’un corps refifte à l’augmentation &
à la diminution du mouvement. Il distingue
enfuite l’aérion dans chaque moment
infiniment petit, ( c’eft ce qu’il
nomme action injlantanée j de la grandeur
de la fbmme de toutes ces petites
allions, qu’on appelle action te taie ; &
il examine l’effet du corps en mouvement
dans ces deux aérions. Cet examen
forme une difcùflion très-fa vante &C extrêmement
fubtile.
Il réfoud après cela les difficultés qu’on
avoit faites fur la théorie du choc des
corps. La plus confidérable confiftoit en
ce que fa doélrine fur le choc des corps
ne s’accordoic pas avec fon fentiment
fur la mefure des forces. Notre Phiiofophe
leva cette difficulté, ou du moins
crut l’avoir levée; mais malgré fes efforts
, un de fes amis ( M. Calandrin )
Mathématicien habile, ne trouva pas la
chofe démontrée. Il lui écrivit qu’il pen-
foit qu’on ne s’entendoit pas dans cette
difpute. » On peut trouver un moyen,
» dit-il, de vous faire avoir à tous rai-
» fon , en fuppofant, i° . Que la force,
» à maffes égales, eft effeérivement com-
» me la vîteffe ; i° . Qu’il n’y a point
» de force d’inertie dans un corps en
» repos.
’ S gravesande ne jugea pas cette
explication bonne; & dattè la réponfe
qu’il fit à M. Calandrin , il s’attacha à
prouver que l’inertie exifte toujours dans
les corps : ce qui faifoit tomber, félon
lui, le raifonnement de fon ami.
M. Calandrin ne fe crut pas battu. Il
compofa une Differtation favante fur ce
fujet, qu’il envoya à notre Phiiofophe,
pour qu’il en fît l ’ufage qu’il jugeroit à
propos. ’Sgravesande eftimoit trop
les produérions de M. Calandrin, pour
en priver le Public. Quoique celle-ci
l’attaquât direélement, il fe fit un devoir
de la faire imprimer : ce fut dans le
Journal Hiflorique de la République des
Lettres ; & il y joignit de nouvelles expériences
fur la force des corps en mouvement à
précédées d'une réponfe à la Differtation fur
la force des.corps. Dans cet Ecrit, il convient
que la Differtation de M. Calandrin
eft très-bien faite, 6c que tout y feroit
démontré, fi le principe d’après lequel
il raifonne étoit vrai. Ce principe eft
que la ténacité des parties du corps mol
reftant la même, la réfiftance qui réfulte
de cette ténacité, eft toujours la
même aufli. Pour démontrer le contraire ,
’S g r av e s A N d e en appelle à [l’expérience
de la chute du cylindre d’yvoire
fur la terre glaife. Et à cette expérience
il en ajoute cinq autres, qui prouvent,
fi on l’en croit, que foit qu’on ait égard
à la deftruérion des forces ou à leur pro*
duérion, on les trouve toujours proportionnelles
aux quarrés des vîteffes.
Cette difpute ne l’occupa point pendant
tout le temps qu’elle dura. Tandis qu’on
préparait des critiques & des difl'erta-
tions contre fon fentiment & fa théorie
du choc des corps, il cultivoit les autres
parties de la Phyfique^ Il écrivit même
fur l’Aftronomie, & ce fut à l’occafion
d’une difficulté fur le mouvement du fo-
leil que lui propofa M. Saurin.
En compofant fes Difcours fur le vieux
& le nouveau Tefiament, M. Saurin fut
embarraffé du miracle de Jofué, qui arrêta
, félon l’Ecriture, le foleil & la
lune. Il voulut faire voir qu’on ne pou-
voit en tirer un argument contre le mouvement
de la terre autour du foleil, &
pria notre Phiiofophe de lui expofer les
raifons qui prouvent ce mouvement, ôc
de lui donner l’explication de ce pafi*
fage : favoir, que le foleil s’arrêta fur
Gabaon, & la lune fur laValIée d’A jalon.
Ce fut là le fujet d’un nouvel Ecrit que
’S g r ave s a n d e fit paroître dans le
Journal Littéraire.