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tendit parler d’un Ouvrage fur la manoeuvre
des vaiffeaux, dans lequel on
faifoit ufage d’un nouveau principe de
méchanique pour foumettre le mouvement
des vaiffeaux à des loix. Cet Ouvrage
avoit été compofé par le Chevalier
Rénau, Ingénieur de la Marine, & ,
Honoraire de l’Académie Royale des
Sciences, & il avoit été publié de l’exprès
commandement du Roi. Il étoit
très-eftimé des Géomètres & des Marins.
On le regardoit même comme un
chef-d’oeuvre en Ton genre ;. cependant
H u g h e n s trouva que fa propofition
fondamentale étoit une erreur.
Cette propofition eft que, fi un vaif-
feau eft pouffé par deux forces ayant les
direétions perpendiculaires l’une à l ’autre
, ce vaiffeau décrira la diagonale d’un
parallélograme, dont les deux côtés feront
comme les vîteffes de ces forces.
Cela paroiffoit naturel & conforme à la
règle de la décompofition des forces.
Mais l’erreur n’en étoit pas moins réelle,
félon notre Philofophe ; car il démontra
que les forces fuppoféès font comme les
carrés des vîteffes, & non comme les (impies
vîteffes, parce que çes forces doivent
être comme les réfifiances de temps
qui font comme les carrés des vîteffes.
Sa critique parut en 169,3 > dans la Bibliothèque
univerfelle du mois de Septembre.
Elle affligea beaucoup M. Rénau ,
qui y répondit. Notre Philofophe répliqua
en 1694. dans l’Hiftoire des Ouvrages
des Savans. Ce fut ici le dernier Ecrit
qui fortit de, fa plume. Il mourut à la
Haye le 8 Juin 169 9 , â,g? de foixante-
fix ans.
H ughens aimoit la tranquillité 8ç la
méditation. Il fe retirait fouvent à la
campagne, pour etre moins diftrait &
moins diffipé. Il n’ambitionnoit qu’une
vie paifible ; paffion d’un véritable Philofophe
, qui ne connoît de biens dans
pe monde que la tranquillité de l’efprit.
Quoique fouvent feul, & toujours retiré,
il étoit gai 8c agréable en compagnie. Il
légua fes papiers à la Bibliothèque de
Jheyde, & pria par (on teftament Mef
fieurs Burdier de Wplder 8ç Tullenius, Mar
E N S .
thématiciens habiles, de choifir parmi
ces papiers ceux qu’ils jugeroient dignes
de voir le jour. J’ai rendu compte d’une
partie de ces Ecrits que ces Meilleurs
publièrent en 170 0; mais je n’ai point
parlé de deux productions fingulières,
qu’il convient de faire connoître.
La première eft un automate planétaire,
c’eft-à-dire, la defcription d’une
machine propre à repréfenter les mouve-
mens des Pianètes. Elle eft imprimée
fous le titre d’Authomatum Planétarium•
Le fécond Ouvrage pofthume eft intitulé
: Cofmotheoros feu de terris coeleflibus
earumque ornatu conjeëlurce. C’eft un Livre
ftngulier qui mérite d’être connu. En
voici une idée.
Le fyftème de ce Livre eft fondé fur
ce principe : La Terre n’eft pas plus con-
ftdérable que les autres Planètes. Or la
Terre eft habitée; donc les'autres Planètes
doivent l’être. Cette conféquençe eft
fans doute trop hafardée ; mais l’Auieur
la fortifie de tant de probabilités, qu’on
ne peut refufer de l’admettre du moins
comme une conjecture vraifemblable. Il
donne d’abord un moyen de connoître
la grandeur de chaque Planète, & il tire
cette induétion des expériences d’Anatomie
, que fi l’on peut connoître la dif-
pofition intérieure de tous les animaux
par l’ouverture d’un feul, on peut co-n-
jeCturer de même que fi fur la Terre,
qui eft une Planète, on trouve des mers,
des arbres & des animaux, il doit y en
avoir de même dans les autres Planètes.
En effet, pourquoi la T erre, qui n’eft
pas plus confidérable que ces Planètes,
feroit-elle différente d’elles f
Premièrement, l’ame étgnt le principe
de toutes chofes, & principalement du
mouvement des corps folides, il doit y
en avoir dans les Planètes ; & s’il y en
a, elle doit y faire croître des plantes &
des arbres , & donner à chaque plante
une heureufe fécondité. La même vrai-
femblance a lieu pour l’exiftence des êtres
animés. Leur génération & leur propagation
doivent être femblables à celles des
animaux qui font fur la Tesre. ( es animaux
doivent être ayffi variés que ceux
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qui font fur la Terre. Car pourquoi ne le
feroient-ils pas ?
Mais fi dans les Planètes il n’y avoit
point des hommes, à quoi ferviroient toutes
ces productions ? La conféquence eft
naturelle : il y a donc des hommes femblables
à ceux qui font fur la Terre. Si cela
eft, ces hommes ont les mêmes principes,
la connoiffance du bien & du mal,
les mêmes fentimens, les mêmes pallions.
Ce qui eft jufte parmi nous, doit l’être
parmi eux, 8c il eft impolfible que la vérité
ne foit pas vérité en tous lieux,
comme le menfonge eft menfonge en
tous lieux. L ’Auteur de la nature ne peut
ni tromper, ni être trompé. La Vérité
éternelle eft la règle de toute vérité, &
tous les hommes doivent fe conduire par
les mêmes principes, qui font aufii invariables
qu’ils font infaillibles.
L ’amour de l’ordre, de la juftice 8c de
la vérité eft donc un fentiment naturel
des habitans des Planètes. Ce qui fert à
entretenir tout cela & à perfectionner
notre raifon, doit avoir par conféquent
lieu dans les Planètes. Leurs habitans
cultivent donc les fciences 8c les arts.
Ils favent la Géométrie, l’Aftronomie,
la Mufique, l’ArchiteCture civile, la Médecine,
&c. Il peut cependant y avoir
quelque différence dans les progrès que
les habitans de chaque Planète ont faits
dans ces fciences 8c ces arts, fuivant la
vivacité ou la lenteur d’efprit de ceux
qui les habitent. Car la faculté de l’entendement
peut dépendre du climat de
chaque Planète, des degrés de leur chaleur
réciproque, par rapport à leur proximité
& à leur éloignement du Soleil.
Mais ce font toujours des hommes comme
nous, qui différent peut-être entre eux
comme ceux de la Terre ; car, des hommes
de notre globe, on pourroit en fournir
à toutes les Planètes. Il y a des efprits
froids qui fe trouveroient bien dans Saturne,
qui eft la Planète la plus éloignée
du Soleil , 8c d’autres d’affez bouillans
pour vivre dans Vénus. Pour des fots,
ceux de la Terre valent bien les fots de
toute autre Planète. A l’égard des hommes
d’efprit, c’eft encore un problème
de favoir li les nôtres font meilleurs que
ceux des autres globes.
Cet Ouvrage de Hughens fur la pluralité
des mondes, a été traduit en François
en 1702 , fous le titre de La Pluralité
des Mondes, & en quelque forte commenté
8c refondu par M. de Fontenelle
dans fes Dialogues fur la Pluralité des
Mondes.
Les Ouvrages de notre Philofophe
font en quatre Volumes in-4 0, dont deux
ont pour titre, Chrifliani Hugenii Opéra
varia, 8c les deux autres font intitulés,
Chrifliani Hugenii Opéra pojlhuma,
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