U R É A V M U i?.
où placeurs buccins s’a ffembloient,
éroient couvertes de grains qui avoient
la forme d’une figure aiongée.
Ces grains contenoient une liqueur
blanche , tirant fur le jaune ; 8c çn les-
examinant avec plus d’attention , il remarqua
que quelques-uns d’entre eux
avoient un oeil rougeâtre ; ce qui lui fit
foupçonner qu’ils pourroient bien fournir
une teinture de pourpre. Il en détacha
aufli-tôt plufieurs grains, 8c enécrafa fur
fes manchettes ; ils ne firent d’abord
que les falir. Il n’y penfa plus pendant
quelque temps ; mais environ un quart
d’heure après avoir fait cette expérience,
ayant jetté par hafard les yeux fur fes manchettes,
il vit avec étonnement une belle
couleur de pourpre’dans les endroits où il
avoit écrafé dé ces grains. Il voulut s’af-
furer fi cette couleur avoir toute la ténacité
requife. 11 lava fes manchettes dans-
l ’eau delà m e r , les fit blanchir plufieurs
fois , 8c la couleur refta toujours la même,
quoiqu’un peu affoiblie.
Il emporta chez lui' plufieurs dé ces?
grains , pour faire des expériences à loi-
fir ; mais il fut bien étonné de voir que
tous les linges qu’il trempoit dans le fuc
exprimé de ces grains, ne prenoient plus
cette teinture de poupre. En vain écra-
foit-il une grande quantité de grains fur
différents linges , c étoit toujours fans
effet. Trois ou quatre heures après l’opération,
il n’appercevoit aucun changement
fur les linges. 11 ne favoit à quoi attribuer
cette cau fe, lorfqu’ayant répété fans
deffein l’opération en plein a ir , le linge
trempé prit 8c conferva une belle couleur
de pourpre. La raifon de cela eft que
l ’effet de l’air fur la liqueur des grains
confiffe , non en ce qu’il lui enleve quelques
unes de fes- particules, ni en ce
qu’il lui en donne de nouvelles, mais
Amplement en ce qu’il l’agite 8c change
l'arrangement des parties qui la compo-
fent. Voilà donc une nouvelle maniéré
de teindre ignorée jufqu’i c i , 8c dont les
recherches de R i a u m u r ont enrichi la
Phyfique 8c le Royaume. C ’eft une remarque
bien judicieufe de l’Auteur de
jfon éloge*
En même temps que notre Philofopnd
faifoit ces expériences fur. la couleur de
pourpre-, il cherehoit d’autres fujèts pro*
près à exercer fon génie 8c là fagacité;
Il faifoit des expériences pour déterminer
fila force d’une corde eft plus grande o a
moindre que la fomme des forces des
cordons qui la compofent ÿ 8c il reconnut
, contre l’opinion reçue jufqu’alors »
que la force de la corde étoic moindre
que celle de la fomme de fes- cordons r
d’où il fuit que moins une corde e ft
torfe plus elle doit être forte;
A peine ce problème étoit réfolu, q u 'il
fe propofa d’en réfoudre un autre plus-
difficile fans d ou te , &furementpluscu-i
rieux. Il s’agifïoit de favoir fi-, lorfque^
les écreviffes , les crabes 8c les homards
ont perdu une patte , il leur en revient
une autre. Tous les habitants d e s
bords de la mer 8c d e s rivières tenoienc
pour l’affirmative. Les Phyficiens fbute-
noient au contraire que cela ne pouvoir
être. R é a u m u r , inftruit que fouvent c®
qui parole le moins vraifemblable- n’era--
eft pas moins vrai ,.confulta l ’expérience».
& il trouva que fur ce point les Phyficiens
avoient tort , 8c que le peuple?
avoir raifon. Le s raifonnements les p lu s
probables ne fauroienr détruire la réalité
des faits : ils-ne fervent qu’à les-faire re---
garder avec plus de furprife.
Pour vérifier donc le fentiment du
peuple , on pour avoir droit de l ’infirmer
notre Philofophe prit plufieurs écreviffes
auxquelles il coupa une jambe r il les ren-:-
ferma dans un de ces bateaux couverts-
que les pêcheurs nomment des bouti-r
ques, où ils confervent le poifïon en vie*
Au bout de quelques mois , il vit de-
nouvelles jambes qui occupoient la place?
des-anciennes qu’il leur avoir enlevées :?
à la grandeur près , elles leur étoienc
parfaitement femblables;. elles avoienc
même figure dans toutes leurs parties »,
mêmes articulations , mêmes mouvez
ments. Il recommença l’expérience pouc
s’afFurer mieux de la chofe, 8c fuivit joue
par jour les accroiffements de cette nouvelle
jambe. Il coupa enfuite une pince?
o.u une partie d’une p ince, 8c cette pincty
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Revint Cofflme les jambes : il coupa de
inêaie les cornes ou une partie des cornes
, elles fe réparèrent comme le refte.
Enfin il reconnut que la plupart des parties
de cet animal fe reproduifent.
* L ’Auteur de ces expériences tâche d’expliquer
ces reproduélions : ce font des
conjectures qu’il donne pour te lle s , mais
qui portent l’empreinte de la fineffe de
fes obfervations, ôc de la fagacité de fon
qfpric.
A peu près dans ce temps-là , R éaum
u r fut chargé de la defeription des
Arts. Cette occupation dirigea fes vues
vers les objets qui vont directement au
bien de la fociété. Il quitta infenfible-
menteeux qui n’intéreflent que la curio-
fité phyfique, pour fe dévouer plus directement
à l’utilité publique.
L e premier fruit de fon travail fut la
découverte des mines de turquoifes en
France. Tout le monde fait que la turquoife
eft regardée comme la première
pierre précieufe des pierres opaques ; fa
Couleur eft bleue ; elle n’eft cependant
pas une pierre. Les turquoifes font des
os d’animaux pétrifiés. Ainfi ces fortes
de pierres ne .font pas naturellement
lieues : on leur a donné cette couleur
par le feu. Avant notre Philofophe, on
çroyoit que la, Perfe étoit le feul lieu de
l ’Univers où les turquoifes, ou du moins
les plus belles, prenoient naiflance; mais
en faifant des recherches, fur les A r ts , il
trouva des mines de cette matière dans
le Languedoc : il fit des expériences fur
différents morceaux, pour connoître le
degré de feu qui leur donne la couleur,
détermina la forme 8c les dimenfions des
fourneaux, 8c s’affura par-là que les turquoifes
étoient des, os fofiiles pétrifiés,
colorés par une d.iffolutioii métallique que
le feu y faifoit étendre.
Mais fi les turquoifes ne font que des
dents ou dès os d’animaux devenus fof-
files 8c comme pétrifiés , comment fe
peut-il qu’il y ait des mines de turquoifes ?
Ç ’eft que la terre n’eft affez fou v en t,
jufqu’à une certaine profondeur, qu’un
tas de différentes matières, de ruines ,
débris, de décombres, qui ont été
afîemblés pêle-mêle par des tremblements
de terre, par des volcans, par des
déluges , par des inondations, 8c par une
infinité d’autres accidents plus particuliers.
O r , comme une longue fuire de
fiecles a produit dans cet amas confus
différentes révolutions, toutes les matières
éprouvent de fi grands changements
, qu’il eft difficile de reconnoître
le corps mécamorphofé. T e l eft l ’os d’un
animal devenu turquoife.
C e qu’il y a de cerrain, c’eft qu’on
trouve fouvent des morceaux de mines,
qui ont la figure de dents , d’o s , de bras
& de jambes : il y a même dans le Cabinet
d’Hiftoire naturelle du R o i , une main
entière convertie en turquoife. Les turquoifes
, encore imparfaites 8c mal for-?
mées, font fenfiblement compofées de
feuilles pareilles à celles des os, entre lef-
quelles s’irifinue un fuc pierreux ou pétrifiant
, qui les lie enfin exactement enr
femble.
L ’étude des turquoifes le conduifit à
celle des perles. Le prix des véritables
perles étoit fi h au t, qu’on avoit tenté plufieurs
moyens d’en faire des fauffes. D ’abord
R é a u m u r examina ces moyens. Le
meilleur eft de donner à des petites
boules de verre la couleur argentée des
véritables perles. On donne cette couleur
avec les écailles d’un petit poiffon nommé
able ou a b le tte » affez femblable à un
éperlan, 8c qui eft fort commun dans la
riviere de Seine. L a membrane qui enferme
les, inteftins 8c l’eftomac, brille
de la même couleur; 8c le ventre du poiffon
contient aufli une grande quantité de
matière argentée.
D ’après ces obfervations, notre Natu-
ralifte chercha la fource de cette matière
argentée , 8c il trouva q uelle étoic formée
par lesdigeftions dansles inteftins de
l’animal ; que cette matière fe répand
par toute la p eau, 8c de chaque partie de
la peau fous chaque écaille qui lui répond.
En effet, elle eft plus molle 8c plus fou-
pie dans les inteftins, que fous les écailles,
8c n’aquiert fa confiftance & fa perfec-,
tion que par degrés.
Après avoir connu les perlés fauffes ,
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