BoERHAAVE étoit de l’Académie des
Sciences de Paris depuis 17x8, & il avoit
été reçu peu de temps après Membre
de la Société Royale de Londres. Il étoit
ainfi engagé à communiquer les découvertes
à ces deux Compagnies. C ’ell aufli
ce qu’il fit en 1734, en leur envoyant le
détail de fes expériences fur le vif-argent
, lefquelles furent imprimées dans
le même temps fous le titre d'Obfervata
de argento vivo.
Ce fut ici fa dernière produ&ion. Son
corps excédé par fes longues veilles,
fuccomba fous le poids de fes travaux.
D ’ailleurs depuis fa dernière maladie de
1727 , des infirmités différentes l’af-
foibliffoient 6c le minoient infenlible-
ment. Vers le milieu de l’année 1737,
parurent les avant-coureurs de fa dernière
maladie. II commença par fentir
une difficulté de refpirer. Peu de temps
après, c’ell-à-dire au commencement
de l’année 1738 , il eut des battemens
d’artères extraordinaires du côté droit
du cou, & des inégalités dans le pouls,
qu’il n’avoit jamais remarquées. Il en
chercha la caufe, & conje&ura qu’il fe
formoit un polype entre le coeur 6c les
poumons, qui dilatoit les vailfeaux, 6c
arrêtoit la circulation. Une hydropifie
aux jambes, aux cuiffes, au bas-ventre ,
fe joignit à cette incommodité. Cela fe
diffipa cependant, 6c il lui relia de trilles
inquiétudes, une difficulté extrême de
refpirer, un grand abattement, 6c une
infomnie. Son efprit fe relfentit de cette
langueur, & étoit hors d’état de rien
faire. » Je lutte , difoit-il, contre tous
» ces maux , fans pouvoir les vaincre,
» attendant patiemment la volonté de
» Dieu , à qui je fuis prêt de rendre
» tout ce que j’en ai reçu, 6c dont les
» ordres font le feul objet de mavéné-
» ration 6c de mon amour ». C ’ell avec
ces fentimens qu’il rendit les derniers
foupirs le 28 Septembre 1738 , âgé de
69 ans , 3 mois 6c 8 jours.
B o e r h a a v e étoit grand, bien fait &
proportionné. Son maintien étoit lim-
pje, jjéant, vénérable , fur-tout Iorfque
l’âge eut blanchi fes cheveux. Il avoit
l’air mâle, l’oeil v if , le regard perçant J
le nez un peu relevé, la couleur vermeille,
la voix agréable. Sa phyfiono-
mie étoit prévenante. Un certain je ne
fai quoi d’humain & de majeilueux étoit
répandu fur toute fa perfonne. Il avoit
une gravité aimable, une gaieté modelle.
Il rellembloit alfez à Socrate : c’étoientles
mêmes traits adoucis & plus riants.
Quant à fon caractère, il étoit d’une
grande modellie. Jamais il ne parloit de
lui ni de fes Ouvrages ; & lorfqu’on le
confultoit , il répondoit pour fatisfaire
à la quetlion , & non pour fe faire valoir.
Inltruit dans toutes les fciences (car
il favoit aulïi la Jurifprudence ) il en
parloit toujours en maître , mais toujours
avec cette fage réferve qui exclud
l’affeôation de bel efprit, 6c cet air dé-
cifif qui annonce un pédant ou un génie
fuperficiel. Orateur éloquent, il décla-
moit avec dignité & avec grâce. Quelquefois
la raillerie alfaifonnoit fes discours
; mais c’étoit une raillerie fine &
ingénieufe, qui ne fervoit qu’à égayer
les matières dont il parloit, fans avoir
rien de mordant & de fatirique. Ennemi
de tout excès, excepté celui de l’étude
, il regardoit une joie honnête comme
le fel de la vie.
Il confacroit le matin & le foir à l ’étude
, 6c donnoit au public une partie du
temps qui s’écouloit entre - deux. Le
relie étoit pour fes amis 6c pour le plaifir.
Tant que fa fanté le lui permit, il
monta régulièrement à cheval. Lorfqu’il
ne put plus faire cet exercice, il fe pro-
menoit à pied ; 6c de retour chez lu i ,
la mulique, dont il étoit grand amateur ,
achevoit de lui faire palfer des momens
agréables. Mais c’étoit fur-tout à la campagne
qu’il fe plaifoit le plus. Il avoit
un grand jardin qui renfermoit les végétaux
les plus curieux de toutes les parties
du monde, 6c où, comme dans une
efpèce de paradis terreltre, il alloit goûter
les douceurs du repos.
Modéré dans la profpérité , patient
dans l’adverfité , frugal dans le fein
même de l’opulence, jamais les richef-
fes ne parurent le corrompre. ni l’amol-
l i r ,
dans lir , ni lui donner le goût du falle 6c du fon ame ; 6c il fut auffi tranquille
luxe. Plein de candeur 6c de franchife,
la feule chofe qu’il voulut ignorer, efl
cet art impolleur qu’on appelle poliielfe,
qui n’ell fouvent que l’art de fe tromper
les uns 6c les autres par une fine diffi-
mulation , par un langage flatteur , par
de lâches complaifances.
Perfonne n’étoit plus habile que lui à
pénétrer au premier coup d’oeil le ca-
ra&ère d’autrui , 6c perfonne n’étoit
moins foupçonneux. Reconnoilfant au-
delà de toute expreffion , il étoit le pa-
négyrille de fes bienfaiteurs. Ami auffi
zélé que lincère, il ne déguifoit à les
amis que les fervices qu il leur rendoit ;
& fes libéralités étoient fi fecrètes, qu’on
a été obligé de le trahir pour les con-
noître.
Il ne mangeoit jamais chez perfonne,
& perfonne ne mangeoit chez lui. C ’eût
été trop fe livrer, ou s’expofer à perdre
un temps précieux. Génie fupérieur, Phi-
lofophe inébranlable , l’adverfité 6c la
profpérité ne caufoient aucune altération
lorfqu’il manqua de tout, que lorfqu’il
fe vit un des plus puiflans particuliers de
fa République. Il laifla quatre millions de
bien, dont a hérité fa fille unique qui
reftoit de quatre enfans qu’il avoit eus
de Mademoifelle Drolenvaux fon époufe.
C’ell une chofe remarquable dans la vie
d’un Philofophe , 6c qui prouve bien 6c
la haute ellime qu’on faifoit de celui
qui nous occupe , par les témoignages
de toutes fortes qu’on lui en donnoit, 6c
le peu de cas qu’il faifoit des richefîes.
Son convoi fut digne de fon mérite 6c
de fon rang. Un Orateur illuflre (M.
André Schultens ) prononça fon Oraifon
funèbre dans le Temple de Saint Pierre
de Leyde, où il eft inhumé ; 6c on a
élevé depuis peu fur fa tombe un monument
qui honore également fa cendre
6c ceux qui ont rendu cet hommage à
fa mémoire. Son portrait ell en médaillon
au milieu du maufolée, 6c on lit au-
deffous ces mots : Salutifero Boerhavii
genio facrum.
F I N .
Fautes à co r r ig e r .
P a g e 8, colonne i , ligne 13 , Difciple, life{ Philofophe.
Page 9 , col. i , ligne 40 , efface^ par au commencement.^
Page 58, col. 1 , ligne 11 , obligeoient, lifei obligeraient.
Page 90, col. 1 , ligne 9 , fit, Ùfc^ firent.
VApprobation & le Privilège font au premier Volume de tEdition in-iz.