r f P O L I N IER E.
on regardoit cela comme qo phénomène
que le hafard feul avoit produit. On fit
donc la plus grande attention à cette découverte.
Pour la vérifier , 1 Academie
nomma quatre Commiflaires, qui, quoique
très-habiles , ne purent jamais réui-
lir. Ils déclarèrent donc la choie impof-
lible , à moins que le mercure dont Bernoulli
faiioit ufage ne fîit d’une autre nature
que celui qu’on connoifloit en France.
On regarda cette décifion comme un
arrêt auquel tous les Phyficiens foufcri-
virent. Notre Philofophe en appela pourtant
, èç voulut s’affurer du fait par lui-
même avant que de s’y foumettre. Il fit
les opérations que Bernoulli avoit pref-
crites, & réuffit parfaitement. C ’étoit un
grand triomphe qui devoit le couvrir de
gloire; mais craignant de mortifier lés
Savans qui avoient échoué dans cette
expérience , il aima mieux renfermer en
lui cette fatisfa&ion que de la rendre publique,
quelque grand que fût l’honneur
qu’il pût en recevoir. Il fe contenta feulement
d’en parler à quelques-uns de fes
amis. Dans le nombre de ces amis, il
s’en trouva un d’un tempérament vif ÔC
ardent, qui n’étoit point du tout circonl-
peêf. 11 fe nommoit du T al, & étoit Docteur
Régent de la Faculté de Medecine
de Paris.
Après avoir çté témoin du procédé de
P o l i n i e r e & de fon fuccès, il voulut
faire lui - même l’expérience, qui lui
reuffit-parferternenT. C’etoit fous les yeux
^ a v e c l’aida de notre Philofophe, &
i nffurément il n’y avoit pas grand mérité
\à cela : mais l’amour-propre de M. du Tal
èn fut fi flatté , qu’il défira s’en faire
gloire. Bien affuré que P o l i n i e r e v o u -
lpit tenir la chofe feçrette pour ne bief-
fer aucun des Membres de 1 Academie 9
&. fur-tout M. Varignon, fpn ancien Pro-
feffeur de Mathématiques, qui avoit été
Vin des Commiflaires de l’Academie, ce
Médecin fe chargea des fuites de cette
affaire, & rendit publique la découverte
de notre Philofophe dans les Journaux
fous fon propre nom. C’étoit une double
infidélité ; mais ce qui le rendit plus coupable
f ce fut la maniçtç dont il qt,
Tl envoya un Ecrit à l’Auteur des Nou*
velles de la République des Lettres, dont
le titre feul eft indécent ; le voici : Pièce
jujlïjicative pour M. Bernoulli, contre Mef-
Jieurs de l'Académie Royale des Sciences 9
en faveur du phofphore qu i a propofé a
l'Académie , par M. du Tal, Docteur-Ré*
gent de la Faculté de Médecine de Paris-•
Cette Pièce, qui parut au mois de Septembre
de l’année 1706, n’auroit jamais
dû voir le jour; premièrement, parce
que l’Auteur s’y glorifie d’une chofe qui
ne lui efl; pas dûe; en fécond lieu, parce
qu’elle efl écrite d’un ftyle amer & tout-,
à-fait défobligeant pour les Commiflaires
de l’Académie»
Bernoulli avoit écrit à l’Académie qu’il
étoit furprenant que tes expériences de
cette Compagnie n’euflfent jamais réuflï,
& que lui n’en eût jamais manqué. Et fuç
ce qu’on lui manda que ce défaut de fuc-*
cès venoit fans doute de la différence
du mercure qu’il employoit à celui dont
on fe fervoit à Paris, il répondit qu’on
n’avoit qu’à lui envoyer du mercure
qu’on avoit à Paris, & qu’il étoit fur de
le rendre lumineux comme le tien.
Ceci formoit entre l’Académie & Ber*
noulli une controverfe 011 il ne s’agiffoit
que de s’expliquer Ôç de s’entendre. Mais
M. du TaFs’en fer vit pour faire valoir la
découverte qu’il s’attribuoit, & qu’il
n’avoit pas faite. Il prit un ton avantageux
, 6c fe donna fans façon comme le
feul homme en France qui eût tenu tête
à Bernoulli en cette occafion. Dans fon
Ecrit, il ne parla point du tout de notre
Philofophe. Il dit feulement qu’il s’étoit
fervi de fa machine pneumatique pour
faire fon expérience. Les Savans ne s’y
trompèrent cependant point. Comme ils
connoiffoient le mérite de P o l i n i e r e ,
& fes liaifons avec U.duTal, ils ne doutèrent
point qu’il ne fut le véritable Au*
te'uf* de la découverte que ce Médecin fe
vantoit d’avoir faite. L ’Académie lui fut
même mauvais gré de fon filence fur
cette découverte, & crut qu’il avoit eu
quelque part à la Pièce juftificative de M*
du Tal. Quelques Membres de l’Acadé*
«lie lui en marquèrent même leur reffeu?
P O L I N I E R E . r ;
timent en rompant ablbîument avec luk
Notre Philofophe fut d’autant plus feh-
fible à cette rupture & aux fuites qu’elle
pouvoit avoir, qu’il n’avoit étouffe la
découverte , & s’étoit expofé à être fruf-
tré de l’honneur qu’elle devoit lui faire,
que pour ne point indifpofer les Com-
miffaires de l’Académie qui l’avoient
manquée, & l’Academie meme.^ Le crime
, s’il y en avoit un, étoit véritablement
d’avoir caché cette découverte à
cette Compagnie. Un filence fi extraordinaire
en cette occafion , fembloit annoncer
un triomphe fecret, une forte
de vi&oire qu’il croyoit avoir remportée
fur les Commiflaires, & dont il vouloir
goûter les douceurs avec fes amis. 11 efl
certain du moins que fa conduite pre-
fentoit cette idée, quoiqu’il foit plus
certain encore que fon intention étoit de
faire à l’Académie le facrifice de fa de-
couverte.
Quoi qu’il en fo it, P o l i n i e r e étoit
fans doute en France le Phyficien le plus
capable de faire des expériences. Dans
ce temps-là l’Académie n’étoit prefque
occupée que des Mathématiques & de
l ’Aflronomie. C ’étoient les fciences à la
mode. Le calcul des infiniment petits
produifoit fur-tout des merveilles qui
intéreffoient tous les Savans- On le regardoit
comme une mine d’oii il devoit
fortir les plus grandes richêffes, & chacun
défiroit connoître cette mine. On a
vu dans l’Hiftoire d’Hartfoeker, que le
Marquis de Lhopital & le Père Male-
branche voulurent engager ce Philofophe
à apprendre le calcul des infiniment petits
, fans prendre garde que cette étude
auroit certainement détourné Hartfoeker
de celle de la Phyfique. D’ailleurs la
Philofophie de Newton fixoit l’attention
de toutes les Académies. Et enfin il n’y
avoit perfonne à l’Académie des Sciences
de Paris qui fe fût dévoué à la Phyfique
expérimentale, parce qu’on n’a point
dans cette Académie de clafle de Phyficiens.
On fait que Mariote, qui étoit très-
fin Obfèrvateur, manqua l’expérience
de Newton fur les couleurs (c). Et aflli-
rément aucun des Commiflaires nommés
pat l’Académie poureonflater la découverte
de Bernoulli, touchant la lumière
du baromètre* n’étoit point dans
cette partie aufli habile que Mariote.
Notre Philofophe méritoit donc tontes
fortes d’éloges, & c’étoit ici le cas de
paffer par deffus la forme en faveur du
fond. P o l i n i e r e comprit pourtant la
faute qu’il avoit faite ; & pour la réparer,
il fe fit un devoir de communiquer
une nouvelle découverte à laquelle celle
de la lumière du baromètre l’avoit conduit.
Ayant vuidé d’air giroflier une bouteille
de verre * & Payant fermée hermétiquement
, il la frotta-. Dans Finftant
il en partit une lumière affez confidé-
rable pour qu’on pût appercevoir les objets
qui en étoient proches. Il n’y avoit
point ici de mercure, & c’étoit une
chofe tonte nouvelle. If fit cette expérience
en 1706 à l’Académie, & y joignit
plufieurs obfervations, lefquelles
tendoient à infirmer l’explication que
Bernoulli avoit donnée de la caufe de la
lumière du baromètre. G’étoit une façon
adroite de fe réconcilier avec ceux de
l’Académie qui étoient fâchés contre
lui. Aufli eut-il un applaudiffement uni-
verfel. La Compagnie très-fatisfaite, le
pria de remettre entre les mains de fon
Secrétaire une defeription de fa nouvelle
découverte, avec fes obfervations.
On fit fentir à P o l i n i e r e que cela
ne fuflifoit pas, afin de s’affurer de la
gloire de cette découverte, qu’il falloit
la publier dans les Journaux pour en
prendre afte, & qu’il étoit temps de revendiquer
celle de la lumière du baromètre
que M. du Tal s’étoit attribuée.
Notre Philofophe goûta ces raifons, &
(«)- Cette expérience confiftoit àféparer les rayons
colorés par le moyen du prifme, M. Mariote ne put
faire cette réparation , & foutint que Newton s’étoit
trompé. Le Cardinal de Pçlignac lui prouva le contraire,
en faifant faire devant lui l’expérience par
M. Gauger -, mais M. Mariote ne fe rendit point, fie
fut feul de fon avis.