iv D I S C O U R S
fîlence que Salomon favoit faire de
l ’or. Il étoit donc plus habile que
les plus grands Chymiftes modernes.
Quand cette conféquence ne
ferait point abfurde , quelle lumière
procureroit-elle fur l’origine
de la Chymie? Aucune affurément,
& il eft certain que cette origine
eft tout-à-fait inconnue.
Depuis ces temps reculés jufqu’à
Dêmocrite , on ne voit point dans
l ’Hiftoire que perfonne ait cultivé
la Chymie. Ce Philofophe favoit
tirer des fucs des plantes, ramollir
l’ivoire , & compofer des émeraudes
avec des cailloux mis au
feu. C ’eft du moins ce que nous
affurent Pétrone & Sénèque. On a
même à la Bibliothèque du R o i,
fous fon nom, des Ouvrages ma-
nufcrits Grecs fur la Chymie ; mais
il y a lieu de croire qu’ils font pfeu-
donymes. Il ne faut pas fuppofer à
Dêmocrite des connoiffances qu’il
n’a pu avoir. Ses découvertes font
déjà affez étonnantes pour un commencement;
& celle de compofer
des émeraudes avec des cailloux,
paraîtrait incroyable, li elle n’étoit
revêtue de toute l’autorité qu’un
fait hiftorique peut avoir.
Quoi qu’il en foit , aucun Philofophe
ne fuivit les travaux de De-
mocrite fur la Chymie. Il s’écoula un
temps confidérable fans qu’on parlât
de cette fcience. Quelques années
avant la naiffance de Jefus-Chrijl,
naquit la célèbre Cléopâtre, Reine
d’Egypte. Cette PrinceiTe qui a voit
du goût pour la Phyfique & pour
la Médecine, fit des effais fur les
poifons, dans le deffein de connoî-
tre quels étoient les plus prompts
êt les plus efficaces, & découvrit
le fecret de dilfoudre les perles
par le moyen du vinaigre. C’étoit
là une véritable découverte chy-
mique. On veut que Cléopâtre ait
écrit fur la Chymie, mais elle n’eft
certainement pas l’Auteur des Ouvrages
qu’on lui attribue.
Si l’on en croit le P. Delrio &
le célèbre Naudé, un Savant nommé
Zozime, qui a vécu fous l’Empereur
Dioclétien , vers la fin du
troifième fiècle, eft le premier qui
a écrit en Grec fur la Chymie. Dans
le huitième fiècle parut un autre
Zozime, qui étoit auffi Chymifte ,
dont on a quatre Ouvrages en ma-
nufcrit à la Bibliothèque du Roi ,
dans lefquels il traite de la composition
des eaux, des injlrmnens & des
fourneaux, de la vertu & de l ’interprétation
, de l’art facrè & divin.
On ne fait pas trop ce que l’Auteur
entend par vertu & interprétation
, art facré & divin : mais
Zozime ne s’explique pas plus
clairement dans fes Ouvrages: fon
ftyle eft obfcur & my ftérieux. Et tel
fut celui des premiers Chymiftes,
des Sine fes , des Aàfard, des Ma-
riens , des Calid, &c. jufqu’aù douzième
fiècle.
La feule chofe qu’on comprend,
c’eft que ce s Ecrivains diftinguoient
la Chymie en deux parties. L a
première a pour objet la tranfmu-
tation des métaux, l’art de les pré-
P R E L I M
parer & de les rendre malléables.
Il s’agit dans la fécondé partie de
la poffibilité d’un remède univerfel.
Encore tout cela eft expofé fous
l ’enveloppe d’une énigme. Ils appellent
l’or l’homme en parfaite
fanté, & difent que les autres métaux
font malades de la lèpre, c’eft-
à-dire d’une des plus difficiles maladies
à guérir. La guérifon con-
fifte, félon eux, à changer les métaux
en or pur.
Tel étoit fur-tout le langage
d’unhommetrès-connudes Savans
fous le nom de Geber, & qui voulut
cependant réformer la Chymie.
Il difoit, je voudrois guérir fix lépreux,
pour dire qu’il défiroit convertir
les fix métaux en or. Cet
homme de mérite vivoit dans le
huitième ou le neuvième fiècle. On
prétend qu’il excelloit dans la Chymie.
Ce qu’il y a de certain , c’eft
qu’il a laiffé plufieurs Traités de
Chymie, qui contiennent beaucoup
de recherches fur la nature, la fu-
fion, la malléabilité des métaux,
& fur les fels. Il y eft même parlé
des eaux fortes, ôt fes opérations y
font décrites avec la plus grande
exactitude.
Trois fiècles paffèrent fans
qu’on ajoutât rien aux découvertes
de Geber. Mais dans le treizième
fiècle Roger Bacon, Anglois, cultiva
la Chymie avec allez de fuccès, &
la fit connoître dans lés Pays occidentaux.
Cette fcience étoit fi négligée
de fon temps, qu’il n’y avoit
que trois perfonnes qui en fulfent
I N A I R E . v
inftruites. Il connut l’effet du foufre,
du nitre & du charbon , & vit que
par leur mélange on pouvoit imiter
les éclairs & le tonnerre. C ’eft ici
la compofition de la poudre à canon
,, que Bacon avoit connue avant
qu’on en eût découvert les effets.
Un homme de génie, nommé
Arnauld de Villeneuve, fuivit les
travaux de Geber fur la Chymie. Il
fit beaucoup d’expériences, trouva
1 elprit-de-vin & les eaux de fen-
teur, & compcfa plufieurs Ouvrages
fur la Chymie & fur la Médecine.
Il écrivit auffi fur la Religion,
& imagina un fyftême , par lequel
il foutint qu’il n’y aurait de damnés
que ceux qui donnent de mauvais
exemples. L ’Univerfité de Paris
s’éleva contre cette dofirine, qui
lui attira encore d’autres ennemis.
On 1 accufa d’être l’Auteur du fameux
Livre des trois Impofteurs ,
[De tribus impofioribus) & d’avoir
effayé la génération de l’homme
dans une citrouille. Il eft vrai que
cette accufation eft dénuée de
preuves. Elle n’empêcha pas qu’il
ne fût fi eftimé pour fon grand fa-
voir en Chymie êc en Médecine ,
que fes partifans formèrent une
feéte, qu’on appella Arnauldiftes.
. Villeneuve eut un difciple qui contribua
aux progrès de la Chymie,
en la répandant en France, en Italie
& en Allemagne. Il fe nommoit
Raimond Lulle. Il écrivit auffi fur
cette fcience, mais fi obfcurément,
qu’il n’eftpaspoffible d’entendre fes
Ouvrages. Il y parle fans ceffe d’une