46 LE M principe en particulier, & en affignales
propriétés ; décrivit les fourneaux & les
vaifleaux propres aux opérations de la
Chymie ; mit en ordre les analyses qu’il
a voit faites des minéraux, des végétaux
& des animaux. Et .comme dans ces.ana-
lyfes il avoit fur-tout en vue la préparation
des remèdes, il terminafon ouvrage
par la defcription des vertus des principaux
remèdes chymiques.
Il le publia en 1.675 > f° us ce ^tre :
Cours de. Chymie, contenant la manière de
faire les opérations qui font en ufage dans la
Médecine, par une méthode facile, avec des
raifonnemens fur chaque opération , pour
Vinjlruction de ceux qui veulent s'appliquer
à cette fcience.
Ce Livre fe vendit comme un ouvrage
de galanterie ou de fatire , fuivant le
témoignage de M. de Fontenelle. Les contrefaçons
& les éditions fe multiplièrent
en fort peu de temps. On le traduifit en
Allemand., en Anglois & en Efpagnol.
Toute l’Europe voulut fe procurer un
Livre qui apprenoit une fcience nouvelle,
ou qui la mettoit à la portée de tout le
monde. On admira l’exa&itude de l’Auteur
& fa fidélité à détailler les principales
opérations fur la fiibftance des trois règnes;
cette attention minutieufe avec laquelle il
rend compte de toutes les circonftances
des procédés, & particulièrement de ceux
ou il pourroit y avoir quelque danger
pour le Chymifte ; & enfin le facrifice qu’il
faifoit au Public de prefque tous les fecrets
qu’il avoit découverts. Je dis prefque tous,
car l’Auteur de fon éloge prétend qu’il s’é-
toit réfervé celui d’un émétique fort doux
& plus fur que l’ordinaire, & un opiat
méfentérique avec lequel il opéroit des
cures furprenantes. C’étoit un petit larcin
qu’il faifoit au Public, lequel étoit excu-
fable. Mais M. de Fontenelle ajoute à ce
reproche une accufation plus grave, c’eft
d’avoir gardé le coup de maître dans les
opérations. Affurément ceci eft très-
blâmable, parce qu’un Philofophe. doit
être abfolument dévoué au bien public ;
& la raifon que donne M. de Fontenelle,
que parmi tant de richeffes qu’il répan-
doit libéralement dans le Public, il devoit
E R Y. lui être permis d’en conferver quelque
petitepartie pour fon ufage particulier ,
ne l’excufe point du.tout.
Ce qu’on peut dire de mieux & de
plus vraifemblable, ç’eft que fi toutes les
opérations que décrit L e m e r y dans fon
Cours , ne font pas aufli faciles qu’elles
pourroient l’être , cela vient de ce que ce
Philofophe n’en favoit pas davantage. Il
n’eft pas étonnant qu’on ait ajouté à
la manoeuvre de fes opérations un degré
de facilité qu’il ne connoiffoit pas. La
Chymie lui eft fi redevable, il a fait tant
d’expériences & d’analyfes, qu’il n’étoit
pas poftible qu’il les eût perfe&ionnées
toutes. La feule chofe qu’on paurroit reprendre
dans fon Cours, eft que fes procédés
font tous analogues à la préparation
des remèdes. Il femble que l ’Auteur
n’a travaillé que pour les Apothicaires.
La manière de faire les couleurs , la vitrification
, & tous les ufages de la Chymie
dans les arts, y font négligés. Il eft
étonnant que . le dernier Editeur de fon
Cours ( M. Baron ) qui l’a enrichi de
notes curieufes, & de plufieurs excellentes
préparations, n’ait point fuppléé à
cette omifîion.
Quoi qu’il en foit, il y a tant de chofes
neuves dans cet Ouvrage, & il eft fi
complet dans fa partie , qu’il fera eftimé
dans tous les temps. Il feroit difficile de
rendre un compte exatt de ces découvertes
, parce que toutes les opérations
contiennent quelque chofe de nouveau.En
voici pourtant deux qui font époque dans
Phiftoire de la Chymie , & qui doivent
par conféquent faire partie de celle de
notre Philofophe.
Tout le monde connoît Y Arbre philo*
fophique ou Y arbre de Diane, ainfi nomme,
parce qu’il fe fait avec l’argent, & que
l’argent, fuivant le langage des Chymif-
te s , eft appelle Diane ou Lune. C ’en: une
végétation métallique , qui a, lieu lorfi-
qu’on mêle de l’argent, du mercure
de l’efprit de nitre, & qu’on les çritfal-
life enfemble : ce qui forme , un petit
•arbre.
Cette végétation eft produite par l’ef-
prit.de. nitre, qui étant joçorppré ayeç.
L E M
l'argent & le mercure, prend des- figures
différentes félon qu’il trouve de l’humidité
pour s’étendre.
Lorfqu’on mêle parties égales- de limaille
de fer & de foufre en poudre,
qu’on en fait une pâte avec de l’eau ,
qu’on les laïfle fermenter quatre ou cinq
heures fur un grand feu, & qu’on les
remue avec une fpatule de fer , elles
s’enflamment. C ’eft une découverte de
L e m e r y , & qui fert à expliquer de
quelle manière les foufres fermentent
dans la terre, pour y caufer les tremble-
mens de terre & les embrafemens qu’on
appelle volcans. Ce font des foufres qui
fe mêlent dans des mines de fer, & en
le pénétrant produifent de la chaleur, qui
eft fuivie d’une inflammation, comme on
a vu ci-devant.
Voilà pourquoi on trouve dans les
creux du Mont Etna, où le feu a paffé ,
une grande quantité de matières fem-
blables à celles qui fe féparent du fer
dans les forges.
Cette caufe des volcans eft vraifem-
blablement celle des tremblemens de
terre ; car ce feu peut fort bien n’avoir
pas d’ilfue libre pour s’exhaler : il circule
dans tous les endroits par lefquels il peut
paffer, & foulève les terres tantôt d’un
cô té , tantôt de l’autre.
Notre Philofophe avoit encore bien
de nouvelles vues ; mais les troubles que
lui caufa la Religion prétendue réformée,
qu’il avoit embraffée, ne lui permirent
pas de les remplir fitôt. Il étoit
Apothicaire và Paris, & il eut ordre en
1681 de quitter cet état. C ’étoit lui annoncer
d’une manière détournée de fortir de
cette Ville. Cette nouvelle fe répandit,
& la réputation de notre Philofophe la
porta dans tous les pays où il étoit connu,
c ’eft-à-dire dans toute l ’Europe. L’Electeur
de Brandebourg, qui en fut inftruit
des premiers, lui fit propofer par fon
Envoyé en France, de venir à Berlin,
où il créeroit pour lui une charge de
Chymifte.
La propofition étoit attrayante ; mais
Pembarras d’un déplacement, celui du
tranfportde fa famille, & peut-être suffi
E R Y. 47
l’amour de la patrie, le retinrent'à Paris.'
On lui avoit fixé un temps pour prendre
fon parti : ce temps expira, & il ne s’en
émut pas davantage. 11 croyoit que fon
favôir &: fes talens méritoient quelque
diftin&ion.
Perfnadé qu’on le toléreroit pour cette
raifon, il continua à faire fes cours de
Chymie, qui furent fuivis avec beaucoup
d’ardeur &c d’exaôitude , par un grand
nombre de perfonnes de tout état, parce
qu’on craignoit toujours de le perdre.
Cette crainte n’étoit que trop fondée j
car en 1683 il eut ordre de fortir fur le
champ de Paris.
Il obéit, ôc alla en Angleterre. Il eut
l’honneur de faluer le Roi Charles II en
arrivant, & de luipréfenter la cinquième
édition de fon Cours de Chymie z mais il
n’y refta pas long-temps. Il avoit laiffé fa
famille à Paris, & on parloit à Londres
de troubles au fujet de la Religion qu’il
fuivoit. Quelque danger qu’il y eût de
retourner en France, il fe détermina à y
repaffer. Il alla d’abord à Caen , où il le
fit recevoir Doéfeuren Médecine. De-là
il vint à Paris, où il trouva les affaires
de fa Religion en plus mauvais état encore
que quand il en étoit parti. En 1685 , le
Roi révoqua l’Edit de Nantes, & interdit
par là aux Proteftans l’exercice de quelque
profeffion que ce fût. L e m e r y fe
trouva ainfi fans emploi & fans reflource*
Sa fortune, qui avoit toujours été médiocre,
étoit abfolument dérangée. Il
n’avoit d’autre moyen de fubfifter que de
tirer parti de fes talens. Ilehercha d’abord
à s’aflurer des amis puiflans , & quand il
put compter fur leur prote&ion, il recommença
fes cours : mais cette contrainte où
il étoit en travaillant, l’ayant fait réfléchir
fur les preuves de fa Religion, il les
compara en fage à celles de la Religion
Catholique, & ce parallèle fut à l’avantage
de cette dernière. Il l ’embraffa avec
joie, & reprit de plein droit l’exercice
de la Médecine. Il obtint aufli la permif*
fion de vendre fes remèdes, qu’il avoit
perdue en 1683 , avec celle de fa qualité
cl’Apothicaire.
Le calme iûccéda à l’orage, & ramena