P O L I N I E R E . *
LA Phyfique eft un édifice immenfe,
dit un Auteur moderne (<*), dont la
conftru&ion furpaffe les forces d’un feul
homme. Les uns y mettent une pierre ,
tandis que d’autres bâtiffent des ailes entières
: mais tous doivent travailler fur
des fondemens folides, qui font le rai-
fonnement, les obfervations 8c l’expérience.
Jufqu’ici le raifonnement a prévalu
; 8c cela devoit être, parce que c’eft
le raifonnement qui guide l’obfervation
8c l’expérience : mais il ne peut pas aller
loin , fi l’expérience ne l’éclaire. L’expérience
fait connoître les effets de la na^
ture, 8c la raifon apprécie ces effets, les
compare, les combine pour en découvrir
la caufe.
Après tant de fyftêmes 8c de conjectures
qu’on avoit faites à cet égard, il
convenoit qu’on s’attachât aux obferva-
tions 8c aux expériences, foit pour re-
connoître la valeur dé ces fyftêmes, ou
même pour les détruire, foit pour empêcher
qu’ils ne priflent trop faveur fur-tout
dans les Ecoles, où ils auroient remplacé
ce jargon vuide dé fens qui avoit formé
pendant plufieurs fiècles un grand obf-
tacle aux progrès de la Phyfique. Car
les hypothèfes ou fyftêmes font en cette
fcience ce que les échafauds font à un
bâtiment. On ne peut s’élever fans leur
fecours, mais ils deviennent inutiles à
mefure qu’on s’élève; 8c ici c’eft l’expérience
qui fait connoître la hauteur que
l’on a , je veux dire le degré de connoif-
fance auquel on eft parvenu.
Rien n’eft fan» contredit plus rare que
l ’efprit d’obfervation ,8c le talent de faire
des expériences. Il ne fuffit pas d’avoir
des yeux pour voir ; il faut encore favoir
voir, c’eft-à-dire joindre au coup d’oeil
une finefïe de fentiment 8c une attention
éclairée. Il y a encore beaucoup d’art à
faire réuflîr une expérience. Elle dépend
prefque toujours d’un point qui eft très-
difficile à faifir, fans parler d’une grande
dextérité 8c d’une attention fingulière
pour avoir un fuccès. On ne peut dilcon-
venir que Rohault, Boy lc 8c Harcfoektr
n’euffentees qualités ; mais ils ne les poffé-
dèrent point fi éminemment que le Phyfi-
cien célébré dont je vais écrire l’Hiftoire.
Ce Phyficien eft Pierre P o l i n i e Ii e , né
le 8 Septembre 1671 à Coulonce, proche
de V ire , petite Ville de la Baffe-
Normandie. Son père s’appeloit Jean-
Baptifle Poliniere, 8c fa mère Françoife
yafnier. Ils demeuroient à la campagne
dans une Terre que le père tenoit de fes
ancêtres, 8c dont le revenu les faifoit
vivre. Cet homme y vivoit en Sage ,
fans charge, fans emploi 8c fans profef*
fion, content d’une vie tranquille 8fi
champêtre, 8c n’ayant aucune forte d’ambition.
Il mourut jeune, 8c laiffa à fa
veuve Pierre P o l i n i e r e , âgé de 3 ans,
qui étoit le feul enfant qu’il en avoit eu.
Quoique Madame Poliniere fut fort jeune
, elle ne voulut point fe remarier. Elle
avoit de l’efprit 8c beaucoup de jugement
, 8c elle fe fervitde l’un 8c de l’autre
pour ne s’occuper déformais que de l’éducation
de fon fils, comme fi elle avoit
un preffentiment que ce fils devoit lui
donner les plus douces fatisfaûions , 8c
faire l’honneur de fa famille. Elle l’envoya
à rUmverfité de Caen y faire fes
premières études. Deux frères de fort
mari fe firent un devoir de féconder fes
foins pour l’éducation de ce cher enfant.
L’un homme de mérite, grand Prédicateur,
8c qui avoit prêche plufieurs fois
devant Louis-le-Grand, demeuroit à Paris
à Saint André-des-Arts ; 8c l’autre étoit
* Mémoires communiqués par la Famille. Et fes Ouvrages*
(4) L'Autçur des InftHHtiun 4i PhjJIyut.
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