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aires. A peine remarqua ines-nous quelques napes
dentelées, dont les. pointes laiiTent couler une
goutte d'eau fort claire & fort inlìpide , formée
Ikns doute par l'humidité de l'air qui s'y condenfe
e n eau comme dans les appartcmens revêtus de
inarbre.
A u fond de la grotte fur la gauche fe prefente
line pyramide bien plus lurprenante, qu'on appelle
l'autel A depuis que M ' , de Nointcl y fît celebrer
la Meilè en 1673. Cette pièce eft toute ifolée ,
haute de 24, piecis, femblablc eu quelque manière à
une thiare, relevée de pluiieurs chapiteaux, canclcz.
dans leur longueur , & foûtenus lur leurs pieds ,
d'une blancheur éblouïllànte , de même que tout le
refte de la grotte. Cette pyramide efl peut-être
la plus belle plante de marbre qui foit daiiS le monde
; les ornemcns dont elle cil chargée font tous
e n choux-fleurs, c'cli à dire terminez par de gros
bouquets, mieux finis que fi un fculpteur venoit de
les quitter. Il n'cll pas pofhble encore un coup
que cela fc foit fait par la chute des gouttes d'eau,
comme le prétendent ceux qui expliquent la formation
des congelations dans les grottes. Il y a
beaucoup plus d'apparence que les autres congela.-
tions dont nous parlons, & qui pendent du haut en
bas, ou qui pouifent en differens feus, ont été produites
par le même principe, c'cft à dire par la vegetation.
A u bas de l'autel il y a deux demi colonnes fur
lefquelles nous pofâmes des ftambeaux pour éclairer
la grotte & la conlidcrer à loilir. Mr. de Nointcl
les fit écorner pour y drelTer la table, fur laq
u e l l e on celebra la MeÛe de minuit. On grava
par fes ordres les paroles fuivaiites fur la baze de la
pyramide.
H I C IPSE C H R I S T U S ADFUIT
E J U S N A T A L I D I E M E D I A NOCTE.
C E L E B R A T O M D C L X X I I I . .
Pour faire le tour de la pyramide, on paiTe fous
u n maiTif o u cabinet de congelations, dont le derrière
cil fait en voûte de four : la porte en eft baff
e ; mais les draperies des cotez font des tapiiTeries
d'une grande beauté, plus blanches que l'albâtre :
nous en cailâmcs quelques-unes , dont l'interieur
nous parut comme de l'écorce de citron confite.
D u haut de la voutc, qui répond fur la pyramide,
pendent des feftons d'une longueur extraordinair
e , lefquels form.ent, pour ainli dire, l'attique de
l'autel.
M r . le Marquis de NointelAmbaiTadeur de Franc
e à la Porte, paiHi les trois fêtes de Noël dans
cettte grotte, accompagné de plus de yoo. perfonu
e s , ioit de fa mai fon, foit imrchands, corfaires,
o u gens du pays qui l'avoient fuivi. Cent groifes
torches de cire jannc, & 400. lampes, qui brûloient
j o u r & nuit étoient fi bien difpofces , qu'il y faifoit
auflî clair que dans l'Eglife l a mieux illuminée, On
avoit pofté des gens d'efpace en efpace dans tous
les précipices, depuis l'autel jufques à l'ouverture C
de la caverne : ils fe firent le lignai avec leurs moachoirs
, lorfqu'on éleva le corps de J. C. Ace
fignal on mît le feu à 24. boêtes & à phifieurs picrriers
qui étoient à l'entrée de la caverne : les trompettes
, les hautbois, les fifres, les violons rend;,
rent cette confecration plus magnifique. L'Amb
a l M e u r coucha prefque vis à vis de l'autel, dam
un cabinet long de fcpt ou huit pas, taillé naturellement
dans une de ces groiîes tours dont on vient
de parler., A côté de cette tour fe voit un trou par
o ù l'on entre dans une autre caverne, mais pcrfoiine
n'ofa y defcendre.
O n étoit bien embarraffé à faire venir de l'eau
du village pour fournir à tout le monde. L e s Capucins
aumôniers de Son Excellence n'avoient pas la
baguette de Moyfe. A force de chercher on trouv
a une fontaine à gauche de la montée, c'eft une
petite caverne où. l'eau s'amaflè d;uis les creux des
rochers.
M ' , de Nointel a renouvelle la mémoire de cette
grotte. Les gens du "pays même n'ofoient y
defcendre lorfqu'il arriva à Anttparos : il les encouragea
par fes largeiTes. Les "Corfaires s'offrirent
d'accompagner ceux qui voudroient leur
montrer le chemin : ces MefTieurs ne trouvoient
rien de difficile , lorfqu'il folloit faire la cour â
S o n Excel lence, qvii d'ailleurs étoit paf î ionné pourks
belles chofes , & fur tout pour ce qui regarde
l'antiquité. Peut-être que fur l'infcription que
l ' o n a rapportée, il crût qu'il y reiloit quelque monument
précieux. Il avoit deux habiles delîîuateurs'
à fa fuite , & trois ou quatre maçons avec
les outils nécclïaircs pour détacher & pour enlever
les marbres les plus lourds. Jamais Ainbafiâdeur
n'ell revenu du Levant avec tant de belles
chofes : heureufement la plupart de ces marbres
font entre les. mains de Mr. Baudelot de l'Acadeniie
Royale des Infcriptions & des Médailles:
ils étoient refervez pour une perfonne de fon me-
Je n'ai plus qu'un mot à dire touchant la grotte
d'Antipater , c'eit ainfi qu'on appelle une petite caverne
, dans laquelle on entre par une fenêtre quair
é e , ouverte dans le fond de la caverne, qui fert
comme de veftibule à la grande grotte. Celled'Aiitipater
cil toute revêtue de marbre criilallizé & canelé
; c'eft une efpéce de falon de plein pied à fou
ouverture, qui paroîtroit fort agréable fi on n'avoit
pas été ébloui par les merveilles qui font daiis la
grande grotte.
L a croupe de la montagne où font ces grottes
eft comme pavée de criftallifations tranfparentcs,
femblables au talc ordinaire ; mais qui fc caflcnt
toûjours en lozanges ou en cubes, & j e crois que
ces criftallifations font des indices de grottes fouterraines
: j 'en ai vû de pareilles en Candie fur le
M p m Ida, & à Marfeiile fur la Baume de.M'.Puget
D U L E V
ret à Saint Michel d'eau douce. Des bords de la
c.iverne d'Antiparos pendent quelques pieds de ce
beau aCapprier fins épines, dont on confit le fruit
dans les Illes. Le reite de la montagne cft couvert
de Thym de Créte, de faux D i d ame , de Cedres à
feuilles de Cyprez , de Lentifques, de Squilles :
toutes ces plantes font communes dans les Ifles de
Grèce, & celle d'Antiparos ne meriteroit guéres
d'être viiicée fins cette belle grotte.
Nous palîâmes le canal qui eft entre Ântiparos
àParos par un vent de b Sud-ouef t , qui nous menoie
en poupe , & qui nous fit faire iix milles en
iiîoins d'une heure: car bien que le canal n'ait qu'un
mille de lar^e, on en compte fix ou fept du port
d'Aatiparos à celui de Paros. C'eft cette diftance
qui nous perfuada qu'Antiparos eft l'Iile que les anciens
ont connue fous le nom d'Oliaros : on n'en
peut pas douter fur un paifage qu'Etienne le Geographe
nous a conferve du Traité des Ifles d'Heraclide
du Pont, qui fait d'Oliaros une colonic
de Sidoniens, & qui place cette Ille à environ
fept milles de Paros, diftance qui répond tout à iait
à celle de nôtre trajet. Nôtre bateau fut bien fecoué
dans ce paifage, & la pluye qui venoit par ondées
nous incommoda furieufement : ce fut le
dernier jour du mois d'Août , & ce fut auffi la
première fois que nous vîmes pleuvoir dans l'Archipel.
«i^Nous ¡débarquâmes le 2. Septembre au port du
château de e Parechia ville principale de l'Ifle de
P A R O S , bâtie fur les ruines de cette ancienne&
fiiineofe Paros, la plus grande, felon Etienne le
Géographe, & la plus puilfantedes Cyclades. Lorfque
les Perfes, fous les ordres de barius, paiTerent
en Europe pour faire la guerre aux Athéniens
, f Pai-os embi-afla le parti des Aliatiques,
qu'elle fecourut de troupes pour la bataille de Marathon.
Miltiades couvert de gloire après cette
grande journée, obtint des Athéniens une puiiïànte
Hôte, & les aiTura , fans vouloir déclarer à quoi il
la dertinoit, qu'il meneroit cette armée dans un
pays d'où elle rapporteroit de grandes richelTes-,
fans beaucoup de peine. Paros fut alîiegée par mer
terre ; g les habitans voyant leurs murailles
ruinées demandèrent à capituler ; mais ayant apper-
•Çû un grand feu du côté ii de M y c o n e , ils s'imaginèrent
que c'étoit le fignal de quelque fccours, que
leur faifoit donner Datis un des Généraux des Perdes
: là-defliis ils ne voulurent plus entendre parler
'le capitulation, & c'eft ce qui donna lieu au pro-
:crbe, i Temr fa Parole, à la manière des Pariens.
les, qui apprehendoit la flote des
l Capparis
b ¡-»bcch.
n fpinofa fniftii : C. B. Pin. lío,
»» Pítrichia.
Hmd. ¡ib. 6.
C^'". Nfpos in MdÙAd.
A N T. Lettre V.
e n n e m i s , brûla toutes fes machines & fc retira
promptement à Athenes.
k Herodote qui a décrit ce fiége avec foin, bien
l o in d'avancer que les àiftégez fullènt difpofez à capituler
, rapporte que Miltiades defefperant d'emporter
la place , confulta T imo n Prêtreiîc du pavs
laquelle lui confeilla de foire quelque ccremonie fccrctte
dans le Templ e de Cerés proche de la ville.
C e Général fuivis fou avis ; mais ayant voulu franchir
l'enceinte du T empl e , il fe caiTà une }ambe : la
ceremonie apparemment ne réiilîît pas, il fut contraint
de lever le iîége, le Senat le condamna d'en
payer les frais ; on le mit dans les prifons d'Athenes
pour l'obliger de fatisfaire à cette dette publiq
u e , & {[y mourut de fes bleiTures. Ce fiége ne
laiiTa pas d'être fort glorieux aux Pariens, quoiqu'on,
les traitât de gens lans parole, car Miltiades qui
n'avoit p ù les foûmettre, étoit le plus grand Capitaine
de fon temps. Après la bataille de Salaminc
1 îThcmi f tocles , quoiqu'occupé au fiége d'Andros
exigea les contributions de Paros, & la rendit tributaire
d'Athenes', parceque cette Ifle étoi t une de
celles, qui avoient le plus favorifé les Afiatiques.
v o i l a ce qu'il y a de plus certain dans l 'hiftoireGréque
touchant l'Iile de Paros. Si l'on veut remonter
au-delà de la puiifance des Athéniens, on trouvera
encore quelque chofe de confiderable qui regarde
cette Ifle, & cela nous donnera lieu de parler
des difterens maîtres qui ont poflTedé ces famcufes
Cyclades, .parmi lefquelles Paros tenoit un rang"
confiderable. ' ^
Peut-être que m Scfof tri s ce gi-and Roi d'Egypte,
q u i f e faifoit appcller le Roi des Roi s & leScfgneur
des Seigneurs, reçût la foûmilTion de Paros de même
que de la pliipart des Cyclades, c'cft à dire de
quelques autres Ifles de l'Archipel rangées prefque
en manière de cercle autour de la fameufe Dclos.
L e s Pheniciens poilcdercnt ces Ifles, puifqu'ils furent
les premiers maîtres de la mer de Grèce •
" mais il eft mal-aifé de concilier Tiuîcydidc&Diodore
de Sicile fur l e temps où les Cai-iens s'établirent
dans ces Ifles, <> Thucydide prétend que Mi -
nos en chaflà ces peuples, & Diodore au contraire
avance qu'ils n'y étoient venus qu'après la guerre
de Troye, & qu'ils avoient obligé les Crétois de
s en retirer. Etienne le Géographe aftûre que les
Arcadiens fe mêlerent avec les Cretois, & qu'ils
donnèrent le nom d'un de leurs Généraux appellé
Paros, à l'Ifle dont nous parlons : p car auparavant
e l le portoit celui de Minos , fuivant la remarque de
P l i n e.
q Selon Apollodore, ce fut dims cette Ifle que
K 1 Mi -
le nid.
1 fíerod. lit. 8.
hiß^ä'T'^' Kcù AiâTfféT«; íífTrcrS*, DM, SH.BÍHMII^
n n^yd. ¡ib. i.
o Billiot. hifi. l:b. s.
p hiß. l,b. 4 Ctf/». 13.
q 3, M/-, 14.