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p o f i î b l e de mettre far une feuille de papier les
n o m s des principales villes de leur Empire. Le
PaiTeport du Beglierbey d'Erzeron porte , dic-il,
q u e vous viendrez ici , mais il ne marqae pas
q u e vous pallerez plus avant. Comme j 'en avois
f a i t faire une tradaftion à Erzeron, je fappliay
leChiaÏLi de le relire , procédant que le Beglierbey
nous avoit fait all'ûrer , que fur fon PaiFep
o r t on ne feroit aucune difficulté de nous lailler
p a l i e r de Cars dans le Gargiilan qui appartient à
l ' E m p e r e u r d'Agem , & que c'etoit-là nôtre ver
i t a b l e dellein. Après quelques contellations fur
c e Palîèport , nous lui fîmes dire que nous fer
i o n s bien ailes de baiter la velle du Pacha , &
d e lui prefenter la lettre du Beglierbey. Il répond
i t qu'il fe chargeoic de cette lettre, mais qu'aff
u r é m e n t le Pacha ne nous laiileroit pas fortir
des terres du Grand Seigueur ; qu'il alloit s'en
é c î a i r c i r fur l'heure. En effet il nous quitta brufq
u e m e n t pour paiîer , à c e qu'on nous dit, dans
l ' a p p a r t e m e n t du Pacha.
A p r è s avoir attendu fort long-temps , on nous
a v e r t i t que nous courions rifque de coucher dans
l a rue fi nous ne gagnions vice le fauxbourg où
ccoit nôtre Caravanferai. Quoique les Turcs &
l e s Perfans vivent dans une paix auffi tranquille
q u ' o n la puiile fouhaicter , ils ne làillent pas de
f e r m e r les portes de leur ville lorfque le foleil
f e couche. Avant que de fortir de chez le ChiaVa,
j e fis prier par nôtre Interprété , un de fes valets
d e lui dire , que nous étions obligez de nous ret
i r e r à caufe de la nuit , mais que nous-ferions
r a v i s d'apprendre nôtre deiline'e avant que de
f o r t i r . I! nous fit fçavoir que le Pacha fon Maît
r e , après avoir lû & examiné la lettre du Begl
i e r b e y , .ne pouvoir fe difpenfer de nous laifler
p a i f e r ; mais qu'on feroit aifembler le lendemain
î e Mouf t i , lejaniflaire Aga, leCadi, & les plus
a p p a r e n s de la ville pour en fain; la ledur e ; que
f a n s cette précaution le Pacha pouroit bien per
en Turquie étoient condamnez au feu & qi,.
les plus honnêtes gens de la Caravane étoieiu préà
declarer que fous prétexte de chercher des Fu,,.
tes , nous obfervions la iiiuation & les mwaillcs
des villes , que nous en prenions le Plan quo
n o u s notis informions avec foi n des troupes qui s'y
t r o u v o i e n t , que nous voulions içavoir d'où ^
n o i e n t les moindres rivieres , que tout cela
r i t o i t punition. Ainli parloit celui qui paroilToit
ê t r e le plus méchant des deux ; l'autre qui font,
bloit plus doux, difoit qu'il n'y avoit pas d';ippi.
r e n c e q u e nous fuffions venus dé fi loin pour n'im
a i l e r que du foin. Nous nous retranchions touj
o u r s fur les bons témoignages que le Beglierbey
d ' E r z e r o n portoit de nous dans f a lettre. Ils rcponN
d o i e n t qu'on n'en pouvoir pas faire la leâurc
q u e le Cadi ne fût venu de la campagne où il devoir
refter encore un jour ou deux. Nous nous
f é p a r â m e s aifcz f roidement là-dellus.
H e u r e u f e m e n t en nous promenant par la ville
nous rencont râme s un Aga du Beglierbey d'Èmr
o n , qui ne faifoit que d'arriver & qui nous rec
o n n u t d'abord , parce qu'il nous avoit veû trait
e r des malades dans le Palais. Après les prenneres
civilicez , nous lui contâmes l'embarras où
nous étions. Surpris de nôtre avanture , il alla
chez le Chiaïa du Pacha, & lui témoigna en nôt^
re p refence qu'on n'avoir pas raifon de nous ref
u f c r le paiTage ; que le Begl ierbey Coprogli , à
qui nous avions été recommandez à Cotifiaiitinop
i e par l'AmbaiTadeur de l'Empereur de France,
nous honnoroi tde faproteflion ; que nous arioiis
eû l'honneur de l'accompagner de Conllantiiiopie
i Erzeron , qu'il s'étoit bien trouvé de nos
c o n f e i l s (5c de nos remedes, qu'enfin on nedevoit
pas recevoir de cette manière des gens qui étoieiil
fi bien recommandez de fa part. ÎI nous iit iigiie
d e nous retirer , & nous fit ailïirer par fon valet
que nous ferions fatisfaits dans peujde temps. Noii$
e n t r â m e s dans un catté pour attendre la décifinu
d r e fa tête, fi on venoit-à fçavoir à Conlknt i - I decet t e grandealFaire. U n moment après, les nién
o p l e qu il D eut pas fait arrêter trois Francs, mes Chiodar» du ChiaVa . n q u ' i l n ' e û t a r r ê t e r t r o i s F r a n c s , a n i n n „ ç nvoîenr frmqui
peut-être croient des efpions du Grand Duc
d e Mofcovie. Toutes ces cérémonies nous chag
r i n o i e n t fort : nous appréhendions qu'elles ne
t r a i n a f l e n t en longueur , & que de difficulté en
d i f f i c u l t é on ne lailfât partir nôtre Caravane fans
n o u s ; ainlj nous foupâmes aiTez t r i lkment . Deux
E m i f l à i r c s du Chiaïa eurent la bont é le lendemain
u u matin de nous eveiller à la point e du jour &
d e nous dire fans façon que l 'on venoit de découv
r i r que nous étions des efpions ; que le Pacha
n ' e n étoit pas encore informé, & qu'ainfi la chofe
n ' é t o i t p a s fans remede, mais que nous pouvions
c o m p t e r que les avis venoient de bonne part.
C o m m e nous ne paroilTions gueres allarmez de
l e u r s difcourîj ils nous »ireuxérem que les efpions
mes Chiodar$ du ChiaVa , qui nous avoieiit traitez
d'efpions d u Grand Duc de Mofcovie, à qui
é t o i e n t , à ce que j e crois, nos efpions, car ils
nous gardoient à veue , vinrent nous annoncer
avec une joye feinte & dans le deflèin de tirer
q u e l q u ' a r g e n t de nous, que tous les pafiàges de
l ' E m p i r e étoient ouverts pour nous ; mais qu'alÎur
é m e n t on nous auroit arrêtez fans la lettre du
Beglierbey d 'Er z e ron ,'ou qu'au moins on nous aur
o i t fait payer une grolfe avanie , comme il arriv
e à tous ceux qui palfent de Turqui e en Pcrfe.
D a n s ce temps-là nôtre Aga libérateur fortit, &
nous vint prendre pour nouspréfenterau Chiaïa,
qui nous fit donner à fumer & à boire du cafFé. 11
nous airûra que nous pouvions partir quand il
nous plairoit; qu'en couiidératioa du Beglierbey
d'Er