
M V O Y A G E
c ' e f t que les officiers des plus grands Seigneurs,
a u lieu de pi i lokts, portear à a l 'arçon de la Icile
de grolVes , b o u t e i l l e s de cuir faites en pyram
i d e ; qu'ils rcmplilieut d'eau à toutes k s font
a i n e s que l'on rencontre fur la route.
O n peut s'imaginer de combien ces marches
f o n t augmentées quand le Sul tan s'y trouve avec
f a maifon. C'eit en cela que les Empereurs
d ' O r i e n t fc diainguent des autres Potentats de
l ' E u r o p e ; cependant quelque éblouïtfantes que
f o i e n t ces fortes de fêtes, la marche de nos Rois
a u r o k quelque chofe de plus grand , fi Ibrfqu'ils
v o n t à l 'arméecu en voyage, ils fc faifoient acc
o m p a g n e r par toute la fami l l e Royale, & par tous
l e s Seigneurs de la Cour ; s'ils fiifoient marcher
t o u t e leur mai fon en o rdr e , les Pr inces , les Ducs •
& Pairs, les Maréchaux de F r a n c e , les Gouver -
n e u r s de Province, les Lieutenans de Roi &c.
mais chaque nat ion a fes manieres, & parmi les
P r i n c e s d'Europe , ce n'eft pas la coûcume de
m a r c h e r avec tant de pompe.
Q u e l q u e s jours après Mr . l'Ambaiïîidcur me
fitl'honnenr de me fouffrir auprès de lui , quand
il alla à l'audiaace du Grand Vi i îr, qui étoit fous
f e s tentes, à une heure & demie de chemin de la
v i l l e ¡fur la rout e d'Andrinople. Rien ne me furprit
tanc que ces maifons portatives ; elles font
d'uQÇ beauté, d'une grandeur , d'une richelîe ,
d ' u n e magnificence prodigieufes ; les proportions,
ledéiTein , les ornemens, tout y ell d'un goût admir
a b l e . S .E. étant dans celle du Viiir, s'affit fur
u n tabouret, le Vilîr étoit iiir un Sopha, fes
o f f i c i e r s à droite & à gauche , les Janiiîîiires en
haye cont r e les murai l les ; & nous qui avions l'honn
e u r d'être d e l à fuite de S. E . nous formions une
g r o f f e c o l o n n e derriere le tabouret ou il étoit alTis.
U n filence refpeûueux regnoit par tout ; ks
D r o g m a n s firent leur devoir de part & d'autre ,
l o r f q u ' i l s curent expliqué k s intentions de leurs
m a î t r e s , on fe retira fans nulle cérémonie.
j ' e u s encore l'honneur d'accompagner Mr.
l'AmbaiTadeur dans quelques viiùes; la nation
t r è s - p r o p r e m e n t vétuë & bien montée ,1e fuivoit.
E n paffant devant la tente de Maurocordato,S.
E . après les civilitez ordinaires , eût la bonté
d e me prefenter à lui. Maurocordat o cüuntréshabile
homme, qui par fon mérité, quoique
G r c c de nation & de religion, a été élevé à lacharg
e de Gonfeiller d'Etat; il eit natif de Scio, &
D o f t e u r en Mede c ine de Padouë, où il a fait autref
o i s fes études , & compofé un Traite De la reffiratjo'
4 ^ du mouvement du \cceur. Comme il a
beaucoup de gcnie , & qu'il fçait mieux la Med
e c i n e que ceux qui s'en mêlent ordinairement
d a n s le Serrai!, il n'eut pas beaucoup de peine
i y s' y faire comioître ; mai s outre que l'on y re-
3 Mai««,
çoit fou v e n t de grands chagrins, & qu'on n'y hif.
f e pas mourir impunément les perfoniies d'une
c e r t a i n e authorité , Maurocordato quitta la Med
e c i n e & prit k parti de fe faire valoir par l'in.
. t e l l i g c n c e qu'il a de plulieurs langues. Comme
il e(t bien informé des affaires étrangères,
e o n n o î t les intérêts des Princes de l'Europe, ¡1
t r o u v a mille occafions de montrer fa capacité
& devint en peu d'années premier Interprète du
G r a n d Seigneur. Il fe rendit li necelliiirc daus
la derniere guerre d'Allemagne , qu'il fut nomm
é Plénipotentiaire à la paix de Carlovics:on
le fit Confei lkr d'Etat pour lui donner un relief
qui répondît à l'emploi dont on l'honnoroit.
M a u r o c o r d a t o a beaucoup d'efprit, & fa pby.
f i o n o m i e le promet allez : auffi s'eil-il toujours
a t t i r é la confiance des premiers Seigneurs de la
C o u r , & du Sultan même par rapport à la pol
i t i q u e & à la connoilîlince qu'il a de la Mededc
e ; il me parut d'un caraâére à temporifer dans
la pr.atique de cette fcience, & m'avoua qu'iUdmiroit
la hardieiîe des Medecins d'Europe, mais
q u ' i l étoit trop vieux pour les imiter & pour
: changer fa methode. Je lui dis qu'en Europeoii
I étoit entré dans le veritable efprit d'Hippocrate,
j & qu'on tâchoit de profiter des precieux raomen;
j qui fe prefentoient dans les maladies les plusi
i gués : que l'illuftre Mr . Fagon , premier Medei
cin de l'Empereur de France, nous avoit lieu-
! reufement appris à faire toutes les diligences (;iie
! ce iameux Grec recommande avec tant de foin
en pareilles rencontres : que pour cela nous emp
l o y i o n s des remedes inconnus à lui, & à tOB
les Grecs qui s'écoient mêlez de Medecine, 5;
q u ' a u lieu de ce formidable E l k b o r e , de la Tii)-
m e l é e , & d'autres purgatifs qui excitent de
chcux accidens, nous nous fervions de l'heurciit
mélange de la caiTe & de la m a n n e , & des préparations
d 'Ant imoine; qui chaiTent lacaufedos
maladies les plus dangereufes, fans attirer de
n o u v e a u x fymptômes. Que faites-vous de lafiig
n é e , me dit-il > N o u s l'employons focvent, lai
r é p o n d i s - j e , avant & après les évacuations doat
j e viens de parler, fuivant que le befoin le dem
a n d e , & c'eit encore un grand fecret qiienous
devons à Mr . le premier Medecin , pour évim
les inflammations qui fuccedent quelquefois aiiî
grandes évacuations. Il parut fatisfait de ceiic
pratique.
D e la Medecine nous paiTâmes à la Botaniqîi;
cet homme qui n'avoit ia tête remplie que
p o l i t i q u e , me parut fort furpris que je ne ftl^
venu de li loin, que pour découvrir de iioiwil;
les plantes fa furprife augment a quand je Mf
û r a i que le jardin Royal de Paris étoit le lieu de
l ' E u r o p e où il s'en trouvoit un plus grand iioinbKi